Dans la Lumière du Nord [PV - Lucy Prissy]

Dire qu’on est faciles à remarquer, avec Liza, tient de l’euphémisme. Aucune de nous deux ne dépasse le mètre soixante, c’est vrai, mais on est toutes deux bien athlétiques, avec plus d’une cinquantaine de kilos de part et d’autre, même si je tiens à dire que je suis la plus petite et la plus musclée des deux. La plus chevelue aussi, ce qui n’est vraiment pas difficile quand on regarde la coupe courte-militaire de ma coéquipière ; de mon côté, mon visage est entouré d’un châtain aussi broussailleux que ma pensée. Après, ce qui nous rend vraiment remarquables, ça reste nos tenues noires : nos bottes militaires foulent le bitume en rythme, resserrées autour du bas d’une combinaison complète en molécules instables qui s’en retourne disparaitre sous une veste de cuir. D’un model différent, toutes deux sont le fruit de mes bidouillages et portent le doux nom de "veste de chasse", impossible à différentier visuellement d’une veste de cuir ordinaire mais renforcées avec des fibres composites aspect similicuir aux endroits stratégiques comme le buste, les avant-bras et les bras, entre autres ; histoire de dissiper l’énergie cinétique, chose déjà très bien faite par la molécule instable, mais aussi de résister aux lames. Malgré les tentatives, l’insertion de la technologie de soutien musculaire de Zombie n’a jamais pu se faire sans dévoiler la nature technologique de l’équipement. Or, je tiens à la garder passe-partout cette veste, ce qui est peut-être con quand on considère que la combinaison ne l’est pas mais bon. Quand j’ai une idée en tête je l’ai pas ailleurs donc je reste sur mon idée. Il faut dire aussi qu’un accroissement de la force de frappe ne m’est pas vraiment nécessaire, mes gants ayant un autre atout encore plus électrisant : la surface extérieure est faire de fibres piézoélectriques. Chaque coup de poing dégage ainsi une décharge engourdissante, particulièrement utile pour handicaper ou neutraliser des adversaires humains et surhumains ; c’est bien d’avoir de l’invulnérabilité mais si celle-ci n’isole pas électriquement ça sert à rien contre moi. Liza a d’autres moyens d’augmenter l’impact de ses simples coups de poings, grâce à ses pouvoirs, et se passe donc de gants pour des mitaines pas si éloignées que celles que je porte en civil. Ultime point de différence entre nous, j’ai deux ceintures se croisant à la taille et me servant à transporter une ribambelle de petit matériel, dont une balle piézoélectrique, des jumelles scanners, des traceurs et des disques taser, trois doses d’antidouleurs, un communicateur d’oreille, une clé à percussion, un stylo enregistreur, des attaches à serrage fixe en plastique et enfin mon vieux cran d’arrêt imprégné. Je suis capable de me débrouiller sans mes équipements mais ce n’est pas pour cela que je ne les optimise pas un minimum. Liza, elle, y va aux pouvoirs et au martial ; différence entre les bourrins, comme elle, et les numéros complémentaires, comme moi. Après, on va pas se mentir : on n’est pas sur une intervention des plus difficiles.

La cité est composée de plusieurs bâtiments réunis autour d’un parking et c‘est sur celui-ci que tourne en vélo un gosse de 12 ans ; c’est une sentinelle et, à partir du moment où il est là, c’est que les dealers ont récupéré leur marchandise. À son âge un billet de cent ça fait toujours plaisir, je ne lui en veux donc absolument pas de faire ce qu’il fait même si sa première expérience professionnelle est non-seulement au black mais en plus un délit. Complicité de trafique quelqu'il soit, je pense pas que sa mère apprécierait ; et je le lui signale dès que ma balle rebondissante me revient en main après avoir heurté son téléphone portable pour qu’il n’ait pas le temps de nous signaler nous. Sa daronne s’en fout alors le gamin se croit intouchable, après tout ça le ferait pas que des soi-disant "Super-héros" tabassent un jeune comme lui ; à mon tour de lui signaler que je me sens intouchable vu que l’avis des médias je m’en balance et que lui aussi va le faire, balancer. Le deal c’est que s’il le fait je lui file l’argent trouvé chez ses employeurs et ma protection si jamais leurs potes lui tapent des coups de pression ; entre les premiers qui vont finir en cabane, donc qui cesseront de lui filer de la thune quoi qu’il arrive, et la seconde qu’est facile d’emploi, puisqu’il suffit d’aller au commissariat pour me laisser un message, il est doublement gagnant au niveau du pognon comme de l’affichage, après tout pas tout le monde m’aide et encore moins sont sous ma protection. Quadruple bénéfice donc, je suis pas sure qu’il ait tout comprit mais un deal est un deal.

Le laissant taper le code de sa porte, on entre à sa suite dans le bâtiment. Branchant nos communicateurs, on prend l’ascenseur sans demander de numéro d’étage à la sentinelle : c’est facile de savoir l’étage d’habitation de dealers, à défaut de connaitre leur appartement. A Aubervilliers, dans les tours où il y a des ascenseurs, ils pètent les boutons qui donnent sur les étages où il y a des trafics et ceux qui les entourent. Les policiers ont la flemme de s’y rendre et, s’ils le font, les dealers ont juste à prendre l’ascenseur vers un autre étage pour passer inaperçus. Sur des tours de 17 étages, ils n’ont même pas besoin de sortir du bâtiment pour semer leurs traces. Maintenant, on a un guide et on se fait les derniers étages à pattes. Je laisse Liza et notre collaborateur à l’étage indiqué tandis que je me rends sur celui d’au-dessus. Toquant à la porte d’un appartement, je me présente le plus simplement du monde en demandant s’il y a quelqu’un et en sortant ma clé à percussion de son rangement. Ma Chance faisant, une mère de famille arabe m’ouvre et me reconnait, me laissant entrer sans peine ; chose que je fais en la remerciant.

Je poursuis ma marche dans la pièce principale de son appartement à direction de la fenêtre extérieur tout en refusant son hospitalité avec un sourire ravi, n’ayant cependant pas le temps pour cela. A cause de la saison et de sa chaleur inhérente, la fenêtre est ouverte et je ne doute pas que ce soit le cas à l’étage en-dessous également. Je grimpe donc sur le rebord de la fenêtre, vérifiant si celui-ci est suffisamment large pour que j’y ai une prise descente ; à une dizaine d’étages au-dessus du sol, c’est un détail de prime importance. Merci ma Chance. M’agrippant, je me pends par les bras tout en plaçant mes pieds le long du mur puis, me tenant d’une seule main, je signale à ma coéquipière que je suis prête. A elle de faire la bourrine pendant que je me mets en place pour mon rôle de numéro complémentaire. Je compte jusqu’à dix et celui-ci commence par un lâché, mes pieds heurtant le rebord de la fenêtre d’au-dessous pour dérâper une seconde avant que mes mains ne s’y retiennent à leur tour ; une seconde durant laquelle j’ai le temps d’avoir un aperçu des trois hommes à l’intérieur, occupés avec le foot malgré que l’un d’eux se soit levé à la sonnette de sa porte.

Je n’ai pas à rester très longtemps accrochée au-dessous de la fenêtre qu’un trait d’énergie plasmique fait voler son cadre en éclat, signe que Liza est entrée et a donné le coup de semonce. Ça crie en slave à l’intérieur et une traction me permet d’y rentrer, à l’intérieur, arrivant dans un appartement structurellement identique au précédent. L’homme venu ouvrir la porte est encore à terre tandis que ces deux compagnons se placent par réflexe, ou panique, derrière le canapé. Liza, elle, a les poings auréolés de flammes solaires. Alors que deux armes sont dégainées pour ouvrir le feu à son encontre, ma balle piézoélectrique vole à nouveau à destination de la tempe de l’un des deux hommes tandis que j’use de la vrille suivant mon lancé pour me retrouver derrière celui qui est le plus proche de moi. Surpris, il s’interrompt pour se retourner et reçoit mon poing en pleine mâchoire. Celui qui était au sol n’a guère plus de chance puisque c’est le pied de Liza qui vient lui écraser la face. Titubant, le troisième homme relève à peine les yeux vers moi je mon coup de pied écrasant l’expédie dans sa télévision. Pleine lucarne !

Après avoir passées les entraves à chacun des trois dealers, aucun n’étant prêt de se relever, on entreprend de fouiller l’appartement comme il se doit. Pas besoin de mandat en France et de toute façon on est sur du vigilantisme donc, même s’il n’y a pas la loi du Bon Saintmaritain comme aux US, on est rarement condamné lorsqu’on fait partie des agents assermentés ; qu’on est affilié à la Brigade ou à l’Alliance. C’est quand on donne un "mauvais exemple" qu’on peut morfler, je parle en connaissance de cause. J’ai cependant gagné mon droit d’agir et, une fois la marchandise fraichement récupérée de chez les mules pour être distribuées dans les heures qui suivent entre nos mains et l’argent liquide entre celles d’à qui il revient, notre guide s’en retourne en souhaitant être là lorsque Dom Anno me règlera mon compte et on appelle la police pour signaler qu’elle peut venir récupérer les paquets cadeaux. Les flics ne tardent pas à arriver, mon père prévenu à l’avance de notre opération, et Liza et moi nous en allons une fois que j’ai tapé la bise aux officiers qui me sont favorables. La mère de famille et les voisins de palier sont sur celui-ci à regarder ce qui se passe jusqu’à ce que nous soyons dans l’ascenseur.

Si mon rapport sera remis aux forces de police albertivillariennes, c’est chez les Curie que je dois rédiger le "brouillon" succinct qui fera office de compte-rendu. Et encore, il est dactylographié donc j’ai juste à parler au logiciel de retranscription, ça évite quelques déconvenues arborescentes même s’il me faut parfois m’y reprendre à plusieurs fois. Affalée sur l’un des canapés de salon du Manoir versaillais, l’un des ordinateurs portables des proprios à côté de moi et mon téléphone entre les pattes désormais dénuées de gants, je m’interromps lorsque l’Improninja, surnom qui lui est devenu aussi officiel que Liza pour Sontse, vient le faire pour moi ; m’interrompre. Ai-je fait une connerie ?

« Dans l’doute, j’dirais "oui" mais j’attends qu’on m’dise laquelle, comme d’hab’. »

J’hausse les épaules tout en parlant, ne sachant quoi répondre d’autres tout en sachant pertinemment que c’est pas la première fois que ce genre de situation arrive même si j’espérais un peu y échapper à être membre de l’Alliance. Je ne tarde pas à me redresser puis à me relever en écoutant les détails : Ahsoka Tano est au gymnase et me cherche, la jeune mutante me faisant face s’étant proposée de venir me chercher. Ahsoka Tano, Ash mais sans double personnalité, ça fait un moment que je lui ai envoyée une demande de rencontre vu qu’on est coéquipières maintenant ; jamais eu de réponse. Elle faisait parti des personnalités de l’Alliance qu’on espère même pas pouvoir croiser en Section Junior, sauf à la limite pour Liza qu’est originaire d’Ukraine – soit l’un des territoires d’Ahsoka, et Amanda la tient en haute estime puisque c’est la principale membre de notre organisation à pouvoir la retourner martialement parlant. M’étonnes pas que l’Improninja se soit empressée de proposer de lui rendre service, c’est l’occasion de se faire bien voir d’une personne quasiment invisible.

« Si c’est vraiment pour m’engueuler qu’elle est là, j’crois qu’j’f’rais des conneries du genre plus souvent, plaisante-je avec le sourire avant de prendre l’ordinateur portable, de sauvegarder le fichier et de replier l’écran. T’inquiètes, dès qu’j’ai déter’ ledit genre j’te fais suivre comme ça tu pourrais aussi attirer son attention ! »

Ordi sous le bras, je suis l’Improninja jusqu’au gymnase, marchant rapidement.

J’avance rapidement mais possiblement pas assez, considérant que Liza s’en vient en renfort de l’Improninja alors que nous sortons du Manoir ou aller vers le gymnase. Sergei Volkov, le père de la première, a collaboré plusieurs fois avec l’Alliance et conséquemment Ahsoka mais mon amie a toujours refusé de faire des présentations, estimant qu’elles arriveraient lorsqu’elles devraient arriver et qu’il n’était pas de son droit d’influencer ce genre de décision. En somme, Liza n’aime pas le piston et encore moins le culot ; elle bénéficie du premier et moi du second, chacune son truc.

« T’as enfin ta rencontre avec Mme Tano et tu traines ?

- J’tais en train d’dicter mon rapport wesh, réponds-je sans m’arrêter de marcher, accélérant même un peu le pas lorsqu’elle fait demi-tour pour se placer à mon côté. T’as d’jà fini le tien ?

- Oui.

- Cool, tu vas pouvoir faire l’mien. »

Reprenant sa marche à mon côté, Liza laisse échapper une expression mêlant mépris et défi mais je n’ai pas le temps de m’attarder dessus. Ma marche forcée et le vent qu’elle me met ne tardent pas à nous porter de là d’où elle et l’Improninja viennent ; à savoir le gymnase. Ralentissant pour reprendre un peu contenance, je suis tout de même la première à pousser la porte du bâtiment pour y pénétrer et percevoir celle que je suis la dernière à rencontrer. Plus grande que moi d’une bonne dizaine de centimètres et d’une corpulence similaire, Ahsoka Tano m’attend manifestement puis m’accueille une main sur le cœur et un acquiescement léger. Mimant son geste, je me retrouve à le faire de la mauvaise main du fait de l’ordinateur mais son accueil n’en reste pas moins présent ; un accueil dont les paroles me font sourire.

« Enchantée de vous rencontrer également, réponds-je dans un anglais plus policé que mon français ne sera jamais. Il n’y a aucun problème avec l’absence de réponse, le principal c’est que vous soyez là. »

Je conclus avec un sourire sincère quoi qu’un peu stressé alors que Liza s’en vient à mon côté tandis que l’Improninja doit rester à distance. Ahsoka Tano est une personne assez impressionnante, ancienne sans en avoir l’air et liée aux endroits parmi les plus inaccessibles de la planète ; née sur Genosha, ce qui n’est pas une chance, élevée en Algérie, ce qui est déjà mieux, pour finir par appartenir au Wakanda, ce qui est extrêmement classe. Ajoutons à cela des pouvoirs similaires à Betsy et Valerie mais une expérience supérieure aux deux réunies, chose possiblement plus impressionnante encore que la précédente, et le fait qu’elle ait été membre de la Justice League pendant je-sais-pas-combien-de-temps avant de devenir prof pour membres de l’Excalibur depuis la dissolution du premier groupe… ça lui fait l’un des CV les plus impressionnants de l’Alliance.

« Excusez-moi du temps mis pour venir, je rédigeais un rapport sur une intervention contre des trafiquants venus d’Europe de l’Est ; Liza pourra vous en dire plus, c’est elle qu’a fourni les informations même si l’APFM a le mouvement sous surveillance. »

Mon amie lève un sourcil à ma façon de présenter les choses, laquelle réinterprète l’implication d’une membre de la Section Junior ayant combattu le réseau criminel dans son pays natal comme dans celui-ci de manière à lui donner une importance là où la réalité se concentre plus sur son père et sur les mouvements mafieux entrainés par les conflits entre la Fraternité et la Ligue des Assassins en Europe de l’Est. Ouais, j’ai pris conscience de quelques infos assez flippantes depuis que j’ai été intégrée à l’Alliance, suffisamment pour que j’en retienne. Après, je n’apprendrais probablement rien à Ahsoka ; elle doit connaitre mieux le dossier que moi, la zone européenne proche de la Russie est celle où elle intervient principalement si j’ai tout suivi. Encore après, il s’agit moins de suivre que d’avancer et j’ai pas intérêt à rater l’occasion qui se présente. Je dois avouer avoir quelques difficultés à trouver à dire, regardant la posture de repos de mon interlocutrice en tâchant d’improviser malgré l’intimidation.

« Merci d’avoir acceptée cette rencontre, déjà. Comme vous avez dû en entre parler, j’ai fait du forcing avec pas mal de monde durant ma formation ; j’espérais vraiment pouvoir parler avec un maximum de gens, sympathiser et… ben apprendre à connaitre les autres, tout simplement. »

C’est un terrain délicat et je l’exprime comme tel, puisque ça a eu ses bons et ses mauvais côtés. Les bons c’est que j’ai effectivement rencontrés plus de gens que les autres membres de la Section Junior, en plus des rencontres liées à celle-ci, et que j’ai pu sympathiser avec certains d’entre eux, principalement ceux enseignants à la Section Junior mais pas que. J’ai dû aussi me faire déprécier d’autres mais bon, rien d’irréparable je pense et vaut mieux trop d’enthousiasme et d’implication que pas assez. Autre point qui va dans le sens de cette pensée : je suis la plus jeune membre de l’Alliance, même si d’autres ont été intégrés aussi jeunes que moi à l’Excalibur notamment ; quand bien même Rachel Williams l’a quitté peu après. Enfin Bref…

« Vous avez déjà un peu visité Paris ? Je viens plutôt de son nord mais je connais quelques coins sympas et au pire on peut toujours discuter ici. »

Je suis assez insatisfaite de mes propres propos et cela doit se percevoir assez mais je suis prise de court tant au niveau de l’empressement pour venir ici que pour la rencontre elle-même et les branches de pensées qui continuent de s’en aller à mon rapport ou sont simplement sans rapport ; quoi que les dernières sont totalement habituelles et normales dans ma broussailleuse caboche.

Les réponses d’Ahsoka sont concises et aussi sobres que sa gestuelle, ne m’étonnant pas à défaut de m’aider à me mettre à mon aise. Heureusement, j’ai l’habitude de ne pas être aidée et je m’en vais donc faire de mon mieux seule, une habitude également. Autre point qui ne me surprend pas, le passage par Paris et par le Manoir des Curie est une étape transitoire à mon interlocutrice alors qu’elle s’en retourne vers l’Europe de l’Est. En revanche, la curiosité vis-à-vis de nos criminels est plus inattendue même si au final ils sont potentiellement siens aussi, puisque venant de son territoire, et qu’ils m’impliquent pas tellement, puisque c’est Liza qui a les informations. C’est donc à mon amie de répondre à la question de sa supérieure et elle attend que j’ai fini de parler pour le faire, restant silencieuse alors que j’amène les raisons qui m’ont poussé à demander cette rencontre sur le tapis d’entrée de celle-ci.

Je ne sais pas comment réagir à la compréhension de mon désir car je suis incapable de croire qu’il y ait des personnes creuses qu’il soit inintéressant de connaitre. Le "aucun fait remarquable dans la vie personnelle" d’Ahsoka me surprend plus que tout le reste de notre discussion, plus même que le fait qu’elle soit là d’ailleurs, mais je me dis rapidement que l’information la plus importante de sa phrase est "personnelle" ; peut-être que la mutante qui me fait face n’a pas énormément de loisirs ou de relations car elle est entièrement dédiée à son travail et n’a donc pas le temps de développer une vie personnelle construite et épanouie. Ce qui ne changerait rien à sa pensée qu’il ne soit pas très intéressant de la connaitre… une pensée qui me semble sincère et non destinée à se débarrassée de moi. Une pensée qui me pose problème mais à laquelle j’ai une réponse toute trouvée : je tente ma chance quand même comme ça je me réserve le droit d’être d’accord ou non avec la pensée d’Ahsoka sur elle-même. Néanmoins, je ne trouve pas de façon diplomatique de lui dire ça donc je propose un changement de sujet encore moins approprié que ce à quoi j’aurai pu m’attendre ; l’insatisfaction de mes propres propos n’en grandie que plus même si c’est en faisant des erreurs que j’apprends.

Mes lèvres se pincent en une grimace de malaise contrarié à la connaissance de Paris et surtout à la déclinaison d’une visite même si c’est d’une part le choix d’Ahsoka et d’autre part logique si elle a une mission en Ukraine ; une mission suffisamment importante pour motiver l’emploi du Champion Express. Tant par l’acceptation de la discussion malgré mes maladresses que par les implications que ma pensée associe à une utilisation de cette base mobile à laquelle la Section Junior n’a pas accès, pour peu que les membres des groupes nationaux européens l’aient eux vu qu’ils sont limités à trois représentants si ma mémoire est bonne, ma grimace ne s’attarde pas et mon intérêt s’en vient accompagné d’une prière à ma Chance. Je comprends que cela semble improbable que deux éléments séparés par un continent soient liés par une origine commune de la taille d’un pays, ce qui est petit à l’échelle d’un continent, mais ça ne m’empêche pas de m’en remettre à ma Chance pour que ce soit effectivement le cas. Je comprends que ça semble improbable mais l’improbable c’est mon truc, justement ! Et puis serait-ce plus improbable que de se prendre un ange déchu à plumes sur la gueule en sortant du cinéma à 500m de chez soi ? Ou encore que de faire équipe avec un chimpanzé plus intelligent que 97,8% de la population humaine lors d’une investigation improvisée sur des morts-vivants se terminant au sein d’une galerie de paléontologie ? Voire que de devoir recadrer le plus puissant patatoïde de l’univers après qu’il ait mangé une borne de métro durant une opération de filature ? L’improbabilité c’est mon pouvoir alors on m’en voudra pas de l’utiliser sur ce coup-là, merci. En plus, tout ça c’était quand j’étais en formation alors que maintenant je suis dans la cour des grands !

« Depuis Novembre 2016, Nyssa al Ghul et ses élus organisent régulièrement des massacres de mafieux liés à la Fraternité en Europe de l’Est, dans l’objectif de pousser Wanted et les siens à s’exposer. On pense que la Ligue des Assassins offre également sa "protection" au crime organisé qui comble les vides laissés par leurs opérations, afin de nuire durablement aux affaires de leur adversaire dans la région ou d’avoir des appâts quand la Fraternité réplique. Cette guerre fait étonnement peu de dommages collatéraux, sans doute pour éviter que l’Alliance ne s’en mêle trop, mais les réseaux mafieux qui arrivent à tirer leur épingle du jeu croissent assez bien.

Les Orlov, dont on a neutralisé un point de vente ce soir, sont basés dans l’oblast d’Odessa. De là, leur réseau pénètre l’Union Européenne via la Roumanie. Jusqu’à l’année dernière, ils trafiquaient surtout des armes récupérées après la chute de l’URSS, avec pour principaux clients les pays des Balkans. Maintenant, ils ont commencé à se faire fournir des drogues par la Bratva et ça leur a ouvert les portes de l’Europe de l’Ouest. Ils font fructifier cela avec du trafic d’êtres humains en profitant de la crise migratoire. Avec l’entrée possible de la Roumanie dans l’espace Schengen à partir de cette année, ils pourraient accroitre encore leurs affaires et c’est pour éviter cela qu’on s’intéresse à eux. »

Tout en écoutant Liza parler, je me renfrogne et m’apprête à croiser les bras avant d’être de nouveau gênée par l’ordinateur portable. Dicter le rapport n’était déjà pas bien plaisant mais en plus l’avoir ainsi sous le bras et sur les bras simultanément me perturbe un peu trop. Un peu comme l’idée que ce soit l’implication d’un trafic de migrants à destination des pays d’Europe de l’Ouest qui pousse l’UE à s’inquiéter d’une mafia grandissante. Heureusement qu’elle n’a pas décidé de revendre des armes de l’Hydra ou de l’Arme X sans quoi on serait vraiment dans du foutage de gueule. Je comprends que le trafic de drogues soit relativement bien toléré, même si je désespère toujours qu’il soit plus puni pour des jeunes de banlieue qui tentent de se faire des sous avec cela que pour des consommateurs récréatifs d’une condition sociale et économique bien plus confortable, et que les armes passent beaucoup mois. Cependant, drogues comme armes me semblent pires qu’un trafic d’êtres humains évitant à ceux-ci de risquer la noyade en méditerranée ; différences de priorités, surement. Et en parlant de cela, je ferais bien de considérer les miennes ; de priorités. Je suis intervenue ici car c’est sur mon territoire, dans ma ville, alors que Liza a traversé un continent à l’encontre de ces types ; même si Paris c’est un poil sa ville aussi vu le temps qu’elle y passe et qu’un poil c’est pas rien considérant le peu qu’elle en a sur le crâne, de poils.

Mes épaules s’abaissent légèrement alors que je prends une inspiration, mon regard faisant des allers-retours entre Ahsoka et Liza. Après un exposé pareil, il est difficile d’en revenir à une petite discussion pour faire connaissance entre collègues ; et l’envie n’y est pas franchement. Je peux comprendre un peu mieux pourquoi Ahsoka ne pense pas qu’il soit très intéressant de la connaitre, qu’aucun fait ne soit remarquable dans sa vie : elle agit contre des choses qui nécessitent d’être plus connues, d’être remarquées, pour être stoppées. Possible que je me trompe complètement mais possible aussi que ce soit son exposition à toute ce malheur qu’elle combat qui la pousse dans une abnégation proche de l’oubli de soi. Je suis contente d’être suffisamment égocentrique pour m’éviter cette toxicité mais cela ne signifie pas que je sois indifférente. Loin de là. Je suis juste… hors de ma zone. Et, alors même que je suis membre de l’Alliance des Champions de l’Europe, je me rends compte que je n’agis pas différemment de quand j’étais en Section Junior, quand j’étais en formation alors que maintenant je suis dans la cour des grands…

Un acquiescement puis Ahsoka remercie le briefing de Liza, exprime une croyance à l’encontre de la mienne même si plus logique, et expose à son tour son affaire : un homme d’affaire français semble vouloir bénéficier de la fin des financements gouvernementaux de Weapon X pour se procurer de leurs armes. A tord peut-être, je mets Weapon X et l’Hydra dans le même sac du fait de leurs méthodes ; le premier souhaite peut-être la disparition des mutants là où la seconde veut la domination mondiale et l’un a longtemps été gouvernemental alors que l’autre est terroriste, mais les deux restent avant tout des expérimentateurs militaires pour qui la fin justifie les moyens. Je ne suis déjà pas d’accord avec Amanda sur cette pensée alors je ne vais certainement pas l’être avec des racistes et des nazis ; et si les seconds ont leur influence historique en Europe, y étant apparu et continuant d’y sévir depuis soixante-dix ans environ, les premiers s’ambiancent pas mal ces dernières années. Qu’ils trouvent le soutien avec un homme d’affaire français prouve simplement la bonne mentalité de certains compatriotes qui votent trop à droite, quand bien même l’entièreté de la droite traditionnelle penche vers l’extrême et entraine le centre vers la droite. D’un autre côté, avec le mandat d’Hollande on a plutôt bien compris que tout le monde confond la gauche et la droite… heureusement qu’Ahsoka change de sujet, ça me permet de raccrocher alors même que je me détourne de mes problèmes d’échelle avec des problèmes de confusion qui n’apporteront pas plus que les gens qui les fond.

Du coup, me voici à regarder exclusivement Liza en me demandant à quel membre de la Justice League elle peut bien ressembler. Je ne les connais pas tous, d’une parce que ma mémoire est ce qu’elle est et de deux parce que tous leurs membres ne sont pas connus, mais je dois avouer mal imagier le style militaire légèrement rebelle dans l’ancienne équipe mondiale ; après j’ai déjà prouvé venir de trop basse extraction pour imaginer correctement beaucoup de choses existantes, comme le fait de venir d’une autre réalité par exemple. Par contre, j’imagine parfaitement des Super-héros mourir ; tout comme je n’imagine que trop bien des gens normaux mourir.

« Toutes mes condoléances, répond Liza en acquiesçant sobrement afin de remercier des compliments qui lui sont faits tout en taisant les raisons qui l’ont amenée à être dans l’Alliance et non dans les Last Sons.

- Plus un. »

Je parle doucement également, avec le respect dû à une personne partie comme à la peine que cela cause aux personnes qui restent. L’ambiance est aussi lourde qu’un cercueil et je respecte cela, y participant du fait tout en me demandant si mes idées précédentes n’étaient pas moins tristes ; la seule chose dont je suis sûre c’est qu’elles étaient plus égocentriques. Et histoire de ne pas y penser, je me remets à chercher qui aurait pu ressembler à Liza dans la Justice League. Sans succès, cependant. Aussi, comme précédemment, la voix d’Ahsoka conduit mon attention physique et mentale à elle, sa question me déclenchant un sourire aussi bref que nerveux.

« Non. Du tout. Seulement une remise des choses en perspective, je dirais. Si je peux vous aider, toutes les deux, sur vos affaires dites-le moi. J’ai fait mes preuves quand à ce que je pouvais être utile, maintenant il est temps de l’être. »

J’énonce un fait, résolue. L’une des choses qui m’a fait entrer en conflit avec l’école vient de son abord des fautes et des erreurs comme le pire que l’on puisse faire, des choses à éviter à tout prix ; une contradiction complète avec ma propre méthode d’apprentissage, à savoir l’essai-erreur. Je suis une autodidacte, ça m’a posé beaucoup de problèmes dans un système basé sur l’apprentissage par explication, sur les cours magistraux. La Section Junior m’a laissée plus de libertés pour me développer et l’Académie m’a fait chercher à comprendre comment je le faisais, me permettant d’exploiter au mieux l’opportunité offerte par l’Alliance. En un mot comme en cent, si je ne sais pas comment faire j’essais jusqu’à ce que ça passe. C’est conflictuel, tout autant que moi, et c’est conflictuel avec les autres comme avec moi-même. Non, Ahsoka ne m’a pas blessée. Oui, j’ai un malaise actuellement. Ce n’est cependant pas sa présence mais ma prise de conscience. Je distingue "vigilantisme", à savoir la vigilance de rue contre des délinquants voire des criminels, et "super-héroïsme", à savoir l’intervention contre des criminels internationaux voire des terroristes et des super-criminels par opposition à super-héros. Etre membre de la Section Junior m’a permis de faire du vigilantisme sans plus être une délinquante. Devenir membre de l’Alliance des Champions de l’Europe signifie avoir été reconnue capable d’être une super-héroïne. Mais puis-je être les deux à la fois ? Certains y arrivent très bien, n’ayant pas besoin de faire la distinction. Mais moi… je ne sais pas. Et c’est en cela que je me malaise. J’ai obtenu ce que je voulais, la permission de défendre ma ville à ma manière, tout en découvrant que je pouvais faire plus que cela. Maintenant que je peux, que j’ai fait ces preuves qui me motivent depuis un sixième de ma vie, je découvre une autre facette : je peux défendre plus que ma ville, en effet. Cependant, pour le faire, je dois quitter ma ville. Je suis habituée aux Retours de Chance, c’est un contrecoup de mes pouvoirs ; car j’ai des pouvoirs, une fois encore. Je suis habituée à ce qu’avec ce que je veux me place dans des positions plus délicates que si je ne l’avais pas eu. On est en plein dedans. Je ne sais donc pas quoi faire, m’en allant donc essayer au risque de faire des erreurs. Après, je suis à un niveau où les conséquences des erreurs me font peur, pouvant être impardonnables, pouvant être mortelles… une chose qui me renvoie au fondement même de ma volonté de vigilantisme : la peur de perdre mon père. En ayant les moyens de le défendre, je peux cesser de le faire. Comme toute personne réussissant en banlieue, je la quitte. Je ne sais pas quoi faire et commence à prendre la mesure du fait que je me perde. Une errance dont je pourrais parler à Liza, même si je sais qu’elle n’aurait guère de conseil considérant que l’héritage et la politique ont tracé son chemin. Une errance dont je ne peux pas parler à Ahsoka, parce qu’on ne se connait pas, parce que si sa vie personnelle n’a pas d’intérêt, la mienne n’a pas à en avoir non plus. Une errance dans laquelle je vais essayer et probablement faire des erreurs même si, pour éviter qu’elles ne nuisent trop, je pense devoir voir quelqu’un. Le premier nom à me venir en tête en vexera surement plusieurs mais c’est Aislinn. Valerie se cherche elle-aussi, Emma est bien trop loin et Liara n’a pas connue mon évolution, étant devenue une mentor et une proche trop récemment pour voir d’où je suis partie. Aislinn, en revanche, m’a vu dans le mal et dans la confusion d’un procès qui m’a bouffée et d’un refus de la Young Force qui m’a laissée dans le noir ; deux choses dont elle m’a sortie.

S’étant perdu dans le vague alors que les flots de mes pensées se transformaient en tempête, mon regard s’anime de nouveau pour faire face aux deux personnes envers qui j’ai fait une promesse que j’essayerai de tenir de mon mieux.

« Vous voulez bien partager d’autres infos sur votre français, Mme Tano ? Sans doute que le fait d’être une de ses concitoyennes me permettra de vous apporter un plus. »

La membre de la Justice League à laquelle Liza ressemble n’était pas très connue, je ne risque donc pas de la trouver. Je n’ai cependant pas besoin d’un nom ou d’un visage pour honorer la mémoire d’un mort, ayant déjà été à l’Arc de Triomphe ; même si, pour le coup, j’étais plus intéressée par la vue que par le soldat inconnu. D’un autre côté, c’est à travers les vivants que l’on honore la mémoire d’un mort et c’est avec les vivants que je compatis, le mort étant déjà parti. C’est avec Ahsoka que j’empathie, non avec la mystérieuse anonyme. Evidemment, je fais ça entre deux associations d’idées.

Acquiesçant rapidement pour accepter des excuses non-nécessaires mais ponctuant un sujet qui est moins dans la discussion que dans la réflexion, j’en passe à la suite à mon rythme et ma manière, cause une perplexité à Ahsoka me faisant craindre à mon tour de l’avoir gênée. Je le tais néanmoins, me taisant du coup, et les choses s’en avancent avec une nouvelle réflexion mentale dont je suis l’ignorante cette fois. Cependant, les réponses demandées s’en arrive et ma collègue me présente Emmanuel Dufortin, un nom bien évidemment inconnu sinon ça serait pas drôle, et explicite cette histoire d’entrepreneur voulant acheter les armes du Weapon X. Firme médicale ouverte en 2009 que Manu pourrait citer en exemple de Start-Up vu qu’elle a suffisamment bien démarré pour dériver sur d’autres produits depuis ; pas étonnant, la santé c’est toujours lucratif vu que personne peut s’en passer. De 2012 à 2016, on a dérivé dans du n’importe quoi ; je sais pas si c’est rassurant cette évolution, ça laisse penser qu’il vendait déjà du n’importe quoi à la base. Si ça se trouve, il a vendu du médiator au gouvernement français ! Ça expliquerait beaucoup de choses… y compris l’absence de problèmes avec le fisc ou les forces de l’ordre. De toute façon, en bon français, c’est pas en France qu’il va foutre le bordel mais en Afrique ; ça non plus ça ne m’étonne même pas, même si ça m’atterre.

Je plisse les yeux de concentration lorsqu’on en vient justement aux problèmes. Libéria, achat d’une usine ayant été appropriée par l’Arme X ; de façon clandestine, histoire d’éviter que l’Initiative ou le Wakanda s’en mêlent. Le second l’a fait vu que Diana de Themyscira a neutralisé la base mais, du coup, la récupération de Dufortin est à la fois suspecte et étonnamment charognarde. Enfin… généralement les mecs qui font fortunes dans le médical sont charognards, faut pas se mentir ; comme l’agroalimentaire, c’est pas par vocation altruiste qu’ils vendent leurs produits. Je comprends que la culpabilité est à prouver mais je suis plutôt contente qu’Ahsoka ait été là en même temps que Dufortin pour visiter l’usine. Après, c’est à mon tour d’être perplexe aux raisons de ses soupçons : la présence psychique, ou plutôt son absence, n’est pour moi absolument pas incriminante. Okay, c’était pas du brouillage mais entre les mutants, les mutés, les inhumains et les extraterrestres, ben avoir une immunité télépathique non-technologique n’est pas plus improbable que n’importe quel autre pouvoir.

Une énième tentative de croiser mes bras interrompue par l’ordinateur plus tard, appose ma main libre sur ma hanche toute en penchant la tête sur le côté alors que les explications continuent : c’est justement le fait que ça ne soit ni un gadget technologique ni un pouvoir "naturel" qui entraine les soupçons d’Ahsoka. Si je ne vois pas tout de suite en quoi cela le rend suspect, même si cela le rend effectivement intriguant, je me dis que c’est le lien avec l’achat qui le rend suspect et que j’ai peut-être une piste sur l’intriguant ; une fois encore, à défaut de me gêner, ma collègue me donne des idées. Et celle-là est franchement plus agréable que la précédente, me rappelant pourquoi Liara pense que je peux aider.

Remontant ma tête à la verticale, je tache de ne pas m’y perdre alors que j’écoute patiemment la fin des explications sur les conneries en Afrique. Dufortin s’y fait une réputation philanthropique à coup de base de la Justice League reconvertie en centre maternel, une bonne initiative qui me fait me demander pourquoi la base est inutilisée depuis quatorze ans alors que des ONG humanitaires auraient pu lui trouver une utilité voire qu’elle aurait pu être gracieusement remise aux populations locales ; ce qui a d’ailleurs peut-être été fait, vu que ce n’est pas à la Justice League que Dufortin a racheté le bâtiment. Je comprends la suspicion liée à la source de pouvoir inconnue comme à l’intérêt vraisemblable pour la Super-Sécurité et les possibilités de cacher des affaires clandestines sous tout cela, tout en ayant une nouvelle curiosité pour les individus suspects rencontrés en Ukraine. Chaque chose en mon temps puisque c’est à moi de parler ; chose que je fais en dégageant ma main.

« Vendre du matos médical, c’est un moyen simple de couvrir des ventes de matériel d’augmentation transhumaine ; techniquement, on reste dans du médical. Et du médical qui rapporte… probablement suffisamment pour démultiplier les secteurs voire jouer dans une cour assez proche genre les biotech : ouais, ce que vous énoncez avec son immunité télépathique me fait penser à de la biotechnologie. C’est à la fois différent d’un mécanisme de brouillage, puisque pas généré électro-mécaniquement, mais aussi différent d’un pouvoir naturel, puisque ça reste conçu "intelligemment". Une idée toute conne qui me vient à l’idée pour expliquer le blocage télépathique via biotechnologie, il suffirait de regarder le fonctionnement neuronal d’un Super immunisé à la télépathie et de concevoir à partir de cela une drogue qui reproduirait des effets similaires au niveau des synapses ; op, de l’immunité télépathique plus discrète qu’un brouilleur et certainement plus classe que mon casque MLC. Si l’un des "n’importe quoi" dans lequel a investi Dufortin est de la pharmacologie et qu’il a croisé ces recherches avec, disons, des dossiers de dissection de mutants du Weapon X… ben on peut avoir des résultats du genre. Et des trucs bien plus violents que ça, aussi. »

Je me tais en percevant le regard éberlué d’une Liza qui ne m’a jamais entendu parler de technologies avant cela, enfin jamais de manière sérieuse. Ouais, le Casque MLC semble complètement stupide quand on y regarde à l’esthétique voire quand on en parle à un niveau création mais quand un truc incroyablement con fonctionne c’est que c’est du génie ; après, je dis pas que le Casque MLC fonctionne, disons plutôt qu’il fonctionne étonnamment bien considérant ce qu’il est. C’est pas donné à tout le monde d’augmenter sa résistance à la télépathie avec un micro-onde mais c’est bien là qu’évolue mon génie du Système D. Merci ma Chance aussi, au passage, sans laquelle mes idées et tentatives se solderaient probablement par du "nope" tant elles sont parfois improbables. Heureusement, l’improbable c’est ma spécialité. Et son champ de possibilité est vaste, très vaste, trop vaste pour que je m’y retrouve. En fait, mes inventions évoluent comme la nature : dans l’aléatoire et la sélection adaptative.

« Wesh, déclare-je en français à l’intention de Liza. Pourquoi tu crois qu’j’ai été acceptée dans l’Alliance avant toi ?

- Parce que tout le monde se moque de ta candidature alors que la mienne impliquerait que l’Ukraine se positionne officiellement comme côté Européen et ACE au lieu de la Russie et des Last Sons.

- J’t’accorde le demi-point, j’pense ap qu’tout l’monde s’en tape d’ma titularisation. »

Liza n’a pas l’air convaincu par ma croyance, ce qui fait qu’on est dans la réciprocité et qu’on ne s’y attarde pas ; en somme, c’est un bon débat puisque chacune repart de son côté encore plus convaincue qu’elle n’était en arrivant. Ma Chance merci, on a le bon sens de le faire rapidement histoire de ne pas trop nous déconcentrer.

« Aparté mise à part, reprends-je donc, en anglais cette fois, tout en m’accroupissant et en posant l’ordinateur portable sur le sol avant de l’ouvrir. Je vais voir ce que je peux trouver sur internet à propos de Dufortin. Et de ses entreprises. Je veux bien ses connaissances suspectes en Ukraine ; surtout celles qui pourraient être liées aux mouvements de population clandestins. Je ne sais pas si vous savez mais Amy est actuellement sur une affaire de trafique d’êtres humains au carré : à causer avec des migrants, j’ai appris que les passeurs avaient enlevés certains de leurs proches ; proches évidemment doués de capacités extraordinaires. Comme l’Italie est bien impliquée à ce niveau, Amanda a pris le dossier. »

Dossier qui intéressait surement les X-Men mais ça je le tais ; j’espérais bien rencontrer l’un de leurs membres à travers ça mais, à l’époque, la plupart des missions que j’ai rapporté aux Curie et à l’Alliance n’incluaient pas mon invitation à participer à la suite. Dommage considérant que la simple recherche d’affaires m’a rapporté deux des trois évènements les plus improbables de ma vie ; après je le vis bien, tant lesdits événements que le fait qu’on me laissait pas "trop" creuser quand j’avais trouvé une pépite lorsque j’étais encore dans la Section Junior. Aujourd’hui, les choses sont surement différentes. Enfin, si j’arrive à être moi-même différente. Continuant de taper sporadiquement sur le clavier et surtout de scroller les pages d’informations légales sur Emmanuel Dufortin ainsi qu’en me connectant à mon cloud, je poursuis mon idée sur comment faire cette différence.

« Concernant le vôtre, de dossier, j’ai une idée, continue-je en téléchargeant un dossier en parallèle de mes lectures. Mlle Tano, je suppose que Dufortin connait votre visage comme vos valeurs. Je peux vous aider en l’approchant à la fameuse réunion ; il connait surement ma tronche également mais pas mes motivations. Et, croyez-moi, c’est facile de réinterpréter toutes mes actions pour me faire un visage bien différent : j’ai intégré la Section Junior après un procès pour vigilantisme qui me condamnait à la maison de correction si je continuais, donc j’ai baisé le système. Partant du principe que je l’ai fait intentionnellement, je peux avoir continué dans cette lancée et pris contact avec les Hellions, par l’intermédiaire de l’ATB, afin de me rapprocher d’anciens membres du Club des Damnés. »

Le téléchargement terminé, j’arrête ma lecture pour ouvrir le dossier compressé et me relever en montrant l’écran à Ahsoka comme à Liza, lequel affiche sur une moitié les fichiers récupérés avec Maissa et Heather lors de notre mission improvisée au Manoir du Club des Damnés à Londres ; dossier que j’ai rapporté aux Braddock et dont j’ai gardé une copie pour faire suivre aux Curies comme de norme et à l’Alliance moi-même. L’époque où je tentais de prouver que je pouvais être utile porte des fruits inattendus, merci ma Chance comme toujours.

« Avec ces informations et la révélation que l’Alliance s’intéresse à lui, je dois pouvoir me présenter comme corrompue à Dufortin ; une alliée potentielle, en somme. Même si je lui demande, je ne pense pas qu’il se compromettra en acceptant de me verser une somme d’argent pour que je perturbe l’affaire ; cependant, on devrait quand même motiver un mouvement de sa part, qui pourra ainsi infirmer ou renforcer votre investigation. Ou au moins ralentir ses projets et foutre en l’air les éventuelles négociations qu’il comptait faire avec les gens extrêmement suspects dont vous parliez. En tant que télépathe, vous devriez pouvoir suivre tout ça en direct depuis mon cerveau et, avec Liza, intervenir à où il le faudra au besoin. C’est qu’une idée énoncée comme elle me vient mais… voilà. »

Je sais pas trop comment terminer ma tentative d’aide et j’espère que les gens ne se foutent pas autant de ma candidature que Liza le pense. En revanche, je me dis que de me poser des questions sur ce que je fais, sur le fait que je sois ou non une mauvaise personne comme Dom Anno l’argumente en traçant des parallèles entre nous… et bien c’est utile. C’est utile car c’est aisé de me faire passer pour une salope, du coup. Reste à l’interpréter correctement et va falloir que je me souvienne bien des cours de Franklin sur l’espionnage… Je suis dans la merde.