Bowling entre amis (PV - Adrian)

Elle était vivante. Je veux dire, je ne devrais pas être surpris. C’est une Eversfield. Et le clan Eversfield, comme le dit un de mes oncles, est increvable. Il n’en demeure pas moins que disparaitre d’un continent sans laisser de traces… Il faut le faire, quand même. Et échapper à mon œil de faucon aussi, il faut le faire. De qui je parle? Mais de ma cousine, bien sûr. Enfin. Une de mes cousines, il y en a tant.

Jennifer Eversfield, pour être exact.

Toute cette histoire avait commencé par une affaire de routine. J’avais décidé de prendre en charge quelques dossiers sur les mutants dont les morlocks, après ma rencontre avec Rogue. Après tout, si certains de nos citoyens, fussent-ils différents en apparence ou avec un statut douteux soient victimes d’abus de pouvoir, c’était à une autorité supérieure d’y voir plus clair. Le SHIELD, en l’occurrence. Parce que bon : pour lutter contre Hydra et compagnie, il faut cultiver les bonnes relations. Et comme Fury a plus le tour de répandre du sel au lieu de l’engrais sur le sol fertile de la diplomatie, on ne s’étonne pas trop que notre réputation soit catastrophique. Goodness gracious… Cet homme a autant de tact que Genghis Khan ou Attila le Hun. J’aimerais dire que je plaisante… Mais non.

Donc disais-je, une enquête de routine sur un incident avec des morlocks. En lisant le rapport avec la plus grande des attentions, j’avais lu les informations sur les témoins et visionné les caméras de surveillance. On ne sait jamais. S’il s’agissait de vandalisme banal, il y avait quand même moyen de demander une diminution de peine en invoquant les conditions de vie difficiles des morlocks. Il n’y a rien de bien passionnant dans… WHAT!? Impossible! Arrêt sur image… Agrandissement… Comparaison avec mes propres simulations… Sweet merciful me… C’était bel et bien ma cousine Jennifer. Sous un faux nom, à en croire les données des policiers et après avoir vérifié les identités mais… C’était bien elle. Ou alors, quelqu’un qui lui ressemblait énormément. Quoi que… Le flair d’un Eversfield pour trouver quelqu’un de sa généalogie est infaillible.

J’avais donc décidé de tenter une expérience : visionner les caméras à proximité de la salle de quilles elle-même près du lieu du grabuge pour voir si c’était une coïncidence de la trouver dans cette salle de quilles ou non. Selon ce que j’avais remarqué, ce serait ce soir la huitième semaine où ma cousine se pointait à cet endroit, avec une heure précise en guise de référence. C’est complètement irrationnel voire stupide mais je dois en avoir le cœur net. S’il s’agit bien de Jennifer, je dois le savoir. Je quitte donc le bureau pour la salle de quilles. Goodness gracious… Disons que mes talents pour les quilles sont somme toute limités. Si c’est ce qu’il faut pour revoir ma cousine, soit. Je me sacrifie.

Le trajet en voiture est relativement court et j’arrive à la salle avec des vêtements passe-partout. Comme je ne suis pas là pour une affaire officielle, je ne veux pas qu’on me reconnaisse aisément. Nonchalamment, je paie mon entrée, je ramasse une boule de quille et je vais m’installer dans l’allée juste à côté de ma cousine présumée. Et maintenant, observez ces talents d’acteur dignes d’un oscar. Au moment de m’élancer pour envoyer cette boule percuter ces quilles, je m’arrête à mi geste comme frappé par la stupéfaction. Comme dans un film au ralenti, la boule de quille tombe sur le sol…

« Jennifer? Is that you? Mais qu’est-ce que tu fais en Amérique? La dernière fois que nous nous sommes vus, c’était à Westminster chez l’oncle Patrick pour célébrer les cent un an de Maud Eversfield… Tu as disparu sans laisser de trace! »

On ne me la fait pas à moi. Je saurais reconnaitre un Eversfield même si je devenais aveugle. Et son non verbal ne trompe pas. Elle sait que je sais qui elle est. Elle a peut-être renié notre famille comme les autres l’ont renié mais pas moi. Jamais je n’abandonnerai un Eversfield. C’est plus qu’un nom pour moi. C’est bien, bien, bien plus. Et Jennifer est ma cousine. Quoi qu’elle fasse, elle le restera. Elle ne veut pas que je révèle qui elle est devant ses amis? Soit. Mais nous avons beaucoup à nous dire elle et moi. Je veux dire, on ne disparait pas du jour au lendemain sans raison.

Et elle me doit bien des réponses pour ces cinq années de recherche.

Je ne veux pas trop la forcer non plus, remarquez. Mais en même temps on ne peut pas simplement me dire : laisses tomber, Adrian. Ça je ne peux pas. Il me faut une explication. Crédible, il va de soi. Je veux comprendre, je dois comprendre. C’est dans ma nature. Et c’est quand même ma cousine préférée. Nous sommes une grande famille au sein des Eversfield. Ce n’est pas un mince exploit. Je les connais tous par cœur en plus de notre généalogie. Perte de temps, diront certains. Mais je ne suis pas d’accord.

Je lui laisse un peu d’air, bien sûr. Je ne veux pas avoir l’air d’un « stalker ». Mais elle n’en a pas fini avec moi. Je continue de l’observer. Elle est nerveuse. Voire bouleversée. Mais pourquoi? Elle devrait bien savoir que je ne suis pas son ennemi. Et à moins de suivre les nouvelles de façon très attentive, elle ne doit pas savoir que je travaille comme analyste pour le SHIELD. Mais il me faut la suivre et je récupère aussi mes affaires. Pas question de la laisser filer. Je m’adresse bien sûr à un autre employé. Il ne faut pas faire exprès non plus. L’enquête a relativement bien commencée et mes soupçons sont confirmés. Il n’y a plus de doute possible. Vais-je en glisser mot au reste de la famille?

Non. Non parce que si Jennifer a tenu à rester incognito tout ce temps là…

Bref. Elle se dirige vers la sortie et moi aussi. Dans ma tête, des dizaines de questions et autant d’hypothèses. Point de réponses, cependant, ce qui s’avère frustrant. J’ai beau être le meilleur analyste, la solution refuse de s’imposer d’elle-même. Je n’ai aucune donnée concrète sur laquelle me baser si ce n’est mon intuition. Et encore, c’est faible comme indice. Il va falloir obtenir les réponses à la source et j’espère, je dis bien j’espère, obtenir les réponses dont j’ai besoin de Jennifer. Ce puzzle se doit d’être complété et ce même cinq ans plus tard. J’attends que nous soyons relativement éloignés d’autres personnes pour reprendre la parole, relancer le dialogue. Je fais appel à sa raison.

« Allons Jennifer, inutile de jouer à ça avec moi. Tu sais que je connais notre famille par cœur. Sa généalogie et l’ensemble de ses visages. Ils t’ont renié parce que tu nous as abandonné : pas moi. J’ai cherché à te retrouver pendant cinq ans. Alors j’ai le droit de savoir pourquoi tu as disparu. Aies au moins le courage de me regarder en face tant qu’à me mentir comme tu viens de le faire. »

« Tu peux te mentir tant que tu veux Jen. Je n’ai jamais cessé de croire en toi. Je me suis battu pour toi. J’en suis venu aux poings avec certains membres de la famille. Parce que pour moi, que tu sois quelque chose que la nature a décidé ou que tu sois quelqu’un que tu as décidé d’être, tu étais, es et seras toujours une Eversfield. Parce que c’est plus qu’un visage ou un nom sur le papier. »

Jen, si tu savais… J’aurais volontiers sacrifié ma carrière au SHIELD pour t’apporter mon soutien. Je t’ai tendu la main et tu n’as pas voulu la saisir car à tes yeux, la réaction de tes parents, c’était la réaction de la famille toute entière. C’est en partie vrai mais tu sais que je t’ai toujours défendu et protégé. J’ai toujours été la star montante dans la famille. Mais cela ne veut pas dire que j’allais t’écarter pour autant et ça aussi tu le sais. Ou si tu feins de ne pas le savoir, au fond de toi tu ne peux nier ça. Pourquoi Jen, pourquoi avoir fait ça? Nous aurions pu en parler, je t’aurais hébergé, je t’aurais aidé. C’est profondément ironique. Je suis plus proche de mes dossiers que de bien des êtres humains. Mais une chose est sûre pour moi. Une absolue certitude.

Je l’ai retrouvé. Et je ne la laisserai pas filer. Non. C’est plus que ça.

Je ne l’abandonnerai pas.

« Jennifer, please, wait! On peut en discuter. Ne fais pas cette erreur. On ne choisit pas sa famille. D’accord. Si tu ne veux plus me voir comme ton cousin, celui qui dans les fêtes familiales racontait toujours les anecdotes amusants alors considères moi comme cette famille que l’on crée soi-même. Considères moi comme un ami. Je ne t’abandonnerai pas, Jen. Je ne t’ai jamais abandonné. Jamais.

Est-ce que j’ai même douté? Pas un instant. Il n’y a jamais rien eu d’autre qu’une absolue certitude pour moi. Ce que tes parents t’ont fait est odieux. Ce que la famille t’a fait impardonnable. Mais je suis là moi. Et Jennifer Eversfield sera morte à mes yeux quand je serai devant ton corps au salon funéraire, pas avant. Ne dis pas ce genre de choses. Tu as plus de valeur à mes yeux que bien plus de choses que tu ne le crois. »

Je continue à la suivre. Nous pouvons en parler. Dans un café, à mon domicile, chez elle, elle n’a qu’à fixer un lieu. Mais elle ne peut pas me demander en bonne conscience de juste la rayer de ma vie. C’est impossible. J’ai passé des années à la chercher en sachant que l’on m’accusait de me bercer d’illusion. C’est ma persévérance et ma ténacité qui m’a permis de la retrouver. Et si elle veut fuir? Je l’ai retrouvé une fois. Je la retrouverai à nouveau. On ne fuit pas son passé. Tôt ou tard il finit par vous rattraper. Je le sais mieux que bien des gens et je suppose que Jen le sait aussi. Ce n’est pas un concours de celui qui a le plus souffert, de toute façon. C’est juste… Je ne sais pas…

Une sorte de grand frère protecteur devant sa jeune sœur.

Le lien de proximité n’est pas le même dans notre cas mais j’ai toujours été ainsi. Là pour ma famille. Pour toute ma famille. Sans exception. Même pour toi, Jen…

Si je ne comprenais pas sa réaction, je pouvais la respecter. C’était le strict minimum. D’accord. Elle ne veut plus être considérée comme une Eversfield. Sur le papier, c’est bon. Pour moi elle le restera toujours malgré tout. Et ce n’est pas pour lui manquer de respect. J’ai espoir qu’un jour on puisse réconcilier la famille. C’est probablement naïf et utopique mais si on ne croit en rien de bon ou de bien dans la vie, à quoi ça sert de rêver et de vivre, bon sang? J’avoue que je suis déçu de Jennifer. Abandonner si facilement et me traiter pratiquement comme un indésirable… Je ne prétends pas comprendre ce qui lui est arrivé mais je peux comprendre sa détresse. Ceci dit, elle se comporte comme quelqu’un refusant d’affronter le problème en face.

Je veux t’aider Jennifer. À défaut de le faire en tant que cousin, je le ferai en tant qu’allié.

Peut-être que c’est moi le problème. Que je vois trop le verre à moitié plein. Qu’il faut que j’accepte que certaines personnes préfèrent abandonner plutôt que de persévérer dans une voie. Encore une fois je suis déçu. Pas dégoûté ou furieux après Jennifer. J’ai bon espoir que c’était un choix mûrement réfléchi. Je souhaite de tout mon cœur qu’elle n’ait simplement pas choisit la situation la plus facile et hop, merci, bonsoir. Ce sera difficile de ne rien dire au reste de la famille mais en même temps, ma loyauté va aussi aux membres individuels des Eversfield. Même si elle ne se considère plus comme tel.

À défaut d’être ton cousin comme tu renies ta famille, laisses moi être ton ami, Jen.

J’ai vu trop d’individus de son âge ou à peu près mal finir. Disparaitre ou alors être condamnés à la souffrance et à la misère. Je doute que ce soit le cas de Jennifer à 100% mais il est clair qu’il y a encore du méchant à faire sortir de sa, de ses blessures. Je voudrais simplement… Comment dire… Simplement qu’elle me voit pour ce que je suis. Pour qui je suis. Quelqu’un qui lui veut du bien. Je ne comprends pas mes compatriotes, les autres êtres humains. Je déteste mentir et je n’hésite pas à mettre mes tripes sur la table. Alors pourquoi, pourquoi toujours cette attitude comme si j’étais l’ennemi ou l’obstacle? Je ne lui veux aucun mal. Au contraire, je ne veux que son bien et son bonheur. Il me semble que c’est simple à comprendre, par mes paroles et mon attitude.

Une chose est sûre : je ne t’abandonnerai pas, même si tu me le demandes.

« Soit. Si c’est ce que tu veux. Jennifer Eversfield est morte, vive Jennifer. Je ne suis plus ton cousin mais ne vas penser pour autant que je deviens alors un inconnu. Je suis ton allié malgré tout et que tu le veuilles ou non, je t’ai retrouvé et je recommence à faire partie de ta vie. Tu vas devoir t’y faire. Si tu veux que nous gardions une certaine distance, soit. Mais je le redis. Je ne te laisserai pas tomber. »

À moins de vraiment vouloir faire une scène ou s’en prendre physiquement à moi, il y a matière à compromis. Et c’est tout ce que je demande. Je suis prêt à mettre de l’eau dans mon vin. Beaucoup d’eau. Mais pas à remplacer le vin par l’eau. Je ne sais pas pourquoi elle tient à entrer dans ce restaurant mais bon. Je la suis. Et on verra bien. De toute façon je ne m’en fais pas trop. Je vois difficilement pourquoi elle nous mettrait volontairement en danger. Remarquez que ce serait en même temps brillant. Elle se doute que je n’hésiterai pas à me sacrifier pour elle : je le lui ai dit ou laisser sous-entendre de toute façon.

« Allons Jen tu exagères. Je n’ai jamais dit ni même insinué que tu puisses avoir commis le genre de dérapage auquel tu fais référence. Je ne te demande pas non plus de devenir ton meilleur ami. Pendant deux minutes, inversons les rôles. Je vais essayer de m’imaginer ce que tu as vécu et tu feras de même dans mon cas. Comment réagirais-tu si après cinq ans de recherches et d’espoir tu retrouvais quelqu’un?

C’est facile pour toi de dire je suis heureuse, j’ai refait ma vie, laisse-moi tranquille. Je ne te ferai pas l’offense de dire que c’est égoïste car j’aurais très probablement agit de la sorte également. Prendre mes distances et travailler d’arrache-pied à un nouveau départ. BUT! Si quelqu’un que je connais et qui est loin d’être un inconnu me proposait de m’aider selon les termes que JE veux, j’aurais un minimum de gratitude! »

Décidément je dois avoir manqué un épisode ou deux car elle parle comme si j’avais proféré des énormités que je n’ai jamais dit. Elle me traite presque comme un indésirable. Goodness gracious, ouvres les yeux Jen! Je ne suis PAS ton ennemi. Je vais garder ton secret, ne rien dire, j’ai même accepté de faire l’impensable et de ne PLUS te considérer comme une Eversfield. J’ai fait bien plus que ce que ma nature, mes valeurs et mes convictions me demandent et au lieu de mettre de l’eau dans ton vin, tu continues d’être hostile. Dit simplement, je voudrais bien savoir : c’est quoi ton problème à la fin? Mais je ne peux bien sûr pas demander les choses ainsi. Le but n’est pas de déclencher une dispute mais bien de comprendre. Et puis bon sang, je commence à me demander si je n’ai pas changé de dimension depuis quelques mois. Pourquoi je dis ça?

L’entraide fut pendant longtemps une valeur prisée par les communautés humaines. C’est un fait. Je lui propose de l’aider, sans arrière-pensée, motivé uniquement par la perspective de pouvoir renouer avec un fantôme qui réapparait cinq ans plus tard et elle me traite presque comme… Oserais-je le dire? Un détritus! Un peu mélodramatique d’accord mais bon sang, c’est le sentiment que j’ai. On me dira, cesse d’insister Adrian, oublies la. La lâcheté ne fait pas partie de mes principes. Jeter la serviette, ce serait faire ce que Jennifer désire sur le moment. Veut-elle vraiment me rayer de sa vie? Je ne sais pas. J’espère que non. Mais je comprends la charge émotive qu’elle doit porter. Jen si seulement je pouvais trouver les mots pour te rassurer? Je ne suis pas ton ennemi. Et je ne veux pas le devenir non plus. Très certainement pas. Jamais dans cent ans.

« Expliques moi une chose Jen. Calmement, posément. Instruits moi. J’ai cherché à te retrouver pendant cinq ans, ce qui veut dire que je crois en toi. J’ai accepté de violer mes principes fondamentaux en acceptant de ne plus te considérer comme une Eversfield pour pouvoir faciliter nos échanges futurs. J’ai besoin de comprendre. Même si tu as maintenant une nouvelle vie, pourquoi cette hostilité?

Je le redis. Je ne suis pas ton ennemi. Mais je ne suis pas un chiffon non plus et aussi égoïste que cela puisse paraitre, je n’ai pas passé cinq ans à te chercher pour me faire rejeter comme une vieille chaussette nauséabonde et trouée. Si tu as ne serait-ce qu’un gramme de respect pour moi tu peux bien faire l’effort de comprendre que si j’insiste c’est de moi à toi, sans considération familiale mais bien deux individus propres et distincts, non?