Lettre aux Luchadores

Chers membres des Luchadores,

Si je vous écris ceci, c’est pour éviter d’avoir à vous confronter sur le sujet ; peut-être par lâcheté, peut-être par facilité. Qu’importe. Je suis contente d’avoir trouvé en vous des gens décents qui, j’en suis sure, contribueront à améliorer le monde au-delà des discours sécuritaires si souvent mis en avant. Malheureusement, je crains que nos chemins ne se séparent.
Comme moi, vous avez probablement des appréhensions suite à la récente élection brésilienne.
J’ignore si vous ressentez cette même lassitude amère, cependant je ne m’écarterai pas du sujet. Il est probable que vous le connaissiez mieux que moi, reste à savoir si cela accroit votre espoir ou votre désespoir.

Le temps du parrainage de la Justice League et des combats contre la Reine du Sud doit vous sembler bien loin. Déjà, à l’époque, vous deviez faire de votre mieux avec des moyens modérés, un soutien financier faible et des membres peu nombreux. La dissolution de vos mentors vous a laissé plus de libertés, même si elles se sont accompagnées de nouvelles difficultés, et celle de votre adversaire vous a donné votre crédibilité, bien que la victoire soit en demi-teinte. A tort peut-être, je pense que c’est cette difficulté qui vous apporte votre nuance. L’ambassade de Themyscira sur votre territoire vous a peut-être donné un coup de pouce mais, même sans elle, j’ai la ferme croyance que vous auriez été capable de vous débrouiller. Oui, les évènements de Santa Prisca ont été un coup dur mais, comme toujours, vous avez fait au mieux avec les moyens qui vous étaient donnés. Vos efforts ont été récompensés : alors que la majorité vous voyait sombrer en même temps que la Ligue des Justiciers, vous avez connu une ascension fulgurante grâce aux stratégies politiques et économiques de Mr Leandro. Vous auriez pu devenir les protecteurs de l’Amérique entière. Vous avez été trahis. Moins par les Vengeurs que par le Brésil, l’Argentine, le Mexique et tous les autres gouvernements ayant négociés avec eux pour vous écarter. Les populations continuaient de vous soutenir mais l’absence de moyens et de soutiens financiers ainsi que les pertes infligées à votre équipe vous ont laissé plus affaiblis que jamais. Cependant, vous avez survécu. Vous avez remonté la pente.
Vous m’avez aidée à en faire de même, également ; chose pour laquelle je vous en remercie, particulièrement Alida et Amara. Lorsque je suis venue à l’encontre de la première, j’avais espoir de réussir à faire ce que j’avais échoué envers les Last Sons, de pouvoir aider de manière analogue au Wakanda. J’ignore si, comme Wonder Woman, vous percevrez ce que je fais comme une trahison. Si tel est le cas, je le prendrais comme un compliment : que je vous trahisse implique que vous m’ayez fait confiance. Fort heureusement, les compliments me concernant sont rares. Vous ne pouviez pas me surveiller pendant que j’agissais, à la place vous m’avez encouragée à prouver que je n’avais pas besoin d’être surveillée pour agir. Pour moi, il s’agissait principalement de bon sens, considérant que je perdais plus à ne pas jouer le jeu, mais je pense que, pour vous, il était question de confiance. De me faire confiance. Certains d’entre vous ont dû comprendre que j’ai beaucoup de problèmes avec la confiance, préférant généralement m’en passer ou m’en assurer via mes phéromones. Ces mêmes personnes doivent savoir que j’ai vraiment essayé. Je crois que c’est pour cela que vous m’avez donnée ma chance, d’ailleurs. J’ai fait de mon mieux, cela aurait peut-être suffit si les circonstances n’avaient tourné ainsi. Je parle bien évidemment du sujet de cette lettre, l’élection au Brésil et ses conséquences.

Je me demande ce qui serait le pire pour vous : que le gouvernement vous trahisse à nouveau, comme cela a été fait par le passé, ou qu’il vous garde et vous utilise, comme cela arrive dans d’autres parties du monde. Dans les deux cas, vous serez les mains liées face aux actions que son dirigeant a l’intention d’accomplir. Je connais suffisamment d’entre vous pour savoir qu’elles vous révulseront. Cependant, je ne crois pas que vous irez à leur encontre. Tout nocif qu’il puisse être, le futur gouvernement brésilien est légitime ; votre devoir sera donc de le défendre, s’il vous garde comme protecteurs, ou de le laisser tranquille, s’il vous congédie. Je me doute bien que la situation sera plus complexe que cela, notamment vis-à-vis des intentions de reprendre les terres aux indigènes et du conflit que cela va entrainer avec la Nouvelle Rome, mais je n’ai pas besoin de plus pour prendre ma décision ; chose qui ne devrait pas vous surprendre non plus. Rien de surprenant dans cette lettre, en somme. Vous avez vos choix à faire face à ces événements, tout comme moi. A nouveau, votre groupe risque de connaitre turbulences et difficultés, face auxquelles vous ferez front commun jusqu’à vous en sortir meilleurs qu’auparavant. Vous l’avez déjà fait et le referez encore, cela fait parti de votre histoire, de vos talents. Je suis curieuse de voir jusqu’où vous élèveront ces nouvelles épreuves. Je ne crois cependant pas en être.
Quand j’ai recommencé ma croisade végétale, j’étais persuadée que seule une violence révolutionnaire et l’utilisation de mes phéromones me permettraient d’arriver à mes fins. Comme d’autres, vous m’avez montré qu’il était encore possible de coopérer. Ce n’est cependant pas toujours le cas ; cela dépend des interlocuteurs. Dans les autorités brésiliennes à venir, je n’en vois plus. Je me retrouve à présent face à un choix, un choix qui en décevra certains et confortera d’autres dans leur opinion qu’ils ont de moi. Oui, je vais devoir "régresser" ; je me demande simplement comment. Mon père disait que les questions apportent des problèmes mais, quelque soit la formulation que je vais employer, les problèmes arriveront. Autant poser les questions directement, donc. Dois-je me tenir au côté des amérindiens et des autres "activistes écologistes chiites" contre lesquels la violence croit déjà, redevenant une criminelle révolutionnaire risquant les vies de ses enfants et de ses alliés pour une cause que beaucoup considéreront perdue d’avance ? Ou bien dois-je sacrifier les espoirs que vous avez placés en moi, usant de mes phéromones pour limiter la bêtise des hommes et que vous puissiez poursuivre ceux que nous partageons ? Il n’y a pas de bons choix, j’en suis consciente. Il n’y a que des mauvais choix mais le moindre mal me semble évident.

J’ai fait de mon mieux pour agir selon vos règles. Cependant, au Brésil, ce sont celles de Santa Prisca qui vont entrer en vigueur. Si j’ignore comment s’est déroulée la cohabitation entre les premiers Luchadores et la dictature militaire brésilienne dans les débuts de votre organisation, je sais que vous serez capables de survivre aux nouvelles épreuves que les politiques de vos protégés vous infligeront. Cependant, je ne laisserai pas cela arriver à mes propres protégés.
Comme moi, vous avez probablement des appréhensions suite à la récente élection brésilienne. Contrairement à moi, vous ne pouvez rien faire pour empêcher que le pays ne régresse de trois décennies.
Si je vous écris ceci, c’est pour éviter d’avoir à vous confronter sur le sujet ; peut-être par lâcheté, peut-être par facilité. Qu’importe. Je suis contente d’avoir trouvé en vous des gens décents qui, j’en suis sure, contribueront à améliorer le monde au-delà des discours sécuritaires si souvent mis en avant. Malheureusement, je crains que nos chemins ne se séparent. Je vous en prie, ne me rendez pas la tâche plus difficile qu’elle ne le sera.

Une dernière fois merci, pour tout. Et désolée, pour cela.