Léger soupir. En d'autres circonstances, il pourrait passer pour de l'exaspération, mais le sourire qui l'accompagne indique clairement qu'il est de satisfaction. La Reine Blanche se penche par dessus la rambarde et observe ce petit bout de femme qui fait bouger cette foule. Certains verraient une mutante qui peut manipuler les sons et les lumières. D'autres la stigmatiseraient, la réduisant à une créature dangereuse et qu'il serait nécessaire de contrôler, voire d'enfermer, sous prétexte qu'elle pourrait, d'une simple pensée, tuer, mutiler, torturer… Elle n'est ni l'une ni l'autre. Son véritable pouvoir n'est pas de manipuler les sons et les lumières, mais d'émouvoir les gens par ses créations musicales. Avoir des capacités ne vous donne le talent de les utiliser à bon escient.
Emma plisse les yeux pour mieux voir la scène, et dans son esprit, elle est reconnaissante. Elle qui se bât pour que les mutants soient reconnus et appréciés, pour qu'ils puissent être intégrés à la société humaine comme n'importe quel individu, elle ne peut rester indifférente devant ce spectacle. Ici, humains et mutants sont venus voir un concert donné par une mutante. Cette petite femme fait en une heure cent fois plus pour la cause mutante que d'autres avant elle. Elle est la preuve que les mutants sont capables de vivre avec les humains, que l'harmonie est possible, qu'ils ne sont pas plus dangereux que n'importe qui d'autre, dans un pays où l'on peut porter une arme à feu sur soi. Son message est un message de paix, clair, limpide sans controverse possible.
Une heure plus tôt, elle ne voyait pas ce concert avec le même regard. Elle avait refusé de se faire conduire par un chauffeur, parce qu'elle aimait trop tenir elle-même le volant pour se priver de ce petit plaisir. Et puis, il y aurait de toute façon un voiturier qui s'en occuperait pour elle, elle n'avait pas à s'inquiéter de la laisser sans surveillance. En descendant de sa Ford Mustang décapotable, blanche, bien entendu, elle avait libéré sa télépathie pour s'assurer que ses quelques Hellions étaient bien positionnés à l'extérieur du bâtiment. Il était évident que l'organisation avait dû prévoir un système de sécurité très poussé, ainsi qu'une belle collection de vigiles aux épaules larges et au front plat, mais elle préférait avoir ce qu'il fallait sous la main, juste au cas où les choses se compliqueraient un peu.
Elle avait déposé avec délicatesse ses clés dans la main du portier, puis avait entrepris de rentrer dans le casino par la porte des VIP. L'endroit était bien aménagé, et qui qu'en fut le responsable, il n'avait visiblement rien laissé au hasard. Des caméras étaient disposées régulièrement, sans laisser le moindre angle mort, tout était délimité et indiqué avec une telle précision qu'il était impossible de feindre la confusion pour justifier être dans un lieu interdit. Gravir les marches jusqu'au balcon avait été le plus aventureux. Entre sa robe droite, blanche évidemment, qui lui serrait les cuisses jusqu'aux genoux malgré la fente d'une dizaine de centimètres à l'arrière, et ses talons hauts, elle se remerciait d'avoir un tel entrainement pour savoir comment progresser dans cette adversité sans y entâcher sa dignité et son amour propre.
Les figures autour d'elle étaient celles que l'on recroisait à chaque événement mondain. Elle reconnut plusieurs visage dont :
- Le bel héritier Bruce Wayne, qui, disait-on, à lui seul, pouvait renverser tout Gotham City en réclamant simplement ses dividendes
- Ce qui semblait être un trio de Vengeurs, qui, soucieux de se déplacer incognito, criaient par la banalité de leurs vêtements, dans un carré VIP
- Un jeune homme dont le visage était particulièrement familier pour Emma. Elle savait l'avoir croisé, sans pouvoir mettre le doigt sur les circonstances réelles de cette rencontre.
Elle se doutait que quelque part, Tony Stark devait être en train de boire en provoquant ouvertement la première victime qui passerait sous sa main, tel un enfant gâté qui crache sur le monde dont il dépend. Emma avait saisi une coupe de champagne, et restait bloquée sur l'identité du jeune homme qu'elle avait aperçu plus tôt. Elle cherchait tellement cette information qu'elle en avait ignoré une interlocutrice qui s'était approchée d'elle. Elle avait dû se contenir pour ne pas sursauter.
« Oh, Amber, excusez-moi, j'étais perdue dans mes pensées. Je suis impardonnable, je ne comprends vraiment pas comment je n'ai pas pu vous voir arriver. »Ou l'entendre. Amber Watilon était de ces personnes qui ne peuvent pas passer inaperçu, et qui pensent encore que l'extravagance de leur apparence suffit à donner l'illusion d'une personnalité, qui, une fois le verni gratté, est aussi creuse que le programme politique de Donald Trump est vide de tout argument logique.
« Vraiment, cette assortiment d'un top bleu à paillette et d'un boa en ermine est d'une audace impressionnante. Vous allez attirer tous les regards. »Inutile d'écouter sa réponse, elle pouvait se résumer en trois points :
- Elle allait préciser qu'elle voulait pourtant faire simple et ne pas attirer l'attention, ce qui ne laisse que deux possibilités : soit elle est malhonnête, soit elle est d'une stupidité affligeante, assortie d'un manque de goût inégalé à ce jour
- Elle allait expliquer qu'elle était riche/célèbre/enviée/modeste (n'importe quelle combinaison des quatre)
- Elle allait à nouveau demander s'il était possible d'obtenir par télépathie des preuves de l'infidélité de son Nième mari pour qu'elle puisse demander le divorce et ainsi obtenir justice, car bien sûr, le préjudice valait bien une pension de plusieurs millions.
« Je comprends bien Amber, mais il serait inéthique de ma part d'user de télépathie à des fins personnelles, ou pour aider une amie aussi proche. Je compatis énormément, et j'en suis peinée, mais, vous comprenez… C'est-à-dire que... »Il est un temps pour la discussion, et il est un temps pour l'action. Las de ces éternels échanges, Emma s'en était résolue à convaincre télépathiquement Amber Watilon d'une soudaine et irrésistible envie d'uriner. La vie est une question de priorité, et le concert allait commencé.
La Reine Blanche sourît à cette évocation de son début de soirée, les coudes toujours posés sur la rambarde. Elle finît par s'en détacher et par se balancer au son de la musique. D'abord légèrement, puis avec de plus en plus d'entrain, car au fond, n'était-elle pas là aussi pour ça ?
« Je ne vous entends pas! Est-ce que vous allez bien?!? » Elle avait envie de crier, mais se retint, et se contenta d'applaudir de toutes ses forces au-dessus d'elle, alors que sa tête continuait à osciller, penchée vers l'avant, souriant, riant presque, de joie.