Certaines personnes se prennent pour des espions... [Abigail]

Je pouvais pas croire qu’ils nous avaient autant pris pour des imbéciles. Les nouveaux qui traînent dans les zones pour mutants à problèmes, on les repère vite, surtout depuis que je traite moi-même leurs dossiers. Une tête inconnue ne l’est jamais longtemps, on l’archive, on la fiche et on essaye de remonter dans son passé. Les aspirants révolutionnaires qui crient haut-et-fort leur allégeance à la Confrérie, ça ne manque pas. Mais les véritables recrues sont rares. Il faut des personnes de confiance, pas des petits rebelles frustrés qui veulent démolir de l’humain parce qu’on les a persécutés dans leur enfance… Sauf s’ils ont assez de respect pour la hiérarchie et ne risquent pas de prendre des initiatives débiles seuls. Après les « Che » des mutants, viennent les gamins pleins de bonnes intentions et lâches au possible quand il faut passer à l’action, puis, plus occasionnels mais aussi plus dangereux, les espions. Il s’en pointe peut-être un véritablement sournois dans l’année, un qui justifie à lui tout seul de fouiller en détail l’intimité des autres. Je crois que le S.H.I.E.L.D sous-estime encore trop notre organisation. Je vais pas me plaindre, c’est toujours rassurant de pouvoir vérifier qu’on a un coup d’avance, quand les fouineurs en sont encore à croire qu’il suffira de montrer patte blanche pour se payer une murge dans notre planque. Randall se prenait pour un infiltré. Ce n’était pas son vrai prénom bien sûr, une fausse identité à peine maquillée. En fait, c’était simple, il n’y avait rien de vérifiable, même pas son lieu de naissance. Tu parles d’un travail ! Et même si Randall avait été assez doué pour, à l’inverse, dissimuler sa vie entière, ça restait carrément louche. Donc ce charmant jeune homme – car oui, il était plutôt mignon, fallait bien ça aussi pour tenter d’endormir les soupçons – avait laissé courir pendant des conversations peu discrètes des idées dites « terroristes » et laissait entendre qu’il cherchait une certaine Fetch. Ça arrivait de temps en temps, les gens assez bien renseignés qui voulaient entrer en contact avec la Confrérie arrivaient à sortir ce nom.

Forcément, ça ne nous a pas échappé. Avant que Fetch ne le rencontre, je me suis assuré que le profil du type ne représentait pas de gros risques. Et… je ne dirais pas que j’ai pu le faire avec une facilité déconcertante, mais presque, en une bonne nuit de travail je suis remonté vers le S.H.I.E.L.D. A partir de là, gros problème. S’ils sont décidés à faire de l’espionnage et que leur tentative minable échoue – et elle va échouer – on va avoir droit à quelque chose de plus élaboré plus tard. Du coup, il faudra être prêt à anticiper d’autres intrusions mais en attendant, le mieux à faire reste de s’amuser un peu, vu qu’ils semblent vouloir jouer. Avec Aby, on a décidé de ne pas ébruiter notre découverte. On pouvait gérer ça tous seuls, et puis ce serait moins drôle si quelqu’un essayait de se glisser dans notre duo. Je suis pas excellent pour le travail d’équipe, sauf quand mon partenaire me connaît assez bien pour me suivre dans tous les délires qui me percutent. Alors quand on parle de se payer la tête d’un agent du shield, faut quelqu’un qui a l’habitude de partir dans ce genre de plan avec moi, qui n’oserait pas non plus me dire à un moment que je vais trop loin dans l’humiliation ou autre. Je ne fais jamais rien que tester les limites, si l’autre charge comme un bœuf, c’est pas mon problème, au pire ça me fera bien rire. On l’a donc accueilli ensemble, et je lui avais sorti un déguisement spécial pour l’occasion, genre gangsta portoricain, avec grosse chaînes, tresses serrées, teint très mat et yeux verts. Pour lui, j’étais devenu Rico (bon ok, j’ai hésité avec Sancho), la jeune recrue un peu vénère qui fallait pas trop chercher. Il était convaincu que mon pouvoir était de faire sortir des lames de mon corps – tellement ridicule non ? – et j’en abusais largement. En fait, il devait me prendre pour une espèce de fou furieux qui parle tout à fait littéralement quand il déclare vouloir hacher de l’humain menu et le dévorer tout cru. Pour que ça ne soit pas trop gros quand même, le rôle de Fetch pendant l’entretien avait été de me contenir parce que « faut pas lui en vouloir, il est encore plein de fougue, mais il va apprendre ». Je ne m’attendais pas à terrifier un agent surentraîné, et mutant de surcroît, mais à le perturber. Quand on est perturbé, on réfléchit moins bien. Puis après cette première mise en situation, il devait franchement se demander dans quelle sale histoire il s’était embarqué.

On lui avait proposé de nous retrouver demain pour sa première mission d’initiation. Et là, on allait vraiment rire. Il fallait juste se mettre encore d’accord sur les détails. Perso, je suis assez partisan d’aller le plus loin possible dans la manipulation, mais je n’en ai pas encore parlé à Fetch. Je ne sais pas si elle suivra, préfèrera un truc un peu plus sympa ou utile pour notre groupe. Une fois l’énergumène relâché dans la nature, je l’invite donc à quitter l’entrepôt qui nous a servi de base de fortune pour gagner une cave un peu plus cachée, dans laquelle je doute qu’on puisse nous espionner. C’est le genre d’endroit lugubre où on trouve des bouteilles vides, des seringues éclatées, des vieilles couvertures élimées et même un fauteuil roulant dont on a pas la moindre idée de comment il a pu arriver là. En tout cas, je me laisse tomber dedans après avoir allumé l’ampoule jaunâtre du plafond et je ricane doucement. Mon apparence redevient normale, si ce n'est que je porte un sombrero coloré sur la tête.

- Yeaaah Rrrico a tout déchiré ! Enfin, on a tout déchiré… Mais dis, comment tu me trouves en bad boy latino, j’ferais des ravages tu crois pas ? Je devrais envisager une reconversion !

Pour l’instant, j’ai juste envie de savourer le fait que je me suis bien marré. Je présente la main à ma complice pour lui faire un check. Pour mes idées, on verra après. J’ai dit à Aby que j’avais pensé à des trucs plus ou moins sérieux, ce qui peut donc aller de la grosse connerie à quelque chose de très grave. Peut-être qu’elle a des idées aussi. En tout cas, depuis qu’on a décidé de se moquer de « Randall », j’ai presque un nouveau scénario par heure, je suis limite déjà frustré de devoir n’en choisir qu’un seul… ou de renoncer aux plus grandioses sous peine de se faire repérer trop vite.

Et voilà qu’elle revient sur son histoire de Jackie Nicholson… No way, une caricature oui, mais une caricature crédible. Si l’infiltré nous prend pour des guignols et non pour des types un peu bizarres dans leur tête, on risque de le perdre trop vite. En tout cas, j’avoue que ça m’avait bien fait rire sur le coup. En fait, tout le travail préparatoire avec Abby a été un pur moment de plaisir. Il n’y a qu’avec elle que je peux bosser en me marrant autant, les jambes écartées avec des bières devant la télé à préparer un plan beaucoup plus sérieux qu’il n’en a l’air quand même. Erl par exemple, est aussi un bon partenaire, mais il attend des choses plus cadrées. Dès que je commence à dériver en imaginant une centaine de possibilités intéressantes, il casses mes rêveries pour me mettre dans le droit chemin. C’est pas forcément un mal. Mais en revenir à la base, avec quelqu’un qui a un style plus proche du votre, ça fait toujours du bien. Pendant nos séances cinéma, on a eu beaucoup trop d’idées débiles pour que je puisse vous en faire la liste, quoique la liste existe. On s’est retrouvé à relever tous les moments amusants à chorégraphier en vrai dans un film d’espionnage, les personnages à tester, les répliques trop clichées à envoyer avec pour défi de rester parfaitement impassible. Malgré la somme incroyable de bêtises qui a pu se dire dans la fougue de l’instant, on a tout de même su se montrer raisonnable pour passer à l’action. Je m’étais surtout accroché dur comme faire à mon rôle de voyou. C’est sexy les voyous. Je suis sûr que je devrais garder la cicatrice de lame crantée que je me suis spécialement fait sous l’œil pour l’occasion. Fetch est restée Fetch. Elle a un peu boudé d’être encore obligée de se coller le rôle le moins « drôle » mais j’y peux rien si j’ai plus de talents pour le déguisement. Sélection génétique. Néanmoins, je préfère lui retourner un arrogant :

— Tu incarneras un autre personnage que toi-même le jour où tu auras une meilleure idée que moi !

Je sais qu’elle me déteste. Je lui fais un grand sourire. J’aime qu’on me déteste. Mais je peux aussi me montrer sérieux et si nous passons le restant de l’heure à nous chamailler, la première mission risque de se faire anormalement attendre. J’essaye de ne pas trop prêter attention à la pique qu’elle me retourne pour me concentrer sur la suite de ses paroles. Maintenant que le poisson a mordu à l’hameçon, va falloir bien le ferrer et pas faire n’importe quoi. Mon dieu, cette métaphore était nulle, je manque d’inspiration moi aussi parfois. Il y a plusieurs points sur lesquels on a pu se mettre d’accord. Tromper un espion du Shield peut nous faire passer pour plus malins qu’on ne le souhaiterait. Si on peut se moquer de l’espion, il ne doit pas comprendre que nous l’avons grillé, sinon, on s’oppose à des problèmes d’infiltration beaucoup plus sévère. En attendant qu’on fasse un bon gros coup d’envergure aux States, Abby tient à ce que la Confrérie continue à ne pas être prise très au sérieux, et je suis parfaitement d’accord là-dessus. Donc, même si cela m’attriste, je peux dire au revoir aux vidéos humoristiques impliquant un agent du Shield à l’adresse de Nick Furry. On ne doit pas non plus l’envoyer sur quelque chose apparemment trop costaud. Ils pourraient croire qu’on cherche à tuer nos pauvres recrues. Il faut le tester avec quelque chose de léger, laisser penser que nous ne sommes plus le principal groupe terroriste anti-mutant à surveiller pour que le Shield aille embêter les groupes secondaires qui torpillent tout notre boulot avec leurs discours révolutionnaires à trois cents. Après une réflexion intense, je me lance :

— Il faut qu’on donne l’air d’une organisation en difficulté mais réfléchie, pas le genre à faire confiance à tous les nouveaux qui débarquent en les envoyant sur des choses que même des spécialistes du renseignement ne pourraient pas trouver, sinon, il va finir par comprendre qu’on se paye sa tête… On devrait lui faire une vraie initiation, en partant du principe qu’on ne peut pas lui faire confiance tant qu’il n’a pas couché avec moi. Qu’est-ce que tu en penses ? Il était mignon non ?

Oui, je plaisante, et je ne devrais pas. Mais il n’empêche que je serais parfaitement capable d’abuser au maximum psychologiquement ou émotionnellement un agent malhabile du Shield qui veut bien faire et a peut-être besoin de réussir cette mission à tout prix pour obtenir une promotion. Ce serait si drôle de voir jusqu’où il serait prêt à aller et profiter de lui s’il finit par me céder du terrain. Sauf que c’est un raisonnement inutile de psychopathe. Trop de bonnes idées sur le papier ressemblent à des plans de gros cinglé en vrai. Je trouve ça décevant. Avant de faire trop dévier la conversation sur des considérations sans grand intérêt, j’essaye donc de me rattraper en envisageant avec un réel sérieux la question cette fois :

— Si vraiment ma première proposition ne t’emballe pas, j’avais pensé à autre chose… On peut l’envoyer au moins une fois sur une cible que l’on pense un dangereux activiste anti-mutant. De fait, il sera vérifiable que la personne a des idées non compatibles avec notre existence mais il s’avèrera une faible menace, par contre, ça pourrait être aussi ce monsieur tout-le-monde parfaitement inoffensif pour la société mais qui a des choses illégales à cacher quand on fouille dans ses affaires, tu vois ? Des choses que les actions de notre nouvelle recrue va faire ressurgir en rendant inévitable l’arrestation de la cible. J’y vois un triple avantage, dis-je en y joignant le geste, on envoie en prison quelqu’un dont on approuve pas les idées de toute façon, Randy vivra mal d’avoir détruit la vie d’un type qui n’avait rien demandé, et le Shield nous prendra pour de sérieux glandus. Si tu veux, j’ai déjà préparé quelques profils susceptibles d’avoir au minimum la cyber-police sur le dos. Après, on peut aussi le diriger vers les autres groupes mutants qui nous posent problème mais c’est pas forcément le plus pertinent pour une première mission je pense. Et toi, des idées ?

Après avoir bien réfléchi au sujet, ce que je propose me semble le plus pertinent pour commencer mais je peux aussi me tromper. J’ai souvent le défaut de privilégier ce qui m’amuse en oubliant le fait que certains pourraient peut-être trouver ça exagéré. Cependant, nous devons avoir l’air à moitié paumé, et j’ai pas forcément envie de faire de cadeaux à un mec qui s’imagine pouvoir nous la mettre à l’envers. Alors, pourquoi pas ?

Une boîte de prostitution ? Abby va loin quand même. J'ai pas parlé de lui réclamer de l'argent à ce type ! Mais ce qui est certain, c'est qu'il risque de se poser de sérieuses questions sur notre organisation et croire un peu trop vite qu'on l'a percé à jour. Après, on sait jamais ! Je suis prêt à soutenir sans faiblir que l'ordre hiérarchie de la Confrérie a pas mal changé en quelques années et qu'on a choisi de renforcer les liens entre coéquipiers en pratiquant un mode de vie libertain inspiré d'antiques cultures païennes où les guerriers étaient honorés d'être demandés sous la tente de leur chef la nuit afin de leur faire partager un peu de sa… heu… force ? Un beau temps plein de sains principes que l'on devrait plus souvent penser à mettre au goût du jour. Avec ça, c'est sûr qu'on passerait pour de graves illuminés sacrément à la ramasse et qu'on se ferait ignorer du shield et de toutes les organisations qui meurent d'envie de nous espionner. Mais soit, je conçois que ce soit trop tordu pour être viable, je m'incline en jetant un « Bah merci, traite moi de pute aussi ! » faussement offensé. Vu le genre d'histoire de soirée que j'ai déjà rapporté à ma pote, elle ne risquerait pas à se gêner de le faire. Ça finirait aussi en chamaillerie où je m'enfoncerais ridiculement dans la mauvaise foi en niant d'un bloc absolument toutes les anecdotes qu'elle connaît déjà par cœur. On n'a pas trop le temps pour ce genre de bêtises qui servent justement à occuper un moment de vide sans mission, sans fête ou sans tiers assez passionnant autour de nous.

Je lance une idée, mais Abby a quelques hésitations. Forcément, elle avait aussi quelque chose derrière la tête. C'est un truc que j'aime beaucoup chez cette fille, c'est pas une suiveuse. Pas le genre de personne à t'écouter parler puis approuver sans avoir jamais rien d'autre à ajouter, en mode « ouais, trop génial ce que tu racontes, on fait ça, j'aurais pas dit mieux ! » Et t'as juste envie de lui répondre « Mais t'aurais dit quoi ? Ta vie c'est d'la boucler et hocher la tête, connard ! » Elle souligne que mon idée ne serait pas si drôle si Randy est vraiment un siphonné du bulbe qui trouve excitant de faire enfermer des mecs qui ont, je sais pas, téléchargé sans y prêter attention une bd à tendance jeune enfants tous nus dans un super pack comics. Un quiproquo peut vite arriver quand on y met la forme en touchant un bon gros looser.  Mais même si notre agent a le sentiment d'avoir rendu justice, je doute que l'ensemble du shield soit convaincu par ses performances. En développant, ma partenaire m'explique qu'elle veut taper plus gros. Ok, pas de problème, je suis aussi pour utiliser ce mec au maximum, compromettre stryker, sortir les gros dossiers, mettre le total dawa dans les rangs du shield. Après, il va falloir décider ce qu'on veut au juste, passer pour un groupe inoffensif, sur la fin, ou montrer qu'on est capable malgré tout de soulever des dossiers assez tendus. Exploiter notre espion, c'est bien, mais c'est aussi prendre le risque de continuer à attirer l'attention quand le Shield aura réglé ses petites tensions internes. Perso, ça me dérange pas plus que ça, mais on a intérêt à bien gérer les conséquences possible de notre petit jeu.

– Vu ce que tu me racontes, pour en revenir à mon idée, j'ai envie de te dire que, justement, s'il est motivé, on pourra le lancer sur du plus gros. J'avoue, faire coffrer un pauvre type intolérant, ça m'amuse, mais ça ne nous sert pas excessivement. Même si Randy a l'impression de se rendre utile, je ne pense pas que, du point de vue du reste de son équipe, il fasse là un coup exceptionnel. Je proposais de commencer par ça puisque, dans tous les cas, il n'aura rien trouvé d'assez convainquant pour s'arrêter. On donnera l'impression de personnes qui tâtonnent, qui savent pas trop bien où diriger leurs attaques, et ça nous permettra de mieux cerner notre bonhomme. L'arme x, c'est plus costaud, ça fait déjà moins bouffon. T'enverrais vraiment une toute jeune recrue seule sur une affaire pareille ? On peut tenter hein, mais si on peut l'envoyer sur quelque chose qui nous permettra de mieux le cerner avant, y'a moyen qu'on gagne en efficacité sur le coup de Stryker ensuite je pense.

Mon idée contre la tienne, parlementons ! Enfin, on a pas des opinions opposées, c'est juste que je pense à un plan en deux parties quand Fetch veut frapper violent direct. On dirait pas comme ça, mais je suis un peu plus patient, j'aime m'assurer que les choses soient bien faites, et j'aime aussi faire durer le jeu plus longtemps. Si on appâte direct le Shield avec des projets pour compromettre Stryker, on pourrait devenir de suite une menace évidente, parce que ça signifierait qu'on est déjà sur un coup. Je suis un peu plus partisan de brouiller les pistes d'abord, semer le doute dans les esprits en laissant aussi supposer qu'on pourrait juste viser aléatoirement des personnes en espérant trouver des choses parce qu'on manque de moyens pour enquêter efficacement. On est quand même dans un endroit bizarre pour mener un conciliabule de « méchants ». Pour la cave, rien à dire. Mais je me dis que je dois avoir l'air vraiment pas crédible à essayer de dire des choses intelligentes assis dans un vieux fauteuil roulant avec un sombrero. Je sacrifie d'ailleurs le sombrero à cette pensée pour bien montrer à Abby que j'ai arrêté de faire l'idiot pour les prochaines minutes.

Elle a osé ! Osé mettre en doute mon intégrité physique et morale. C'est un pur scandale, je vous le jure. Mais, à part lui faire les gros yeux et un air de « Tu perds rien pour attendre », je n'en profite pas pour alimenter le débat. C'était fourbe de sa part, oui, mais il y a du monde qui compte sur nous à la Confrérie. Même si on est pas si faibles qu'on le fait croire, reste qu'on est pas le genre de groupe qui recrute facilement. L'institut Xavier ramasse régulièrement des mutants qui deviennent des x-men potentiel, les Vengeurs séduisent avec leur côté super-héros de la nation, mais nous, on est dans l'illégalité. Non seulement, on peut pas ouvrir les bras à n'importe qui, mais n'importe qui n'est pas prêt à se faire traiter de terroriste, juste cause à défendre ou non. Du coup, on tient la route à condition de rester un groupe sérieux et cohérent. Abby et moi, on est un duo assez récent. On est jeunes, encore plein de vie, de talents. Les grands patrons nous surveillent de près. Ils nous font de plus en plus confiance et ça serait un peu con de se retrouver rétrogradés parce qu'on a fait les gamins en voulant gérer un problème à New-York par nous mêmes. La honte franchement ! J'ai pas envie de me faire taper sur les doigts par Andrill, Azazel ou Talia. Surtout qu'avec mon âge, tout ce qu'il risque de m'arriver c'est de me faire renvoyer de manière définitive à l'université jusqu'à ce que mes années d'études m'aient misent un peu plus de plomb dans la tête. Et là, pas question. Depuis le temps que je me bats pour faire accepter le fait que les compétences n'ont rien à voir avec l'âge, ça serait bête de se planter parce que je me sens un peu trop détendu et complice avec ma coéquipière.

Je laisse le temps à Abby d'intégrer la suite de mes réflexions, et je savoure son « tu as raison ». Bien sûr que j'ai raison. J'aime m'entendre dire que j'ai raison, surtout de la bouche d'une nana qui se ballade dans la rue avec des cheveux rose fluo et qui vient de me traiter de… nan ! Je sais, j'avais dit que j'allais arrêter les conneries. Elle met un frein sur ses objectifs et, quoiqu'il en soit, c'est une bonne chose. Je veux avoir le temps d'analyser un peu mieux Randy pour savoir de quelle manière lui présenter une mission plus importante, quel rôle lui donner pour être certain qu'il fera ce qu'on attend de lui et ne déviera pas au dernier moment sur un truc imprévu qui risque de nous niquer notre superbe plan. Vous imaginez le désastre si c'est un comédien parfait ? Pas question de faire entrer dans nos affaires un type super futé qui va nous la mettre à l'envers pendant qu'on est convaincus de gérer la situation. Vivent les branquignoles s'il faut expliquer ça aux supérieurs. On va se retrouver à devoir donner dans le menu détails tous les trucs qu'on a l'intention de faire, comme des bébés incapables de mettre un pied devant l'autre sans se retrouver le nez par terre. Abby a aussi d'autres idées sur la manière d'utiliser notre pantin du shield. Je hoche la tête avec intérêt. Ouais, on a des groupes pro-mutants vraiment débiles qui ont tendance à torpiller nos actions avec leurs bonnes intentions absolument pas réfléchies. Genre, t'essaye de faire un truc dans la subtilité, avec un peu plus de diplomatie que d'habitude, et une armée d'enragés qui ont les mêmes revendications que toi débarque et fout le feu partout… Mais, pour que le shield s'en prenne à eux, il devrait les voir comme une vraie menace… Oooh ça me donne déjà des idées ! Le sourire qui naît sur mes lèvres s'élargit quand ma partenaire me suggère d'aller flanquer une autre bonne frousse à l'agent en mode gangsta portoricaine. J'aime bien cuisiner les gens. Sans me vanter – enfin, encore faudrait-il qu'on puisse vraiment se vanter de ça… - je commence à avoir une assez bonne maîtrise en torture psychologique, je trouve même ça très drôle.

– Tu peux compter sur moi pour lui mettre une pression de ouf, je lui dis avec un regard qui prend une lueur assez prédatrice. Le Ricco qui est en moi a encore pas mal de choses à lui faire découvrir de sa charmante personne et j'peux te jurer que le Shield sera pas déçu de ses rapports sur notre manière de vérifier la réelle motivation des recrues ! Bon… Promis, j'éviterai de m'emballer, de lui crever un œil dans un excès de zèle et tout ça.
J'ajoute ça sur un ton plus léger et détendu pour la rassurer un peu. Elle sait que je me maîtrise, mais c'est vrai que je serais capable de faire ce genre de choses aussi si j'y trouvais un intérêt sur le moment.
– Pour envoyer le shield sur d'autres groupes, ça me semble pas mal jouable oui. Dans l'idéal, il faudrait leur faire croire qu'ils s'attaquent à une vraie branche de la Confrérie et à une véritable menace. Ça impliquerait peut-être de faire une double manipulation en orientant les actions d'un des groupes et en leur donnait l'air de rien les moyens d'être dangereux. Si le Shield voit que nous sommes en contact avec eux et obtient une idée assez précise de leurs intentions, il pourrait intervenir sans leur laisser le temps d'agir et réussir quelques arrestations… Je suis quelques uns de ces mutants rebelles, tu pourrais te mettre sur le coup pendant que je gère la mission 1 de Randy ?

A la Confrérie, je suis un peu la banque de données, ou un genre de super pokedex vivant qui enregistre automatiquement toutes les personnes qu'il rencontre, par groupe, pouvoir, type, caractère, zone, etc. Je devrais penser à créer une machine du genre à mettre à la disposition de tout le monde au QG ! Pour l'instant, j'avoue que mes fiches sont rangées de manière un peu trop perso pour être rapidement accessible par quelqu'un d'autre que moi-même. J'ai en tout cas réussi à attraper pas mal d'infos sur plusieurs représentants des groupes pro-mutants, certaines grâce à Abby d'ailleurs. Avec notre travail combiné, trouver là où frapper ne devrait pas être trop compliqué. De mon côté, j'ai déjà quelques noms en tête de liste vers lesquels envoyer Randy. Faut dire que je traîne beaucoup sur internet et que c'est la porte ouverte à tous les commentaires haineux faciles. Sauf que, ce que les types qui se lâchent derrière leur écran ne savent pas, c'est qu'il y a parfois des personnes pour tracer leur petit message, remonter jusqu'à leur vie, et les ranger dans les « dangers potentiels » s'il s'avère que leurs idées étaient sincères.

– De mon côté, j'ai quelques gros nazes à faire taire. Je tiens par exemple un type dont la passion semble de jeter la faute sur les mutants sur tous les articles numériques qui parlent d'une catastrophe. Il a tendance à donner des solutions radicales, et a déjà passé commande pour pas mal d'armes à feu. En vrai, c'est un père de famille un peu fou qui fantasme sur une future guerre civile, plus gras qu'athlétique, pas franchement dangereux mais… On pourrait le croire…

Je lui envoie un clin d’œil. Ça me semble pas mal comme cible. Les flics font parfois des descentes chez quelqu'un pour moins que ça après tout. C'est ce qui arrive quand on cherche un ennemi sans savoir très bien par où commencer. Et comme tout le monde, mon bonhomme a son petit vice caché, rien de bien méchant, juste de la culture de came à casa, pour sa production personnelle et de la revente au noir à des potes. C'est pas un gros commerce, par vraiment méchant, ça arrondit des fins de mois assez misérables. Mais, il n'empêche que ça peut tirer gros comme amende. Si ça ne suffit pas, je sais aussi qu'il a tendance à gruger sur ses déclarations de revenus, notamment pour s'acheter des armes et d'autres trucs plus chers que ses moyens ne devraient le lui permettre en passant ni vu ni connu par internet. Bref, un pauvre magouilleur du quotidien, qui aurait pas tellement envie d'avoir une alerte terroriste qui justifierait toute une perquisition et étude sérieuse de ses activités sur sa tête.