Le Mobilisme du Changement? [PV : Alexstrasza]

C’est comme dans un western, ou presque. Je suis seule face à mon ennemi dans le silence d’un suspens insoutenable, vêtue de bottines montantes couvrant un pantalon sombre lui-même couvert par un poncho en mailles blanc rayé de noir, dissimulant un sous-pull tout aussi noir, et éclairée de la lumière blanche quasi-clinique. Seuls mon visage, mes poignets et mes mains sont découverts. Le premier est plissé de concentration, mes yeux verts sont fendus verticalement observant le moindre mouvement de ma cible. Les seconds sont au niveau de mes cuisses, rabattant vers l’arrière mon vêtement comme le sac en bandoulière qui l’accompagne. Les troisièmes sont bougent lentement, les doigts s’échauffant afin d’être prêt à saisir le plus rapidement possible quand viendra le moment. J’ignore depuis combien de temps ce face-à-face dure mais tout ce jouera à un instant d’inattention. S’il est sien, je peux gagner. S’il est mien, j’ai perdu. Mais je suis patiente et déterminée. J’y arriverai. C’est le retour du froid de mon adversaire qui m’indique le commencement du duel et j’attaque donc pour le prendre de vitesse, comme il se doit. Il n’y a aucun coup de feu mais mon cri de victoire raisonne à travers la cuisine et le living room attenant alors que je lève bien haut le saucisson que je viens de réussir à attraper !

Le Manoir Dimensionnel est le truc le plus merveilleux qu’il m’ait été donné de voir, dépassant même la Tour de Garde de la Justice League. Ce que Raven, Hiro et Max ont été capables de créer est une preuve des talents du groupe, dissipant tout doute que les aléas et le manque de maitrise des pouvoirs de certains pourraient créer. On peut accuser la Young Force de ne pas être professionnelle pour un groupe de super-héros mais ils ne se définissent pas dans un entrepreneuriat sécuritaire, plutôt dans une association d’entraide et de bonne volonté. Ce ne sont pas les traditions qui les encadres, comme les groupes les plus anciens peuvent connaitre, ni le besoin qui les a fait apparaitre, comme les plus puissants groupes actuels. Non, c’est leur propre volonté à suivre les exemples des autres et à essayer par eux-mêmes d’aboutir à quelque chose. Le Manoir Dimensionnel est un témoin de cela : il suit les aléas du groupe et imprègne ceux qui s’y trouvent autant que l’optimisme de ses membres. Je suis bien imprégnée et d’un naturel optimiste mais les aléas causés par les flux et reflux d’énergie dimensionnelle contrarient les lois de la physique ramenées de la réalité et on cherché à me contrarier moi en déphasant le réfrigérateur alors que j’allais m’y servir une collation. Mais c’était sans compter ce que je suis et la patience dont je puisse faire preuve. Surtout quand ça implique de la bouffe.

Ayant admis sa défaite, le frigo accepte que je lui claque la porte au nez et m’en retourne, princière. Un premier croc dans ma récompense en engloutit le bout sans faire cas de la ficelle ou du fermoir métallique et je penche la tête en arrière histoire d’avaler le tout sans même le mâcher. Le bruit de mes bottines à talon m’accompagne alors que je traverse cuisine puis salon afin de joindre les couloirs du Manoir et les autres pièces de celui-ci. Après tout, à défaut d’y avoir une chambre, j’y viens quotidiennement. Quand ils n’arrivent pas à squatter la chambre d’un membre de la Young Force, ou sont trop gros pour le faire, c’est dans la serre que les animaux du groupe logent et c’est l’endroit dans lequel je passe le plus de temps moi aussi. En plus de la place, c’est le côté nature du lieu qui me plait. Les plantes de la Young Force sont aussi variées que les origines de ses membres et ont besoin de grandir à leur rythme, en s’adaptant au nouveau climat comme à l’étrange et variable ciel qui les couvre à mesure que les vitres de plafonnier donnent des images de différents coins du globe. A part guérir celles qui ont été réimplantée, je n’use pas de ma magie et me contente d’aider à les entretenir. J’ai demandé à Suz-D, on me rappelle régulièrement que c’est très important de l’appeler comme ça, si on pouvait enterrer une fausse septique partiellement grillagée sous de la serre et combler avec de la terre arable uniquement, pour que les plantes soient irriguées et alimentées en nutriments, mais je n’arrive pas à savoir si elle m’a prise au sérieux ou si elle a juste trouvée l’idée dégueu. Il faudra que je redemande.

Autre passe-temps régulier, ce sont les jeux en salle d’entrainement. Je ne parle pas de me troller avec un laser, ça, ça marche partout, mais des bagarres avec Cassie ou Kaldur surtout. On tâche de jouer en équipe avec Wonder Girl tandis qu’Aqualad est plutôt sur du duel. C’est un dominant, même si on ne le dirait pas forcément vu qu’il a une sociabilité d’Atlante, et il s’en sort bien dans le domaine. Un jour, nous devrons tester notre duo contre lui ! Le risque c’est que le féminisme perde encore plus que nous dans l’histoire, après tout nous on est habituées alors que lui je suis pas sûre. Encore que vu les disputes qu’il peut déclencher sur internet, c’est discutable. Mais c’est en discuté qui déclenche les disputes et, autant j’ai aucun problème à jouer même de façon violente, autant la violence des débats ne m’intéresse pas. Je préfère discuter avec les gens qu’avec leurs idées.

N’étant pas dans la Young Force depuis longtemps, je continue d’avoir des rencontres à faire et Jane fait partie des membres dont je suis le plus curieuse, même si je suis curieuse de tous. Je sais que Raven, Darryl et Kate l’aident déjà très bien et peut-être puis-je participer également, ayant quelques points communs avec "Eleven" d’après ce qu’on m’a appris à son sujet. Elle fait parti des benjamins du groupe également en plus d’en être l’une des protégées, ce qui attise forcément mon intérêt. Son odeur la précède et j’avale un nouveau morceau de saucisson alors que je vais à sa rencontre. Mes yeux s’arrondissent pour être identiques à ceux des humains et je m’immobilise à un mètre d’elle avec un sourire accueillant. Son arrêt s’en suit d’un regard dont l’intensité me fait pencher la tête sur le côté, de perplexité, et je me tais le temps de réussir à comprendre. Ou plutôt le temps qu’elle entame la discussion. Cela fait, je reviens à la verticale pour répondre, tendant la main.


Les noms, pratique pour interpeler ou associer une pensée à une personne n’étant pas présente mais tellement compliqué à côté de ça. Nom, prénom, surnom, pronom, pseudonyme… chacun peut en avoir plusieurs en plus. Heureusement que j’ai eu beaucoup de temps pour m’y faire.

Récupérant ma main, qu’il y ait eue une poignée de main ou non, je tends l’autre et le saucisson qu’elle contient.

Je suis contente : je ne suis pas la seule à être perplexe quand aux premiers instants de la rencontre. Aucune de nous n’est gênée donc il n’y a rien à essayer de corriger, il faut juste s’accorder et si ce n’est pas avec la poignée de main qu’on le ferait ça sera avec autre chose. Bon, "je ne sais pas" n’aide pas forcément mais c’est une réponse valable et ça ne change rien à ma considération optimiste. Que la jeune fille ne sache pas comment elle aille signifie qu’elle ne va pas mal, sinon elle le saurait, même si elle ne va pas bien non plus ; à nous d’améliorer les choses. Et qu’elle ne sache pas comment elle préfère être appelée me simplifie grandement la vie : je ne l’appellerai pas. C’est bête de n’avoir jamais pensé à cette éventualité avant ! Je ne suis pas stupide, cependant, et je pense que cette ignorance en vient de l’incertitude qu’a mon interlocutrice des significations de ses noms et des parties d’elle-même auxquelles ils renvoient. Mais je ne suis pas là pour me prendre la truffe avec cela, et encore moins lui prendre la tête, ainsi on verra bien si elle finit par préférer quelque chose. Et si elle ne finit pas par le faire, ainsi soit-il.

Le manger est un autre point sur lequel on peut s’accorder même si l’ignorance revient le concernant. Et elle s’accompagne d’une autre question, puisque le meilleur moyen d’avoir des connaissances reste de les chercher. L’invention d’internet est super-pratique pour cela mais avant il y avait déjà les livres et encore avant la tradition orale, qui est la plus audible de toutes à mon sens. Surtout quand la personne qui parle le fait de quelque chose qu’elle aime. Et j’aime la charcuterie !


Je suis dans le thème de la rencontre avec le saucisson et les humains : je ne sais pas s’ils sont capables de s’y attaquer en dur ou pas. Même déguisée comme eux, mes capacités restent bien différentes mais il me semble que leur mâchoire est l’un des trucs les plus puissants de leur corps, tout comme chez moi ; faut juste savoir jusqu’où ça va chez eux. Selon ce que fait la jeune humaine en face de moi, je serais peut-être fixée rapidement. Mais avant cela, je dois la fixer sur cette histoire de noms et elle réclame un peu plus de réflexion. Le temps de gouter la charcuterie quoi.


Je me demande quel goût ça a, l’elfe, même si je suppose que ça dépend aussi de l’origine. Après, je peux supposer tout ce que je veux, j’en gouterais jamais. J’ai beau être le genre de créature dont la première question face à l’inconnu est "ça ce mange ?", j’ai suffisamment de bon sens pour pouvoir y répondre assez rapidement. Hors, tout ce qui est intelligent et humanoïde, c’est non. Le mieux que je puisse faire pour goûter c’est la léchouille râpeuse mais elle est assez mal reçue généralement. Même quand mon sens du touché dépend d’elle. Cependant ce n’est pas le cas actuellement, mes écailles étant suffisamment petites pour ressembler à de la peau à l’œil humain nu, et j’ai déjà le saucisson pour m’entretenir l’appétit.


Avoir interrogée sur la fillette ne m’empêche pas de l’interroger elle aussi, surtout qu’il n’est pas impossible que je puisse me greffer à son quotidien si elle n’y voit pas d’inconvénient. Mes activités peuvent attendre, j’aurais largement le temps de les faire plus tard. Sauf manger, mais c’est plus une normalité qu’une activité. Je sais que plusieurs essaient de compliquer la normalité avec des questions hautement philosophique pour savoir si elle existe, personnellement l’activité c’est un truc que tu fais volontairement en étant conscient que tu le fais tandis que la normalité c’est un truc que tu fais sans y penser, puisqu’il te semble normal. Peut-être que j’ai une grande réponse intellectuelle, peut-être que j’ai un hors sujet. Dans les deux cas, mon saucisson m’intéresse bien plus. Et la jeune humaine aussi. Quand à leur interaction entre eux deux, ça reste à voir.

Mon interlocutrice a l’air mal à l’aise et perplexe mais je dois avouer que je ne m’en inquiète pas. Je ne suis pas normale, ça me va. Je préfère être égale à moi-même qu’être égale à une convention sociale variable fonction du lieu. Tant mieux si ça plait, tant pis si ça déplait, c’est pas grave à si indiffère. Je serais même curieuse de rencontrer des gens ne m’acceptant pas comme je suis, cela me permettra de les interroger sur les raisons de leur inacceptation. Pour mes études, c’est une chose toute aussi importante que les manières d’acceptation. Pour ma vie sociale, c’est une chose plus compliquée à trouver puisque je tends à me faire jeter quand je ne suis pas acceptée, justement. Mais bon, on fait avec ce qu’on a. En l’occurrence, du saucisson.

Saucisson qui semble intriguer et intimider la jeune fille d’ailleurs. J’accepte sans souci son refus, après tout ça ferait plus de manger pour moi donc je ne vais pas m’en plaindre, et souris toujours à mesure qu’elle poursuit sa phrase. Qu’elle ne comprenne pas une référence culturelle me donne l’occasion de l’expliquer et j’y réagis avec d’autant plus de bienveillance que je sais parfaitement ce que ça fait d’être dans sa situation : j’ai découvert la majeure partie de ma culture en même temps que Zatanna, après tout.


C’est une proposition comme une autre mais je ne crois pas qu’Elfe fasse déjà une activité audiovisuelle régulière, ça peu être l’occasion de lui tenir compagnie et de lui parler. Se sociabiliser avec elle voire l’aider au besoin : on n’aura pas besoin de s’arrêter aux Looney Tunes niveau culture audiovisuelle et on pourrait se diriger vers d’autres séries ou films dont elle aurait entendu parler ou envers lesquels elle aurait une curiosité. Un vrai chemin de progression en sommes. Parce que même si j’en ai pas l’air, je progresse. C’est même mieux que je n’en ai pas l’air, je pense, ça me permet de faire ça l’air de rien.

L’air de rien d’ailleurs, j’ai un peu bousculée Elfe à parler des elfes. Elle est mignonne, dans le bon sens du terme, lorsqu’elle veut éviter de rendre confus autrui. Les incompréhensions sont monnaies courantes mais elles prêtent généralement plus à rire qu’à problème, même s’il peut y avoir des problèmes. Tant qu’il y a une réelle recherche de compréhension, les choses finiront par bien se passer ; ce n’est qu’une question de temps. Et d’essais.


Un bon schéma vaut mieux qu’un long discourt ainsi, à défaut de savoir dessiner, je prends des exemples. J’espère que mon interlocutrice me comprendra, ce qui finira par arriver si on insiste sur le sujet mais je ne crois pas que ça sera le cas, et de toute façon on continuera de l’appeler comme on l’appelle. On ne choisit pas ses surnoms, ce sont les autres qui nous les donnent. D’un autre côté, c’est tellement le bazar pour ce choisir un nom que je laisse ça bien volontiers aux autres. Et de mon côté, grâce à l’intelligence d’Elfe,  j’arrête de leur en chercher.

En revanche, ce que je reste intéressée à chercher et à trouver c’est une activité commune. L’audiovisuelle est une possibilité mais il peut y en avoir d’autres. Même s’il n’y en a pas d’autres, je reste intéressée par savoir ce que la jeune fille faisant avant de me croiser. Sa réponse est plus générique cependant, me parlant de ses activités préférées avant que je n’ai eu le temps de pousser jusqu’à elles ; ce qui me va parfaitement. 1, socialisation. 2, manger des gaufres. 3, aider la Young Force. La 3 est commune, la 2 aussi même si moins limitatrice chez moi et que je n’ai pas l’intention de nuire au lien privilégier entre Elfe et Darryl donc je vais peut-être éviter de m’en mêler, à voir avec ce dernier. Et 1, je ne sais pas si c’est trop partagé mais cela me fait sourire quand même, un sourire qui s’agrandi tout au long des paroles de mon interlocutrice comme cela l’a déjà fait précédemment. Que j’ai inversé l’ordre de préférence est une incompréhension dissipée avant d’être énoncée et les jeux vidéos sont utiles à la socialisation, surtout au sein de la Young Force.


Je confirme l’ordre d’importance d’un nouveau croc dans le saucisson, lequel témoigne une nouvelle fois de mon incapacité à savourer un met puisque je l’avale rapidement d’une manière dont je ne suis pas certaine que les humains soient capables d’ailleurs. Regardant mon interlocutrice, je me dis que malgré mon refus de réclamer de l’aide quand j’ai un problème, par réflexe que je dois être capable de me débrouiller seule dans la vie, lui demander des coups de mains sera peut-être le moyen le plus simple de construire en sa compagnie et de participer à l’amélioration de son quotidien.

Pointant du doigt la direction où je m’en allais avant de croiser Elfe, je prends la parole en corrélation afin d’effectuer une proposition avec douceur et légèreté. Je ne prendrais pas mal un refus et c’est assez évident à voir, je pense.

On regardera les Looney Tunes ensemble, j’acquiesce afin de confirmer la confirmation d’Elfe. Elfe qui ne veut pas, et n’a pas réellement la possibilité, de prendre la place des elfes mais est curieuse de savoir où en trouver. L’éducation de la Justice League ne m’a pas seulement permis de pouvoir répondre à ses questions avec un calme sourire, elle m’a aussi permis d’avoir connaissance de l’une d’entre eux.

« Pour ceux d’Alfheim et de Svartalfheim, ils sont grands avec des oreilles pointues. Pour ceux du Petit Peuple, ils sont petits mais avec des oreilles pointues aussi. Je crois. Dans tous les cas, ils sont humanoïdes. Et la seule que je connaisse doit passer régulièrement par Boston, je te la présenterai si tu veux. »

Présenter Eltariel à Elfe est une idée qui pourrait aider cette dernière à avancer dans sa compréhension de la différence entre une espèce et un surnom, reste à savoir si c’est une bonne idée ou une mauvaise ; généralement, je ne le sais qu’après.  Et avant, il me semble plus logique de me familiariser suffisamment avec la jeune fille qui me fait face, ce qui prendra du temps et des dessins animés. Mais le temps est plus facilement accessible que les dessins animés ainsi n’est-il aucun mal à parler au futur et à planifier celui-ci, surtout lorsqu’on est au début d’une relation comme présentement.

Apprendre à se connaitre passe par se faire découvrir et faire découvrir des choses que l’on connait, les passions et les goûts en sont des preuves. Mes passions sont cools, je commence à sourire à cette remarque mais perds immédiatement la joie lorsqu’il est question qu’elles soient meilleures que celles d’Elfe. Elle veut faire attention à ne pas être égoïste la prochaine fois… voici qui me la fait regarder de façon guère convaincue. Si je pense comprendre la volonté de comparaison aux autres, afin de savoir où se placer vis-à-vis de ses semblables, je ne comprends pas pourquoi il faut sanctionner l’égoïsme ou s’autocensurer. Mes interdits me viennent de mon dressage, de mon éducation, mais surtout de ma compréhension de pourquoi il ne faut pas que je fasse une chose ou une autre : manger un elfe, par exemple, c’est comme manger un humain ou tout autre humanoïde intelligent. Cela va me conduire à être leur prédateur, donc leur ennemi, et je ne pourrais donc pas m’intégrer avec eux. Les passions sont égoïstes, de par leur aspect personnel et le plaisir qu’elles nous procurent, ainsi me faut-il réfléchir à comment interroger et présenter la chose à Elfe pour comprendre son point de vue voire l’amener à évoluer.

Et le faire au travers d’une activité, c’est toujours mieux ; juste que l’activité proposée n’est pas connue. Après un nouvel instant de surprise, je continue à fixer la petite humaine avec perplexité puis le sourire. Je ne me formalise pas qu’elle n’ait pas visité l’entièreté du Manoir Dimensionnelle ou qu’elle ne connaisse pas le nom d’un lieu qu’elle a déjà pu visiter, les noms rendent aisément confus et les choses existent indépendamment de toute nomination.

« Suis-moi, dis-je après l’avoir l’invitée à le faire de ma tête et avant de me mettre à marcher dans la direction que j’indiquais précédemment. Tu as visitée l’entièreté du Manoir déjà ? »

C’est une question comme une autre qui accompagne mon pas placide mais dont les grandes enjambées me permettent d’avancer à une vitesse raisonnable malgré tout. Enfin, raisonnable pour ma carrure et peut-être un peu rapide pour une musculature moindre, quand bien même je ne saute pas. Regardant droit devant moi, je n’en perds pas pour autant la position de mon accompagnatrice et tâche donc de m’adapter à sa vitesse à elle, autant que faire ce peut. Quelques crocs et basculement de tête en arrière sont cependant au programme lors de mes pauses et je ne me prive donc pas d’en faire.

On ne tarde pas à arriver dans la gigantesque pièce vitrée dont les panneaux de verre donnent sur des lieux très éloignés d’ici. A l’arrière de la pièce se trouve le plus grand portail dimensionnel du Manoir, permettant aux créatures comme Devil Dino et moi-même de nous rendre dans le tunnel de maintenance du métro sous le Starbuck, et entre lui et nous est plantée une diversité végétale dont l’unique point commun est d’être en croissante sans les origines de ses membres sont différentes. L’humidité et la luminosité sont plus grandes dans cette pièce que dans toutes les autres, par et pour les plantes qui s’adaptent comme elles le peuvent et comme on les aide à le faire.

« Voilà la serre, présente-je simplement en désignant l’endroit de la tête. Y’a d’autres animaux d’ordinaire mais ils sont de sortie on dirait. »

Commençant à suivre les allées suffisamment grandes à ce qu’un dinosaure s’y promène, je regarde les plantes tropicales continuer de grandir d’un côté alors que les tempérées sont au repos hivernal de l’autre. La disparité de couleur ainsi créée ne me gêne pas, celle de température un peu plus même si ma tenue et mes pouvoirs y parent. Un rapide coup d’œil à destination d’Elfe me permet de vérifier si c’est également son cas où s’il me faudra lui souffler du chaud pour qu’elle soit à ses aises.

« J’aime aider les autres, c’est pour ça que j’aime le jardinage. Voir d’autres êtres grandir et s’épanouir, ça me fait du bien. Tu penses que c’est égoïste ? »

Aider les autres, c’est altruiste et pas égoïste. Aimer aider les autres, c’est moins clair : d’un côté, il y a l’altruisme d’aider les autres, de l’autre il y a l’égoïsme d’aimer cela et donc de le faire pour soit également. Altruiste et égoïsme sont des noms attachés à des idées et différant donc fonction des opinions, c’est cela la vraie complexité du monde humain. C’est ainsi qu’ils fonctionnent, le langage articulé complet étant le premier de leurs outils et, comme tout outil, apportant donc solutions et problèmes. Mon principal intérêt n’est pas de philosopher là-dessus ou de prétendre avoir des solutions ou ne pas apporter de problèmes, je veux juste essayer de comprendre Elfe dans un premier temps et de lui offrir un autre outil pour progresser avec elle-même, s’il le faut.

Saucisson comme on tient d’ordinaire un verre, j’écoute donc sa réponse en la regardant avant de faire quoi que ce soit d’autre dans cette petite merveille qui est ce qui se rapproche le plus d’une chambre pour moi au Manoir.

Les noms Asgardiens sont parfois difficiles pour les autres cultures, comme n’importe quels noms en fait. L’un des avantages à reproduire des sonorités est de n’avoir de difficultés de prononciation, c’est d’ailleurs pour cela que j’ai toujours été plus à l’aise à l’oral qu’aux écrits. J’ignore ce dont il en retourne pour Elfe mais elle semble bien perdue à mes dires, les comprenant à son rythme. Elle est intéressée par rencontrer Eltariel cependant et cela contribue à mon sourire ; c’est plutôt une bonne idée pour l’instant. A l’inverse de donner les noms confusants mais, ça, j’y peux rien : ce n’est pas moi qui fait la nomination. Je ne sais même pas si on dit "nomination" n’ailleurs. J’ai aussi beaucoup de difficulté à visualiser tous ces noms mais j’ai pas tellement le temps d’y penser plus que ma petite compagne me pose des questions ; la seconde me fait sourire, confirmant qu’elle aussi a du mal avec les noms comme elle l’a dit juste avant, et la dernière me fait pouffer.

« Nan, je vais pas manger Eltariel ; elle fait parti de la famille, pas du repas, commence-je en évitant de préciser que manger mes frères et sœurs de couvée ne m’aurait pas dérangé au début. Sinon, Boston, le Manoir, Alfhiem et Svartalfhiem ne sont pas dans la même dimension ; c’est assez loin du coup mais on a des portails de téléportation donc on peut s’en sortir. »

Je ne sais pas si cette histoire de dimensions va plus parler à Elfe mais j’ai une excuse facile si jamais elle s’intéresse à ce sujet : demander à Raven. C’est elle l’experte et accessoirement l’une des deux personnes à avoir créé le Manoir donc elle saura mieux que moi. Plus, elle aide déjà notre cadette donc la rencontre se fera facilement. Et elle lui a déjà montré comment on rajoute des pièces, même si l’objectif était discutable ; personnellement, je ne le discuterai pas. Je ne crois pas que malgré ses déclarations et son style, Raven soit réellement malfaisante. Elle ne serait pas ici si c’était le cas. Elle s’améliore, comme nous tous, même si elle reste plus Dark que tout le monde réuni.

« Moi non plus, dis-je à Elfe pour confirmer que je ne suis pas certaine des dires de notre coéquipière. Le vide, ça n’a pas de désespoir. A la limite de l’ennui mais du désespoir… sauf si c’est une gamelle vide, là je comprends. Mais c’est très personnel comme point de vue. »

Un croc de saucisson et la suite de la discussion s’en va au rythme de notre déplacement. On arrive donc rapidement à la serre et à ce qui s’y trouve, les présentations étant faites avec le lieu et les créatures qui ne peuvent pas le quitter. L’espérance énoncée par Elfe me fait sourire et j’ai une grande bienveillance, peut-être trop grande d’ailleurs puisqu’elle me conduit à regarder quoi qu’il arrive, envers les interactions de Lockjaw comme de Devil Dino. Après, je pense que le plus à plaindre dans l’histoire c’est Doom, vu qu’il est plusieurs centaines de fois moins lourd que nous autres. Il a l’intelligence pour compenser mais dans les jeux il tend à partir perdant ; enfin tel que je le perçois. La taille ne fait pas tout, je sais, mais elle aide bien.

Elfe s’en sort parfaitement avec le changement d’atmosphère et ce sont mes mots qui la conduisent à patauger une nouvelle fois, sans surprise de ma part. Je la regarde donc faire assez simplement, écoutant sa réponse qui me fait d’abord sourire puis pencher la tête sur le côté. Elle ne sait pas…

« Moi non plus, réponds-je tout d’abord. Je ne l’ai pas pensée comme tel mais c’est une question philosophique donc on peut la considérer comme piège, je suppose. Après, je voudrais surtout que tu trouves ta propre réponse. »

J’ai la mienne mais ne la donnerais pas à moins qu’elle me soit demandée. Je n’ai pas la prétention d’être un mentor ou une professeure, pas question de faire une leçon ou de prétendre détenir un savoir immuable ; c’est plus intéressant, je trouve, d’aider en donnant les outils pour qu’Elfe progresse par elle-même. Comme le veut le proverbe, "donne un poisson à un homme et tu le nourris pour un jour, apprends-lui a pécher et tu le nourris pour toujours". Bon, j’ai proposé du saucisson et il s’agit plutôt de réfléchir par soi-même que de pécher mais l’idée est là. Je pense. Après, histoire de faire un truc dont je suis certaine, je m’envoie le reste du saucisson cul-sec. Ça prend plus d’une dizaine de secondes à passer à travers de ma gorge mais ça le fait, ficelle incluse.

Après avoir rabaissée la tête à l’horizontale, je me masse un instant le cou puis laisse Elfe à ses réflexions en faisant quelques pas en avant. Durant ceux-ci, ma chevelure s’écarte au niveau de mes tempes pour laisser s’échapper deux paires de cornes, la plus massive se tordant en arrière et la plus petite restant droite. Mon chant est un murmure à peine audible mais il conduit le dernier contact de ma bottine à talon sur le sol à s’accompagner d’un feu doré qui ne tarde pas à se répandre sur mon pantalon sombre puis mon poncho en mailles blanc rayé de noir et mon sous-pull noir également, m’auréolant dans l’instant. Juste après, les flammes se dissipent alors que ma peau rougie s’écaille de façon disproportionnée et ma silhouette se cabre en avant malgré la croissance, proportionnelle à celle du reste de mon corps, de membres supplémentaires le long de ma colonne vertébrale. Lorsque je tombe à quatre pattes, chacune d’elle se rapproche toujours plus des trois mètres qui seront leur taille finale tandis que la queue qui m’en pousse s’en va vers quelque chose de deux fois plus long et que les ailes doivent approcher quatre fois la longueur de celle-ci. Mes ongles, devenus griffes, font bien la moitié de la hauteur d’Elfe et seuls les doigts qui les supportent, au nombre de quatre sur l’avant et un en retrait à la manière d’un pouce, soutiennent le reste de ma carrure à la manière d’un félin. La largeur de mes épaules est une fois et demi plus grande que la hauteur d’Elfe et mon cou est un tiers plus long encore, légèrement plus grand que mes pattes. Du museau à la quelle, je mesure seize mètres et demi et je les étends pour me secouer un instant, répandant mon odeur de soufre et de pierre volcanique comme faisant trembler les alentours sous mon poids.

Cela fait, je retourne ma tête vers Elfe, leurs deux tailles étant similaires mais leurs largeurs bien différentes. Même fermée, ma gueule laisse dépasser des dents d’une vingtaine de centimètres en moyenne, à l’exception des deux canines inférieures qui sont deux fois plus longues et trois fois plus larges, comme des défenses. Les cornes de mes tempes sont toujours là, la plus massive mesurant presque la longueur de mon cou et l’autre surplombant des bajoues couvertes de deux crêtes membraneuses. Elles ont été rejointes par une troisième sur mon museau, à la manière d’un tricératops, qui sépare mes deux yeux d’une vingtaine de centimètre de large pour une soixantaine de long et dont les iris vertes sont fendues verticalement. Je cligne des paupières verticales couleur lave comme des horizontales écailleuses avec la douceur d’un chat en confiance, à mon aise, puis attend un instant avant de reprendre mon chant pour que de nouvelles flammes s’animent sur mes cornes et y forment des anneaux de bronze dont certains ont des pendentifs sertis. Je n’y ai pas pensé avant mais s’eut peut-être été une bonne idée de prévenir Elfe que j’allais prendre mes aises…