Tournoi des Supers - 7ème combat

Je prends une inspiration tremblante alors que je rentre dans la fosse de sécurité dont les 5m séparent les 400m² de la plateforme qu’est l’arène des gradins, ce qui ne me laisse même pas imaginer la taille du stade ou encore combien de personnes peuvent être assemblées là. Elles font un bref silence à notre apparition puis nous acclament alors que les trop nombreuses caméras installées à leurs pieds nous cadrent de leur mieux. Je leur accorde un regard intimidé, nullement habituée, puis m’en revient à mes pieds afin d’assurer ma marche au sein de ce monde qui n’est pas mien. Je repense à ce qu’a dit Brian Braddock au sujet de ce tournoi et du combat comme un divertissement alors qu’il se devait d’être un art, un défi personnel et une étude de ses capacités. Il n’y a peut-être pas de musique d’entrée mais c’est assez proche de ce que je craignais pour le tournoi européen, ce qui fait une belle ironie quand j’y pense. J’ignore si j’ai mal fait de participer, Atalante l’a fait également et j’aimerai beaucoup en parler avec elle une fois que tout sera fini, cependant je sais que je ne suis pas ici pour le divertissement ou les médias. Je ne pense pas pouvoir prétendre faire un art, par manque de niveau et d’intérêt principalement puisque le combat est pour moi un moyen et non une fin, mais je suis certaine de me poser un défi personnel à défaut d’être en mesure d’étudier mes propres capacités malgré l’aide de Valerie Braddock pour les développer. Mon défi est de faire la fierté de ceux qui croient en moi et peut-être gagner quelques approbations ; que Valerie puisse se dire qu’elle m’a bien appris, qu’Aislinn puisse considérer qu’elle a bien fait de me donner ma chance, que Brian ou Atalante puissent envisager que je fasse un jour une membre valable de l’Alliance, que mes parents comprennent que je ne me suis pas trompée de voie… même si ce n’est pas ce genre de tournoi que je veux. Les caméras et les applaudissements ne sont vraiment pas ce que je cherche, faisant des efforts afin de me les sortir de l’esprit, et c’est bien pour ça que le public et les médias n’ont pas mon vrai nom ; je ne m’attends même pas à ce qu’ils trouvent le jeu de mot avec mon pseudonyme. Mes proches, les compétiteurs et autres membres de la caste super-héroïque qui regardent ce tournoi le feront surement et c’est d’eux que j’attends une forme d’adoubement, d’acceptation. Je ne cherche pas la reconnaissance de ma personne, je cherche la reconnaissance de ma capacité à bien faire, à mener mon combat.

Je ne sais pas si cela se fera, je ne sais même pas si cela ce verra. Ma tenue est différente des autres jours, le manteau est plus militaire et travaillé que mon ordinaire, devant  être du vrai cuir et me descendant jusqu’au haut des cuisses, tandis qu’il s’ouvre sur un gilet couvrant une combinaison allant d’un collier à la ceinture, laquelle possède la puce ATB sur le ventre ainsi qu’une sacoche à balle sur le flanc et enserre à son tour un pantalon d’autant plus serré que les parties maillées sont maintenues par des boucles de ceinture et qui fini sous les mêmes guêtres que les chaussures montantes. Heureusement qu’il y a mes mitaines et que ma tenue reste dans les tons noirs sur noirs habituels, sinon je serais complètement déguisée pour cette démonstration. Je me suis coiffée comme pour les « missions » de l’ACESJ et porte des boucles d’oreille qui m’ont été offertes pour me souhaiter bonne chance ; y repenser me fait légèrement sourire tant me souhaiter bonne chance ne rime à rien. D’ordinaire, je réponds simplement « I’m the Lucky One ». Aujourd’hui, toute ma chance ne me suffira pas. M’enfin bon, ça me fait sourire d’y repenser et c’est peut-être déjà cela.

Arrivée sur la plateforme surélevée de l’arène, je me tourne vers Alida Leandro. Elle est plus grande que moi d’une quinzaine de centimètres je dirais et on ne doit pas avoir beaucoup de poids de différence. Enfin, physiquement parlant. Niveau du CV, je peux dire que je suis une légende ; du verbe suivre évidemment. Les Leandro sont des flics mexicains tellement balaises qu’ils ont attirée l’attention de la Justice League, qui les a aidés à monter le groupe de Super-Sécurité de leur pays, ce qui n’est pas rien, et Alida a carrément rejointe le groupe international à 18 ans pour devenir élève de Wonder Woman puis finir dans les Luchadores après la dissolution de l’autre équipe. J’ai pas lue ses mémoires mais je sais qu’elle a réformé son groupe et qu’elle en est la chef ; à 36 ans, c’est un super-score. On a toutes les deux le sang bleu mais je vais probablement en perdre beaucoup plus qu’elle dans les prochains instants. Sachant cela, je déglutis un coup avant de lui tendre la main et de lui dire dans un anglais accentué de français :


Alida accepte le signe de respect et notre poignée de main se fait. Nombre de gens doivent être déçus de ce combat, une petite inconnue contre une ancienne membre de la Justice League, et, s’ils auront probablement raison quand à l’issue du combat, je vais tâcher qu'elle ne soit pas frustrée d’un match trop aisé. Pour elle comme pour moi, ça ne serait pas bon. Etre la risée du public ne me pose pas de problème dans l’idée, ce n’est pas pour lui que je fais ça, mais je préfèrerai tenir la distance quelques minutes au moins. Je ne suis personne, je peux difficilement tomber plus bas mais je n’ai pas l’intention de saborder mes chances de monter non plus.

Le terrain est un carré de 20m par 20m totalement vide, ce qui ne m’arrange pas, et la sortie de ring nous assure une chute de 2m, ce qui implique qu’il vaut mieux assurer à l’atterrissage sinon on risque de douiller. Je frotte le terrain du pied afin de voir si je peux escompter y glisser puis tâche de me concentrer correctement malgré le brouhaha ambiant. Je sais qu’il faut viser la puce, le reste n’importe pas, et qu’il est plus facile de la détruire que de l’escamoter. C’est pour ça que j’évite de la mettre dans le dos ; ça doit être la partie la plus difficile à toucher chez moi mais une roulade et je l’aurai explosée toute seule comme une conne. Je me demande où est celle d’Axaya tout en étant consciente que, le décor faisant, je risque de rapidement perdre mon moyen de l’atteindre à distance. Comme l’a dit Atalante, je ne dois pas dépendre de mes équipements mais ils doivent me compléter ; je mise plus sur un coup chanceux pour m’en sortir, principalement du fait de ma possibilité à le faire sur commande, mais la véritable difficulté sera d’atteindre Mme Leandro.

N’ayant aucune garde à prendre, je sors ma balle rebondissante de ma poche et attends simplement le lancement du combat en faisant de mon mieux pour me détendre et déstresser. I’m the Lucky One.

Le combat est lancé et je m’élance dès que je réagis, faisant un pas pour commencer à courir vers mon adversaire. Lorsque j’arrive assez prêt, j’effectue un petit saut pour avoir les pieds côte à côte puis plisse mes appuis et commence le mouvement de lancé de mon projectile en visant la puce. L’instant je tire et fais un saut groupé pour que ma balle comme mes genoux se dirigent droit vers l’objectif, la première selon un angle descendant et les seconds en ascendant ; l’esquive de Mme Leandro est si aisée qu’on croirait qu’elle a anticipé le coup, se décalant sur le côté pour me laisser passer. Bondissant vers l’avant dès que mes pieds touchent le sol, je plonge pour rattraper ma balle et atterrir en une roulade avant me ramenant accroupie sur mes appuis. Pivotant dans l’instant, je suis prête à esquiver mais je fais simplement face à mon adversaire qui retient encore ses coups ; ça me va.

Je me redresse donc pour marquer un nouveau sprint, prenant l’élan pour un ciseau de Vovinam distractif puisque c’est d’un tir par rebond lâché au dernier moment que j’espère atteindre la puce, détournant l’attention d’Axaya en me projetant vers son visage. Elle se décale avec autant d’agilité que précédemment et je suis libre de projeter ma balle contre le sol, me réceptionnant en chute latérale un peu plus loin et relevant la tête pour constater que ma balle a été déviée d’un simple geste de la main, roulant à présent vers la grande chute du bord du terrain. Okay, je suis dans la merde : je suis suffisamment intelligente pour percevoir qu’elle étudie ma technique, ce qui est plus problématique encore qu’avoir perdue ma balle, et qu'elle est d’une agilité surhumaine. Ça m’ôte l’un de mes principaux atouts, l’agilité, sans parler de l’absence de décor mais ça ce n’est pas nouveau.

Roulant sur le côté pour me redresser rapidement, je fais face à nouveau en remontant mes mains au niveau de mon visage en garde de boxe. Bon, c’est une erreur manifeste puisque ça aide à l’étude de ma technique mais je vais faire ce que je peux. Je m’avance plus prudemment en gardant mes poings au niveau du visage et feint de frapper un crochet descendant, le lançant trop loin pour que cela puisse atteindre Mme Leandro mais suffisamment pour m’offrir les appuis manuels à une rondade destinée à ce que mon adversaire intercepte mes chevilles avant qu’elles ne lui arrivent sur les clavicules ; ce que les réflexes améliorés m’offrent parfaitement. Repliant les jambes dans l’instant, je frappe entre-elles à destination de la ceinture et touche, même si le mou du contact me permet de comprendre un instant plus tard que je n’ai pas eue la puce. Instant plus tard que je passe à me réceptionner par une chute arrière et où j’entreprends par réflexe de me relever en roulant sur le côté.

L’idée est bonne puisque, si le coup n’a pas été gagnant, il a donné le départ et qu’Axaya occupe ma position dans ce qui me semble être une tentative de saisie au sol. Elle est debout tout aussi rapidement que moi et poursuit par une nouvelle tentative de prise que je regarde me frôler avant de réaliser que c’est le recul nécessaire à suivre sa main du regard qui est responsable de mon esquive. D’une souplesse arrière, je pense éviter un coup de coude alors que c’est un balayage de mes appuis qui passent entre ceux-ci, Mme Leandro usant de la continuité de son mouvement pour enchainer. Marquant une pause alors que je suis en position de grenouille, mains et pieds au sol, je regarde mon adversaire revenir au contact et accompli un saut vrillé pour l’éviter, atterrissant sur un pied et pivotant le corps en continuant la rotation amorcée précédemment afin de relâcher l’autre jambe en une armada de Capoeira. Le coup est esquivé et la jambe se dépose alors que j’enchaine sur une bençao, levant l’autre jambe en la pliant afin de frapper de la plante du pied au niveau de la puce. Je rate de peu, Alida se décalant afin de laisser passer mon pied à quelques centimètres de son corps avant de le plaquer entre celui-ci et son bras. Alors qu’elle pousse en avant pour me mettre au sol, je me laisse tomber afin de frapper de mon pied libre au niveau de son visage. Ma chute sur le flanc est mal faite mais ma cible est atteinte et sa prise rompue, me laissant un instant de répit.

Je roule en arrière pour me retrouver en position de grenouille et à peine mes quatre appuis touchent-ils le sol qu’Axaya me percute pour m’immobiliser, me renversant en arrière. Mes poumons sont vidés sous le choc et je me retrouve bloquée au sol, mettant bien une inspiration à comprendre ce qui ce passe alors que la prise se raffermi et qu’un de mes bras commence à connaitre une désagréable clé articulaire. Les manches amples sont chiantes pour me chopper le bras mais une fois ma main atteinte, je perds. Je me contorsionne pour essayer de m’en sortir mais cela ne marche guère et je serre de plus en plus les dents sous la douleur. Cela ne m’empêche pas de me débattre, cela m’encourage même à le faire ; mauvaise idée, puisque plus je me débats plus j’ai mal et plus j’ai mal plus je me débats, mais c’est complètement instinctif. Mon adversaire me bloque et je ne le supporte pas, ça passe avant tout le reste. Je me fais l’entorse seule et je pense que je n’échappe à la luxation que grâce à Alida qui, une fois ma puce neutralisée, me relâche.

La victoire est déclarée sans aucune surprise et les acclamations se font, je laisse tout cela se passer sans véritablement m'en concerner alors que je me masse le bras endolorit ; c'est loin d'être la première entorse que je me fais et, si elle est aussi désagréable que les autres, j'ai connu pire. Je me redresse assise puis tourne la tête vers Axaya, la regardant dans son triomphe en me demandant si j'ai réussie ma partie.