Je ne sais même plus depuis combien de temps je le recherchais. Depuis combien de temps j'erre dans cette ville pour trouver le guerrier ultime. Depuis combien de temps je dois accepter de vivre parmi le peuple pour garder profil bas, quand toutes ces personnes devraient juste se prosterner sur mon passage et me supplier de les sortir de leur misère.
Tout était parti d'une vision à Mumbai, une vision qui me montrait le visage d'un guerrier immortel. Si je veux me hisser à la meilleure place dans ce monde, je dois déjà asservir les meilleurs soldats. Celui-ci est ma première cible. Logan. Ou plutôt James Logan Howlett. J'avais fini par chercher un moyen un peu détourné de le trouver. Errer aléatoirement dans la ville en recherchant qui pouvait le connaître n'avait rien donné. Je n'avais que son visage en tête et certaines de ses capacités. Il me fallait mieux que ça, et j'avais fini par trouver.
J'avais utilisé l'un de ces pigeons que l'on croise partout, et je ne parle pas des passants, mais bien des oiseaux. Je l'avais légèrement saigné et son sang m'avait permis de le charger de divination, de sorte qu'il perçoive la présence de Logan, comme celle de son foyer. Ensuite, il ne m'avait plus suffi que de suivre les petites gouttes rouges laissées sur son passage.
J'étais alors tombé sur Logan dans une sorte de dinner. Il buvait avec une autre personne que je ne connaissais pas et qui m'indifférait au plus haut point. Enveloppé de mon illusion, me donnant une apparence d'un jeune cadre en costard gris et chemise, avec les cheveux courts et la barbe rase, j'ai pu m'installer discrètement à une table proche pour pouvoir écouter leurs propos et voir son visage dans le reflet du petit distributeur de serviettes en papier.
Je n'ai pas vraiment compris leurs propos et ça m'est égal, mais j'ai enfin trouvé le guerrier immortel… Maintenant, il ne reste que la partie facile : la soumission. Mais pas devant tout le monde. S'il y a bien quelque chose que j'ai compris en autant de temps passé à New York, c'est que les gens de ce monde n'aiment pas les démonstrations de force, ils aiment croire qu'ils vivent dans un univers d'une platitude et d'un ennui mortel, dépouillé de toute ambition et de tout affrontement. Bref, un monde où chacun se satisfait de ruiner son potentiel dans une léthargie pathétique et mortifère.
J'ai donc patiemment attendu que leur discussion soit terminée, en prétendant sourire et séduire la serveuse, qui, au passage, m'indiffère totalement. Une fois qu'il s'est levé, je lui ai emboîté le pas. Il y a tellement de monde dans cette ville qu'il est tout à fait acceptable d'être suivi par une personne sur plusieurs centaines de mètres. Le hasard fait que ça peut arriver de temps en temps pour ne pas inquiéter le quidam. Je me base donc là-dessus pour le filer nonchalamment. Il emprunte d'abord des rues plutôt fréquentées pour s'engouffrer dans une petite ruelle de traverse. J'accélère le pas pour le rattraper avant qu'il ne soit hors de portée de vue, et je m'avance aussi dans le passage, pour découvrir tristement que je ne le vois plus nulle part. Et pourtant, il n'a pas pu disparaître.
Le raisonnement tourne rapidement dans mon esprit : s'il avait continué à marcher à la même vitesse, il serait quelques mètres devant moi. Le fait que je ne le voie plus implique qu'il a soit accéléré, soit qu'il s'est dissimulé d'une façon ou d'une autre. Dans tous les cas, il a forcément réagi à quelque chose et donc, probablement, au fait que je le suivais. Il avait dû me repérer plus tôt dans ma filature. Je serais prêt à me maudire, mais je dois garder toute ma contenance.
« Tu peux te montrer, je sais que tu es là ! »
Je prononce ces mots dans le vide, sachant que s'il est un peu intelligent et curieux, il se sera arrangé pour pouvoir m'observer et comprendre ce que je lui veux. Du moins, c'est ce que moi j'aurais fait. Et dans le pire des cas, s'il n'est pas à portée de voix, je n'aurai aucune humiliation a avoir parlé à personne, sans aucun témoin.
« Nous avons des choses à nous dire. »
Merci au démon de m'avoir offert un anglais sans aucun accent, je ne sais pas comment j'aurais pu gérer cette situation autrement.