Manipuler les probabilités

Le racisme et les actions violentes sont des choses qui tendent à m’indifférer même lorsque celles-ci concernent l’ethnie à laquelle j’appartiens. Je ne suis pas de la branche des X-Men s’en allant faire de l’humanitaire chez les Morlock, à la limite j’y ferais les comptes s’il y a lieu, et je ne suis même pas vraiment à la branche des X-Men se rendant sur le terrain à dire vrai ; je fais ce que l’on me demande de faire et sais m’adapter dans ce cadre. Mes capacités martiales n’évoluent pas, ni dans un sens ni dans l’autre, de part les modifications de mon système nerveux et je n’éprouve pas le besoin de me battre pour me sentir X-Woman, comme certain de mes coéquipiers. Je pourrais passer ma vie entre mon loft, la base des X-Men et la piscine de l’Institut sans souci, pour peu que je ne m’y ennui pas, et sans perdre de mon efficacité pour ma famille. Mon cerveau est ce qui est utile et je me suis arrangée pour disposer des installations adéquates à l’exploiter correctement en plusieurs lieux, rendant obsolète tout besoin de me déplacer pour effectuer ma partie, néanmoins je ne me limite pas à celle-ci.

C’est ce qui me conduit à me tenir sous la froide pluie d’une nuit newyorkaise, un détail plus fascinant que contraignant tant que je n’ai pas attrapée la crève ce faisant, à regarder les gouttelettes prises dans ma chevelure noire couler le long de celle-ci sous les agitations du vent afin de rattraper leurs homologues dans leur chute de plusieurs étages le long de l’escalier de secours qui, lui, ne descend pas jusqu’au sol bétonné. Froideur et mouillé m’enserrent le visage pour être stoppés à ma gorge par ma combinaison noir au tour-de-cou ceinturant, une chose que je n’avais pas à l’époque où me renvoient sensations et observations des goutes, et reprennent sur la main qui touche les barreaux de métal de la cage d’escalier où je suis accroupie en attendant que tout ce passe comme je l’ai anticipé.

De l’autre main, je remonte mes Cyberlunettes sur mon nez afin de me couper de mon passé et d’observer le présent de nombre de gens à travers les yeux de la ville qui ne dort jamais, suivant par l’intermédiaire des caméras de sécurité des personnes qui auraient mieux fait de dormir. Avec tous les discours racistes ou encore pro-registrations, on se retrouve avec nombre de bons citoyens prêts à faire valoir leur droit à se défendre par les armes à l’encontre de mutants non-registrés ou des mutants plus généralement et, si faire des descentes dans ce genre de groupuscule n’est ni d’intérêt ni d’utilité pour moi surtout considérant que d’autres le font beaucoup mieux, la présence de membre du NYPD dans certains des groupes s’avère requérir mes talents.

Il va y avoir de la violence ce soir, c’est ce qui est cherché par ceux qui s’en viennent défendre leurs foyers et leurs proches, mais elle ne sera pas dirigée contre leurs cibles habituelles. J’ignore s’il sera question de bavure policière mais, si certains de ces gens sont aptes à retourner les lois à leur intention, je suis capable de manipuler bien plus que les lois humaines et le ferai afin de saper l’unité qui rend pareils personnes dangereuses. Trianguler les points de rendez-vous du groupe n’a pas été difficile et en identifier les membres m’a pris plus de temps mais est désormais accompli, il est donc temps de passer à l’action.

Les verres rouges cachant mes yeux bleus deviennent inertes alors que mon esprit se réorganise et s’en va au contact des différents groupes. Les pensées de chacun raisonnent dans ma tête, analysées et traitées comme autant de voix intérieures sans la moindre difficulté alors même que je truque leurs perceptions de la réalité. Les visages de leurs amis seront reconnus normalement mais leurs discours seront changés ; tous auront l’impression de défendre leur cause face à leurs collaborateurs habituels ayant virés de bord et prônant l’arrêt de leur activité dans une surenchère qui, je m’en assurerai, conduira à un pugilat entre les différents partis qui n’auront même pas l’idée d’utiliser les armes à feu avec lesquelles ils sont partis défendre leurs foyers. C’est par ce biais d’illusions psychiques et d’influences minimes que j’ai l’intention de faire imploser de l’intérieur les liens qui unissent ce groupe afin de mettre fin à ses activités sans jamais que l’on soupçonne ma présence.

Je ne viens pas apporter la compréhension à des gens qui n’en veulent pas mais je vais permettre à tout le monde de rentrer chez lui avec la conviction de ne plus pouvoir agir dans ce combat. Des amitiés vieilles d’années et des bonnes ententes de voisinage seront brisées mais toutes les vies, mutantes ou humaines, seront préservées. Le choix me parait logique même si je doute beaucoup de sa moralité. Je laisse ces personnes se placer sous les bannières de la moralité et du bien commun, je suis trop lucide sur eux comme sur moi-même pour avoir l’hypocrisie d’en faire autant.

Accroupie en haut de cet escalier de secours, vêtue de mon grand cache-poussière et de ma tenue d’X-Woman classique ainsi que de mes armes, j’attends simplement que les incompréhensions se fassent et que les valeurs s’entrechoquent pour mener à la seule manière d’expression que connaisse ces personnes-là concernant leurs idéaux. Je resterai à regarder en attendant que ce soit fini, que tous gisent dans leur rue isolée sous la froide pluie du printemps, avant de me retirer.

Mon cœur est calme mais, malgré toutes ces voies au sein de mon esprit, les similitudes avec des souvenirs anciens me rendent l’instant désagréable. Au moins le sera-t-il pour nous tous, considérant les sentiments de trahison que ressentiront la vingtaine de personnes en contrebas. Un proverbe veut que l’homme soit un loup pour l’homme ; c’est une injustice envers les loups car, comme les autres animaux, ils luttent pour la survie. L’homme ne le fait plus depuis longtemps et c’est ce qui l’a conduit à développer haine et cruauté. J’ai grandie par la survie et j’ignore ce que je ressens pour ces gens à présent, il est tant de probabilités pour que ce soit de la pitié que du mépris. Qu’importe, ce sont leurs émotions qui sont utiles, pas les miennes, afin d’user de leurs travers contre eux.

Les choses ne sauraient tarder même si je ne m’attends pas à ce qu’elles se passent exactement comme je l’ai prévu. J’ai juste de la difficulté a anticiper comment ils pourraient m’échapper sans intervention extérieure tandis que celles-ci sont incroyablement nombreuses et relativement improbables.