Ne venez jamais en aide aux garçons sans défenses. (PV Casey)

On entendait souvent parler d'agressions en pleine rue, ou dans le métro, pendant que la foule restait inexplicablement passive. Casey marchait toujours dans New-York en se demandant s'il allait pouvoir le vérifier de ses propres yeux, et s'il oserait intervenir. En même temps, se défiler ne serait pas digne d'un futur x-men ! A force de fréquenter les x-guardien, il finissait par comprendre quel était son destin : accomplir des actes héroïques lui aussi. Et puis Garfield était déjà un grand personnage à quatorze ans, il avait vu toutes ses vidéos sur youtube. Même s'il ne rêvait pas d'une reconnaissance internet et ne s'attendait pas à passer à la télé avec un pouvoir comme le sien, Casey voulait se rendre utile. Il n'allait pas défier les pires monstres de l'univers, juste les esprits chagrins du quotidien qui rendaient pénible la vie tranquille des plus faibles. Il suffisait parfois de peu. Quand on se moquait de lui à l'école ou à l'internat, il savait que de nombreux enfants restaient silencieux pour éviter d'être pris à partie comme lui. Ils ne le détestaient pas, condamnaient mentalement l'attitude des autres, mais préféraient se taire. S'ils s'étaient tous montrés moins égoïstes, plus justes, il n'aurait pas eu l'impression très douloureuse d'être condamné par le monde entier à cause de la cruauté d'une poignée de personnes. Or, quelqu'un qui élevait un jour la voix pouvait faire toute la différence. Il s'était entraîné dur tout l'été pour se sentir à la hauteur d'une telle mission, en visionnant tous les films de kung-fu qu'il avait pu trouver et en répétant des scènes complètes. Au final, ce n'était pas plus compliqué qu'apprendre une chorégraphie de danse. Il se demandait d'ailleurs s'il était vraiment capable de se battre avec ses mouvements ou s'il répétait pour un championnat de capoeira. Mais enfin, c'était toujours mieux qu'avant. S'il réussissait à bouger ses mains et ses pieds très vite, il pouvait peut-être réussir à intimider son adversaire sans avoir besoin de le toucher, non ?

En tout cas, Casey était bien ennuyé. Depuis qu'il avait commencé ses rondes dans la ville, aucune situation ne réclamait son aide. Les gens étaient parfaitement calmes, ou capables de régler leurs petits problèmes seuls. En une semaine, son exploit le plus notable était d'avoir laissé un vieux papy s'appuyer sur son épaule pour monter les marches d'un escalator en panne. Il fallait dire qu'il s'était montré assez peu ambitieux en évitant les quartiers à risques. Ceux-là semblaient trop dangereux pour son niveau. Cependant, personne n'avait besoin de lui en centre-ville. Il devait affronter la vraie misère sociale pour se rendre utile et devenir un héros. Malgré sa bouille d'ange, le jeune garçon ne se sentait pas spécialement mal à l'aise dans les quartiers mal famés. Ils avaient longtemps été son quotidien, et y retourner ravivait des souvenirs assez désagréables, tout en lui faisant réaliser à quel point il avait changé. Il ne ressemblait plus à ces pauvres gamins qui rasaient les murs avec leurs vêtements usés et mal assortis. On aurait plutôt dit qu'il s'était perdu. Et, surtout, si on venait l'embêter, il se jurait de ne pas fuir ou, en tout cas, d'essayer de répondre un peu avant. Il laissait traîner ses oreilles à l'affût d'une personne en détresse. Il traversa une rue et repéra une scène visiblement tendue autour d'un banc. Une jeune fille affrontait seule trois jeunes homme qui n'avaient pas l'air de vouloir la laisser tranquille. Le ton montait. De ce que l'on comprenait, la fille avait refoulé un des garçons d'une manière que celui-ci jugeait impoli. Les répliques tournaient en boucle d'un côté comme de l'autre, avec des « vas-y qu'est-ce que j'ai dit de méchant ? Pourquoi tu me parles comme ça ? » et des « lâche-moi ! » moitié inquiets, moitié agacés de l'autre. Il ne semblait pas compliqué d'en déduire que le jeune homme jouait sciemment de mauvaise foi. Casey connaissait bien ce genre de personnages. Pour une raison très étrange, ils aimaient provoquer les conflits, mais rejetaient toujours la responsabilité de l'embrouille sur celui ou celle qu'ils venaient d'agresser. Sans réfléchir plus longtemps, il déboula devant le groupe et lança une réplique digne d'un film d'action :

– Elle vous a dit de la laisser tranquille, alors laissez la.

La suite, évidemment, ne se passa pas comme dans un film d'action. D'abord, les trois garçons se contentèrent de le regarder en haussant les sourcils. L'un d'eux éclata même de rire. Casey n'avait vraiment rien de terrifiant. Ils avaient au moins dix ans de plus que lui, étaient plus grands, et plus forts. En les observant de plus près, l'adolescent songea d'ailleurs qu'il avait peut-être vu un peu trop gros pour sa première mission. Mais il ne devait pas baisser les bras, ça non. Il n'allait pas partir et laisser la fille maintenant qu'il était intervenu. Au début, les trois lascars ne montrèrent pas le moindre signe d'hostilité. Ils ne se sentaient pas menacés, et n'étaient pas assez violents pour taper gratuitement sur un gamin. Comme Casey ne partait pas, ils commencèrent cependant à perdre patience. L'un des ami de l'agresseur s'avança vers lui pour le pousser et là, vraiment, il ne comprit pas très bien lui-même ce qu'il se passa. La scène lui avait soudain rappelé une chorégraphie de kung fu. Ses deux cerveaux lui permettaient d'analyser les mouvements deux fois plus vite et il intercepta l'ennemi avec une vivacité qui le troubla trop pour lui permettre de réagir. Après l'avoir feinté deux fois, il lui fit perdre l'équilibre, lui tordit le bras et l'envoya valser d'un coup de pied contre le banc. Tout le monde resta bouche bée, lui le premier.

– Putaaaain, il m'a tordu les doigts ce con ! gémit son ex adversaire en se tenant une main enflée. Il s'était brisé des phalanges en essayant de se rattraper au banc.
– Mais c'est une… BLAGUE !! s'écria un autre, dont la surprise laissait place à la colère.

La fille avait profité de sa « diversion » pour leur fausser compagnie, mais, à présent, deux autres gaillards bien costauds se dirigeaient vers lui, et il pourrait plus difficilement compter sur l'effet surprise. Casey recula jusqu'au mur d'un immeuble. Il ne faisait plus du tout le malin. Toutes les fois où il s'était fait taper lui revenaient en tête. Il avait été idiot. Sa place n'était pas celle du héros mais de la victime. Toutes les répliques très héroïques qu'il avait en tête ne voulaient pas franchir ses lèvres. C'était sa première nature qui revenait.

– Je suis vraiment désolé… heu… Je vous jure que je ne voulais pas faire ça…
– Ah ouais ? Moi aussi je vais te casser quelques phalanges par inadvertance, tu vas… arrête de faire ça !
Pendant qu'il parlait, le garçon le plus agressif avait tenté de lui prendre la main, mais Casey l'avait évité. Dans la panique, ses deux cerveaux s'accordaient, et les gestes des autres devenaient bizarrement lents.
– Excuse moi, c'est… c'est un réflexe…, bredouilla-t-il en évitant encore de se faire attraper la main.
– Et le coup de boule dans ta face aussi ça va être un réflexe…

Mais, au moment où il se résignait à voir trente-six chandelles, un véritable héros se montra. Il défia les trois voyous avec bien plus de classe que lui. Cet homme avait tout ce qu'il fallait, l'âge mature, la carrure, la force. Quand il retira sa veste, Casey ouvrit une bouche impressionnée. Il était immense !!! Un physique de catcheur au moins. Et il avait l'air tellement sûr de lui ! En même temps, pouvait-on douter qu'il serait capable de mettre ses deux adversaires au tapis sans la moindre difficulté ?

Les deux garçons étaient tellement énervés à cause de lui qu'ils ne semblèrent pas remarquer la supériorité physique de leur nouvel adversaire. Ils déchargèrent toute leur rage sur lui sans se poser de question, et l'attaquèrent en sortant une artillerie plus lourdes. Le sang de Casey se glaça lorsqu'il les vit avec des chaînes et un couteau. Il n'osait pas imaginer ce qui aurait pu lui arriver si personne n'était venu les détourner de lui. Ces type étaient vraiment dangereux, de la racaille probablement née dans le Bronx. Quelle idée ! Et qu'allait-il faire si son sauveur se retrouvait blessé à cause de lui ? Il suivit la scène avec une fascination inquiète. L'homme à la grande veste reçu un coup en pleine mâchoire. Aie. Il n'était peut-être pas si fort que son apparence le laissait présager ! Mais, au grand soulagement de Casey, il encaissa le poing sans broncher, comme s'il attendait une marque de violence pour lâcher toute sa colère. Il ne devint pas vert comme Hulk, cependant, il envoya le paquet sur les trois pauvres voyous. Oui, les pauvres. Même s'ils ne s'étaient pas montrés très corrects avec lui, le blondinet les plaignit en assistant à leur mis à tabac. C'était un combat très inégal et, par conséquent, un véritable massacre. Le premier fut soulevé avec une incroyable facilité et projeté contre une poubelle dans un sourd fracas métallique. Le nez du deuxième craqua d'une manière assez sinistre à cause d'un coup de crâne. Casey grimaça, il savait qu'il avait échappé de peu au même traitement, le vol dans les poubelles en moins, peut-être. La brutalité du spectacle le choquait un peu. Les histoires de rixes plus ou moins violentes ne manquaient pas dans son quartier à Chicago, mais il ne restait jamais assez longtemps pour y assister, ou bien il en était la victime, ce qui l'empêchait de mesurer visuellement le carnage. Bon, on ne l'avait jamais attaqué avec un couteau ou une chaîne, mais on lui avait quand même salement ouvert le crâne avec une batte. En tout cas, le troisième lascar n'essaya pas de participer. Déjà calmé par sa blessure à la main, il prit la fuite, mais l'homme très costaud envoya un couteau dans sa direction. Casey plaqua ses mains devant sa bouche en étouffant un cri horrifié. Un instant, il crut que l'arme allait se planter dans son dos, ou son cou, ou sa tête et le tuer. Mais son « sauveur » savait assez bien viser pour atteindre seulement la cuisse. A ce propos, le mutant ne savait plus très bien s'il était un sauveur ou juste un fou dangereux qui avait l'intention de s'en prendre à toutes les personnes vivantes des alentours. Mais, malgré le danger potentiel du personnage, il n'osait pas bouger. D'après ce qu'il l'entendit dire au dernier voyou conscient, il était heureusement intervenu pour l'aider, même s'il n'était certainement pas nécessaire de blesser à ce point ces garçons.

Quand il se retourna vers lui, Casey ne s'était toujours pas décollé de son mur. Il le fixa d'un drôle d'air, sans savoir si le sourire qu'il lui adressait était amical ou juste flippant. Il avait un drôle d'accent aussi, sans doute de l'allemand. Casey acquiesça lentement à ses propos, et déglutit avant de lui répondre. Ce qu'il faisait ici ? C'était embarrassant comme question, il allait vraiment passer pour un idiot. Peut-être qu'il valait mieux éviter la partie où il voulait jouer au super-héros, sinon, c'était sûr que ce type allait se moquer de lui. Était-ce vraiment un héros en plus ? Vu sa manière de se battre, il semblait assez clair qu'il aurait pu tuer sans la moindre difficulté si il l'avait voulu. Sa manière de se battre n'était pas celle d'un héros, c'était sûr ! Il n'avait pas du tout envie de le fâcher à nouveau pour voir de quelle manière il réagirait.

– C'est parce que j'ai entendu qu'une fille criait, alors je suis allé voir pourquoi. Ils l'embêtaient. C'était pas vraiment méchant, mais pas très sympa. Je leur ai demandé d'arrêter, mais c'était stupide… C'est ma faute s'ils s'en sont pris à moi, déclara-t-il soudain un peu piteusement. Je ne crois pas qu'ils voulaient me faire de mal au début, ils voulaient juste que je parte mais… C'était peut-être pas la peine de taper autant le troisième, il était déjà blessé. Je ne voulais pas faire ça, je suis désolé de vous avoir obligé à les taper…

Ses sentiments étaient assez confus. Il ne savait vraiment pas comment réagir. Grâce à lui, une fille était tranquille, mais il ne lui serait probablement rien arrivé de très grave s'il l'avait laissée se débrouiller. Ils l'auraient harcelée verbalement jusqu'à se lasser, sans doute. Mais voilà, il était arrivé, avait blessé un type qui voulait juste l'intimider, et à cause de lui, trois garçon étaient inconscient par terre et sans doute bons pour l'hôpital. Il n'était pas certain que cette conclusion soit très juste. Et puis l'allemand l'avait sauvé, mais il ne l'avait pas fait d'une manière très gentille non plus, alors il hésitait entre le remercier, ou s'excuser de l'avoir obligé à se comporter de cette manière. Comme il continuait de l'observer avec une grande méfiance, ce dernier lui assura d'ailleurs qu'il n'allait pas lever la main sur lui et lui donna son prénom, ou son nom, c'était difficile à dire.

– M… merci Linden. Moi c'est Casey…

Il prit timidement la grosse main qu'il lui tendait et s'écarta doucement du mur.

– Est-ce qu'on va avoir des problèmes avec la police maintenant ? demanda-t-il en évaluant l'état des trois garçons à terre.

Peu importait le scénario, dans les faits, seuls lui et Linden avaient provoqué des blessures, et non des moindres ! Si on l'arrêtait, on le jugerait forcément coupable. Franchement, il n'avait pas grand-chose pour soutenir sa défense, il venait d'une famille à problème du sud de Chicago, et avait été placé parce que sa mère était trop droguée et alcoolique pour s'occuper de lui. Tout le monde trouverait parfaitement normal qu'il ait un comportement de délinquant, et on risquait de l'expulser de l'institut. Il se sentait vraiment paniqué.

Casey avait toujours eu très peur de la police. Elle était un peu l'ennemie terrible des gens de son ancien quartier. Et, même s'il n'avait jamais rien eu à se reprocher, il avait entendu son entourage en parler en mal avant de comprendre quels comportements étaient punis par la loi. Les « sales flics », incarnaient donc de sinistres personnages qui pouvaient vous tomber dessus à tous moments pour des délits flous, juste parce que votre tête ne leur revenait pas. Aujourd'hui, il avait bien entendu eu le temps de réfléchir à tout cela, de comprendre que la grande majorité de son entourage était constituée d'arnaqueurs, de trafiquants, de délinquants, d'alcooliques qui ignoraient toutes leurs factures pour se saouler, … Mais cela n'empêchait pas la peur irrépressible que leur évocation lui inspirait. Il avait toujours craint que la police finisse par arrêter sa mère, et c'était plus ou moins ce qui était arrivé, ils la lui avait retirée. La police était aussi un visiteur fréquent de l'orphelinat, et tant de visages se décomposaient à leur arrivée qu'il continuait à avoir peur, parce qu'on ne sait jamais. Le fantasme de la condamnation injuste s'était très durablement implantée en lui. Alors, quand l'homme costaud posa une main sur son épaule, il tressaillit, prêt à courir il ne savait où pour échapper à une menace invisible. Le fait que Linden essaye visiblement de se montrer gentil avec lui le rassura un peu, malgré son ton très autoritaire quand il lui « interdit » d'avoir de la pitié pour les jeunes hommes qu'il venait de tabasser. Il était d'accord sur le fait qu'ils n'auraient pas dû s'en prendre à lui, ni à la fille, mais ça ne l'empêcherait pas de ne pas apprécier les voir dans cet état, même s'il préférait acquiescer sagement pour ne pas contrarier le grand homme, surtout qu'il lui annonça que la police avait de bonnes raisons de l'arrêter. Qu'entendait-il pas « homme comme lui » ? Etait-il vraiment un tueur ? Ça ne le rassurait vraiment pas de le suivre. Cependant, il était la seule personne à laquelle il pouvait s'accrocher pour l'instant. On apprenait vite à assimiler certaines règles de survie dans les bas-quartiers, et son instinct un peu paniqué lui disait que, s'il risquait de se faire arrêter et questionner par la police, il avait plus intérêt à suivre une personne qui avait l'habitude de leur filer entre les doigts, plutôt que partir de son côté.

D'abord, Linden marcha très vite, et Casey eut beaucoup de difficulté à tenir son rythme, même si ses cœurs l'empêchaient d'être épuisé. Puis, l'homme réalisa qu'il trottinait derrière lui et s'arrêta. Il lui tendit soudain un paquet de cigarettes et un briquet. L'adolescent les prit un peu bêtement, sans comprendre pourquoi il voulait lui faire tenir ses affaires. Mais, quand son « sauveur » l'incita à l'imiter, il se sentit bien bête. Il lui tourna un regard complètement perdu. Comment allait-il lui expliquer sans paraître demeuré qu'il avait pris son matériel sans savoir pourquoi et n'avait pas du tout l'intention de fumer ? Surtout que Linden lui donnait l'impression de ne pas être ce genre de personne à laquelle on pouvait dire non. Il l'avait vu suffisamment en colère quelques instants plutôt pour vouloir prendre le risque de le fâcher. Du coup, il prit une cigarette d'un geste hésitant, et alluma le briquet, même s'il détestait le moment où la flamme surgissait d'un coup, il trouvait cela inquiétant. Puis, il rendit vite l'objet à l'allemand, car il avait l'air ancien et très précieux. Il crapota timidement sur la cigarette, en essayant de dissimuler le fait que la première taffe lui donnait une sérieuse envie de tousser, et l'abandonna dès que Linden se détourna assez longtemps de lui. Il trembla un peu quand son regard se posa sur sa main à nouveau vide, mais il ne fit pas de remarques. En fait, il ne prit plus la parole avant d'entrer dans un snack situé dans un quartier un peu plus accueillant. Casey se sentit enfin un peu plus rassuré. Il fallait dire qu'il suivait depuis tout à l'heure un inconnu à la poigne de fer sans avoir la moindre idée de l'endroit où il comptait l'emmener. Si les x-gardiens le voyaient, c'était sûr qu'ils lui feraient une tête au carré ! Mais, au moins, la menace de la police semblait dissipée.

Il prit place à l'endroit qu'on lui indiquait, et laissa encore la suite des événements se passer malgré lui. Linden était impressionnant, peut-être un peu méchant, mais pas avec lui. En tout cas, il voulait apparemment passer du temps avec lui pour le rassurer, et n'avait pas de problème à lui offrir à boire, chose très signifiante pour lui même s'il avait commencé par lui commander une bière. Il lui semblait toujours vraiment très généreux qu'une personne qui ne le connaisse pas soit prête à dépenser spontanément de l'argent pour lui. En soi, le fait qu'on lui prenne délibérément de l'alcool ne le choquait pas excessivement, il savait que beaucoup de jeunes buvaient bien avant l'âge légal – là où il avait grandi en tout cas. Mais il n'osait pas toucher à l'alcool, c'était une chose qui avait fait trop de mal à sa mère, soit à cause des états dans lesquels elle finissait, soit à cause de l'état dans lesquels ses amants finissaient. L'alcool était toujours impliqué dans les problèmes de sa mère. Il lui  semblait que s'il en absorbait à son tour, il deviendrait comme elle, ou pire, comme ses amants, et se mettrait à faire pleurer les gens qu'il aimait en se montrant injustement cruel avec eux. Il fut donc soulagé que la serveuse refuse de lui servir une bière. Un chocolat chaud lui donnait bien plus envie ! Casey trouva cependant étrange que l'on puisse croire que Linden était son père mais, après tout, il avait l'âge d'avoir un enfant de quatorze ans, et ils avaient tous deux des yeux clairs et des yeux bleus. La déduction n'était donc pas invraisemblable. Mais que l'on puisse s'imaginer qu'il possédait un père, un père assez gentil pour vouloir passer du temps avec lui et lui payer un chocolat chaud lui fit une sensation bizarre malgré la gravité de la situation. Il ne savait pas exactement ce qu'il éprouvait à l'idée d'être, pour quelques instants, le fils de cet homme. Déjà, il ignorait tout de son père, et il n'était même pas certain que sa mère sût réellement qui il était tant sa naissance était un malentendu (on le lui avait assez répété). Imaginer qu'il puisse être un homme fort et intimidant comme Linden n'était cependant pas désagréable, même si c'était peu probable. Comme ce dernier lui proposait de se reposer puis de le ramener chez lui, il opina doucement.

– Oui, merci… Mais je ne veux pas que vous vous embêtiez trop pour moi, je n'habite pas tout près, je pourrai rentrer en bus, j'ai l'habitude.

Il préférait éviter de donner l'adresse de l'institut Xavier à n'importe qui, et surtout à un homme recherché par la police. Quand la serveuse revint avec leur consommation, il eut à peine le temps de respirer le fumet réconfortant de sa tasse, que l'allemand vida une rasade de sa flasque dedans. Casey en fut interloqué. Pourquoi avait-il gâché son bon chocolat ? Pourquoi tenait-il tant à lui faire absorber de l'alcool ? Devant ses gros yeux consternés, l'homme lui expliqua que ça le rendrait viril et lui ferait du bien, comme un vrai médicament, et que c'était un remède conseillé par un sergent. Donc, il était un ancien combattant ? Ça expliquait des choses ! Et ça pouvait peut-être dire qu'il n'était pas vraiment un criminel. En tout cas, il avait tellement l'air de croire que sa méthode l'aiderait à aller mieux, qu'il se sentit obligé d'absorber un peu de son breuvage corrompu du bout des lèvres. Il n'aima pas beaucoup l'arrière goût amer qu'il avait désormais mais retint sa grimace. Il murmura quand même timidement :

– C'est gentil mais je ne sais pas si ça va vraiment m'aider. Je ne bois pas. Ma mère buvait et je n'ai jamais trouvé que ça lui donnait les idées plus claires, et j'ai déjà du mal à les avoir moi-même alors…

Mais ses histoires intéressaient sans doute très peu Linden. Après avoir allumé une autre cigarette au mépris de l'interdiction, il lui rappela qu'il n'était pas très intelligent de s'attaquer à des personnes plus fortes que lui et lui demanda qui avait bien pu lui conseiller de faire un truc pareil. Les joues de Casey s'empourprèrent. Il baissa nerveusement les yeux. Personne ne lui avait réellement mis cette idée en tête. Il avait juste voulu devenir un super-héros comme son ami Garfield, et suivre le chemin de la Justice League. C'était stupide, il s'en rendait bien compte, et expliquer ça de manière moins stupide était un peu compliqué.

– Je ne pense pas que quelqu'un mérite d'être accusé pour ce que j'ai fait. C'est ma faute j'ai… Je voulais aider les gens. On dit souvent que des drames arrivent parce que les gens préfèrent les ignorer tant qu'ils ne sont pas visés, et je voulais faire quelque chose contre ça parce que… parce que j'ai reçu un don de plus que les autres, alors il faut qu'il serve à quelque chose. Je sais que je ne suis pas assez entraîné, je ne sais pas pourquoi je leur ai dit de laisser cette fille tranquille. Je n'ai pas réfléchi. Et quand j'ai donné un coup de pied au garçon, je n'ai pas réfléchi non plus. Il voulait juste me pousser pour que je m'éloigne, je ne sais pas ce qui m'a pris de l'envoyer par terre. Je l'ai blessé, et je ne voulais pas faire ça. Vous êtes un soldat ?

Pour une fois, il ne posait pas sa question dans un discours involontairement décousu. Il était intrigué, bien sûr, mais parler de lui le gênait beaucoup parce qu'il ne savait pas trop comment raconter ce qui était arrivé et dire pourquoi c'était arrivé.

Le geste d'Erl le surpris et le fit sursauter. Il ne s'attendait vraiment pas à tant de maladresse de la part d'un tel homme. On ne pouvait quand même pas casser le nez de plusieurs balourds puis renverser une tasse de chocolat chaud sous le regard d'une serveuse. C'était assez humiliant, non ? Cependant, en y réfléchissant bien, Casey avait noté que plusieurs choses ne collaient pas. L'ancien militaire n'avait absolument aucune raison de faire un geste vers sa tasse, et ce n'était pas le genre à agiter les mains dans tous les sens quand il parlait. D'ailleurs, même si ça avait été son genre, ils n'avaient pas une conversation assez animée pour que ça arrive ! Il l'avait donc fait exprès, sans doute en remarquant sa réticence à prendre une boisson alcoolisée. La méthode était à la fois brutale et délicate. Sur le moment, l'adolescent fut un peu gêné. C'était sûr que son sauveur avait voulu lui faire plaisir, sans doute en s'imaginant que, comme de nombreux jeunes de son âge, il devait se sentir déçu d'avoir manqué une occasion de faire le grand avec une bière. Il n'avait vraiment pas voulu faire le difficile. Mais, quand Erl lui adressa un regard complice et chaleureux, il se détendit et lui renvoya un grand sourire. Tout allait bien, il n'avait visiblement pas l'intention de lui reprocher d'avoir dû gâcher le contenu de sa tasse pour se conformer à des caprices de fillettes, comme un vrai militaire aurait pu le faire. En tout cas, les militaires se comportaient souvent de cette manière dans les films.

Casey reçut son nouveau chocolat et en prit une gorgée de bon cœur avant de se perdre dans des explications sur les raisons de son attitude inconsciente. Quand il se tut, il redouta un jugement sévère de la part du grand homme, mais celui-ci se contenta de répondre à sa question – il avait bien été militaire – et le rassura sur le fait qu'il avait pu avoir les mêmes pensées que lui à son âge. Il ajouta d'ailleurs qu'il avait apparemment réussi à accomplir certaines de ses idées pour améliorer le monde. Le regard du jeune garçon se fit aussitôt plus admiratif. Il était prêt à lui demander de quelle manière il s'y était pris, mais la peur glissa sur son visage quand l'alarme de la police couvrit le vacarme ronronnant de la circulation. Ses nerfs se crispèrent aussitôt, son pouls s'accéléra de crainte que les véhicules ne s'arrêtent devant le snack, mais ils poursuivirent, suivis des pompiers, vers le lieu de l'altercation. Tant de monde ? Ça semblait grave. Erl avait peut-être réellement tué quelqu'un ! Il observa l'ancien soldat d'un air inquiet, mais ce dernier ne montrait pas la moindre trace de remords, il poursuivit même très tranquillement son discours, lui expliquant qu'il ne pouvait pas foncer dans le tas armé de bons sentiments et ferait mieux de s'amuser avant de mettre sa vie en danger pour sauver le monde. Certes, mais Casey craignait de ne pas être assez aimé, et donc pouvoir profiter de la vie s'il ne faisait pas quelque chose d'assez exceptionnel pour être estimé des autres. Il ne pouvait s'empêcher d'éprouver une déception en songeant que ce destin devrait être repoussé à plus tard, qu'il lui faudrait donc trouver autre chose pour gagner l'admiration de ses pairs.

Comme il termina sa tasse pendant qu'Erl lui parlait, le militaire lui proposa de ne pas s'éterniser et de le raccompagner au moins jusqu'à l'arrêt de bus. Casey acquiesça doucement. Il savait – grâce aux dessin-animés – qu'il ne fallait pas monter dans la voiture d'inconnus, mais l'homme lui avait suffisamment prouvé ses bonnes intentions, ou il était un excellent manipulateur. Certains points restaient cependant plutôt louches, comme ce briquet à l'air précieux et ancien qu'il ressortit pour fumer une nouvelle cigarette sur le trottoir. Le geste fut furtif, mais peu de choses échappaient à l'attention visuelle de l'adolescent. Il remarqua un aigle, chose plutôt commune, mais surtout, il lui sembla discerner une croix gammée. Au moment de payer d'ailleurs, il avait remarqué une date surprenante sur le billet. Pourquoi avoir noté un détail si infime ? Il n'en savait rien, il voyait simplement tout et cet élément lui revenait en tête maintenant qu'il pensait au briquet et à la période qu'il représentait. Donc, quand Erl lui demanda s'il avait des questions, il ne put se retenir.

– C'est un symbole nazi sur ton briquet ? Pourquoi tu le gardes ? Tu l'as trouvé chez un antiquaire ? Il appartenait à ton grand-père ? Parce qu'il a l'air vieux. Et comment ça se fait que tu as des billets datés de 1951 ? Et, c'est quoi les idéaux pour améliorer le monde que tu as pu accomplir au final ?

Oui, ce n'était pas parce qu'il n'avait pas pu poser cette question au moment où il le voulait qu'elle lui était sortie de la tête. Il l'avait simplement mise en veille dans l'un de ses cerveaux. En retrouvant le silence, Casey songea qu'il s'était sans doute un peu trop emballé avec toutes ses questions, surtout au sujet du billet. Il avait bien relevé la tête surprise du l'ancien soldat quand il lui avait sorti sans hésitation la date très exacte indiquée en minuscule sur le bout de papier. Ça lui avait fait mesurer qu'il n'était probablement pas censé avoir le temps ni la capacité mémorielle de retenir ce genre de chose. Les x-gardiens lui avaient pourtant souvent signalé qu'il ne devait pas exprimer à haute voix toutes ses observations quand elles concernaient des détails qui n'étaient pas censés intéresser les gens normaux, ni même entrer dans leur champ de vision, en particulier s'il ne voulait pas avoir l'air complètement débile ou fou. Personne n'avait par exemple envie de savoir qu'il y avait très exactement 141 poils de chat sur son gilet et ça n'avait aucune importance puisque ce n'était pas vérifiable par quelqu'un d'autre que lui, donc il pouvait tout aussi bien dire n'importe quoi pour faire son intéressant. Mais une date de billet, au moins, c'était facile à vérifier.