Le sang n’a pas d’utilité pour un mort, alors plutôt que de faire couler le mien, je préfère me servir du sien. Ma dague glisse sur sa peau, révélant les chairs desquelles coule ce liquide si précieux. J'arrête rapidement mon mouvement, je la veux vivante pour la suite, elle a un rôle bien plus important à jouer que seulement alimenter un sort en énergie. Cependant, elle me facilite bien les choses, car sans ce sang, j’aurais mis des jours à obtenir le même résultat, et garder sa concentration aussi longtemps relève réellement du miracle.
Je la regarde, alongée sur la table, elle a l’air si paisible. Elle est encore endormie, avec un doux sourire aux lèvres. Elle s’appelle Açoka, je crois ou Ashoka, ou c’était simplement un mot dans sa langue qui voulait dire quelque chose que je n’ai pas compris. Peu importe, je l’ai appelée comme ça, alors je garderai son souvenir sous ce nom. Je l’ai vue, et j’ai compris que je l’intriguais avec mes habits différents et mes yeux clairs. La plupart des gens auraient fui, mais pas elle. Sa curiosité et sa naïveté étaient bien plus grandes que sa peur. Elle était trop faible et fragile, elle était destinée à servir un plus puissant qu'elle, et c’est un grand honneur que je lui ai fait en la choisissant. Elle va vivre des choses que très peu de personnes peuvent connaître. Mais pour l’instant, je l’ai assez plongée dans ses rêves pour qu’elle en perde même le sens du toucher. J’effleure sa peau en replaçant délicatement sa main pendante au dessus de la coupe. Ainsi, le sang qui sort de son avant-bras peut courir jusqu’à son index pour se déverser goutte à goutte dans le réceptacle.
En attendant, je repense à ce que je vais devoir faire et dire, à ce qui va se passer. Le moindre faux-pas et je risque ma vie. Le moindre mauvais mot et je risque une éternité de tortures. Je tourne autour de ce qui sera ma position pour le prochain quart d’heure. Je balaye de ma semelle le sol pour en retirer quelques poussières. J’aurais dû choisir un lieu plus approprié, mais ce taudis abandonné est le seul endroit que j’ai trouvé et qui ne me demandait pas de tuer une dizaine de personnes pour me l’approprier.
Je regarde derrière moi et constate que la coupe est presque pleine. Je retire mes protections et ma chemise puis retourne auprès d’Açoka pour lui bander le bras et le déposer sur son ventre, afin de réduire les saignements. Son teint à un peu pali, mais elle garde toujours son sourire innocent. Je lui caresse la joue du dos de la main et je prends la coupe de sang pour aller m’installer à ma place. C’est là que le plus difficile commence.
Je suis debout, chacun de mes gestes est mesuré. Je tends le bras et penche légèrement la coupe pour que le sang commence à couler en un filet régulier. Je commence à tourner mon bras pour tracer un cercle autour de moi. L’exercice est compliqué, car tout le sang doit être uniformément réparti dans cette figure et la coupe doit être vide au moment où le cercle se refermera. Un courant d’air s’engouffre dans les interstices des vieux murs lézardés et vient me caresser le dos. Je retiens un frisson pour ne pas rompre la régularité de mon travail. Quand la coupe est vide, je passe deux doigts au fond pour récupérer le sang qui y est resté afin de me tracer des lignes pourpres sur le visage et sur le torse. Plus les lignes sont complexes et nombreuses, plus elles sont puissantes, et pour ce que je m’apprête à faire, il me faut beaucoup de puissance.
Un genou à terre, je pose la coupe à mes pieds et sors ma dague. De la pointe de la lame, je relie certains points du cercle pour former des figures. Un carré dans le rond. Un rond dans le carré. Un triangle dans le rond. Je range la dague et lève les bras au dessus de moi. Puis je commence à incanter. Dans la langue la plus ancienne que je connaisse, j’implore la terre, j’implore le vent, j’implore les esprits. Je veux que la connexion s’ouvre, entre moi et le lieux où vivent les créatures dont j’ai besoin. Je veux qu’une de ces créatures m’apparaisse et me réponde, car j’ai ici ce qu’elle cherche et qu’elle a ce dont j’ai besoin. Après plusieurs longues minutes, devant moi, au sol, s’ouvre un portail dont les lumières ardentes viennent éclairer toute la pièce. Une créature en sort, à la peau reptilienne, aux yeux brillants de noirceur, aux crocs et aux griffes acérés. Son visage est difforme, comme victime de centaines de boursouflures. Son corps démontre une certaine puissance, et ses bras sont bien plus longs que ses jambes, au point qu’il pourrait attraper sa proie de loin, sans se mettre en danger. Deux lignes de cornes partent de ses arcades sourcilières pour passer sur le haut de son crâne et s’agrandir le long de sa colonne vertébrale, formant une bonne défense en cas d’attaque par derrière. Au bas de son dos, une petite queue de la longueur d’un doigt frétille alors que la colère se lit dans son regard. La créature me fixe, et je sais ce qu’elle pense. Elle se demande si elle peut me tuer avant que je réagisse. Alors je la fixe dans les yeux, et je redescends lentement les bras pour cacher ma peur, car si elle la sent, elle saura qu’elle m’est supérieure et elle m’attaquera dans l’instant. Je la fixe toujours, et je respire doucement.
« Qui ose m’appeler ? » Le démon parle dans ma langue natale, car comme tous les démons, il connaît toutes les langues et utilise celle qui nous atteint le plus facilement. La première règle est de ne jamais donner plus d’information à un démon qu’il n’a besoin d’en avoir, car il est très difficile de savoir ce qu’il est capable d’en faire. J’essaye de prendre une voix calme et sûre.
« Je t’ai appelé car je veux que tu m’apprennes la langue que parlent les hommes de ce monde. »Le monstre renifle plusieurs fois. Ce qui devrait être un sourire, pour lui, se dessine sur son visage.
« Un humain… Créatures pathétiques… Pourquoi devrais-je te faire une faveur ? » Je garde mon aplomb, et je lève une main devant moi, doigts écartés, pour laisser entendre que je peux libérer un important pouvoir très rapidement. Pour lui, je le mets en joue.
« Pour deux raisons. D’abord parce que je suis un seigneur sorcier et que j’ai non seulement le pouvoir de te renvoyer instantanément d’où tu viens, mais aussi de détruire ton enveloppe corporelle. Ensuite parce que je t’ai apporté une âme pure et innocente en guise de compensation pour service rendu. »La bête regarde derrière moi, et, dans une expression assez complexe à interpréter avec les codes qui sont les nôtres, affiche une certaine satisfaction. Sa langue fourchue et rapeuse glisse entre ses crocs. Le cadeau est trop beau, la faim est trop grande. Il cherche à savoir s’il peut obtenir ce qu’il veut sans rien m’offrir, mais il hésite car il n’a aucune preuve qu’il peut me vaincre. Il tape du poing sur le sol, de colère.
« Très bien, apporte-la moi ! »« Je veux mon service d’abord. »Il tape à nouveau du poing. L’énerver est risqué, mais ça l’empêche de réfléchir, et ça, c’est un avantage non négligeable pour moi.
« NON ! Vous autres, humains, pouvaient mentir et tricher, pas nous. Je respecterai ma parole, alors donne-moi l’âme que tu me dois. »Je sais bien, ça, mais je voulais qu’il s’engage, pour être sûr qu’il n’essaye pas de m’entourlouper par une interminable discussion sur l’interprétation de mes mots ou des siens. Maintenant, c’est clair, il me doit un service. Je le garde en joue, mais de l’autre main, j’attrape télékinétiquement Açoka et je la guide pour qu’elle flotte lentement vers son nouveau maître. Elle sourit toujours, la tête penchée en arrière. Elle ne se rend compte de rien. Elle ignore pour l’instant tout des tortures qu’elle va subir pour l’éternité. Dès qu’elle est à sa portée, le démon attrape la jeune fille et l’envoie se coucher sur son épaule. Il me regarde et sourit, sa voix se fait relativement plus douce, tout en restant rauque.
« Ta question est mal posée humain, et je pourrais y répondre de multiples façons. Il y a de nombreuses langues parlées dans ce monde. Veux-tu apprendre celle qui est la plus utilisée ou celle qui est comprise par le plus grand nombre ? »Je perds l’espace d’un instant mon assurance. Je sens que je me suis fait avoir, mais je dois tenter de m’en tirer quand même. Je me reprends, si près du but, je ne peux pas échouer.
« Je veux toutes les parler. »« Non, ce n’est pas possible ! Tu as demandé une langue. Une langue pour une âme. Plusieurs langues pour autant d’âmes. »Je ne peux pas me permettre d’attendre d’avoir plus d’âmes, surtout innocentes. Je dois conclure ce pacte maintenant. Je dois choisir, mais je dois choisir intelligemment. Parler la langue la plus utilisée semble tentant, mais c’est probablement un piège, sinon, il ne l’aurait pas proposé. La langue la plus parlée est certainement celle du peuple, et ce n’est pas avec lui que je veux avoir affaire.
« Je veux connaître la langue utilisée par les plus puissants de ce monde. »« Très bien... C’est chose faite. »Il a marqué un temps d’arrêt, je ne me suis donc pas entièrement laissé abuser. Je le renvoie dans son monde et alors que je détisse le sort, je le vois s’enfoncer dans le portail avec sa victime qu’il savoure du regard. Le portail disparaît et le taudis redevient tout aussi paisible qu’avant. Je me rapproche d’un banc sur lequel j’avais posé une assiette creuse remplie d’eau et un chiffon. Je le trempe et je commence à nettoyer le sang sur ma peau. Il faudra que je brûle le lieu. Les cercles d’invocation ont tendance à rendre les simples d’esprit un peu tendus.
Je regarde derrière moi où était le portail. Rien. Il n’en reste rien. Je ne ressens rien. Aucune différence. J’espère seulement que ça a marché.
- ConséquencesRP:
Sebek-Hotep lis, écris et parle désormais l’anglais comme si c’était sa langue maternelle (accent américain). L’anglais est effectivement la langue la plus parlée par les superhéros les plus puissants.