Jamais 203

N’ayant qu’un après-midi à l’Institut, j’ai tâché de le remplir autant que j’ai pu ; après trois années à ne pouvoir y squatter, l’inverse eu été malheureux. Evidemment, comme squattage on a vu mieux : ceux à l’Académie du Massachusetts comme chez les Braddock et, actuellement, celui au Manoir des Jeunes Vengeurs. Cela étant, ces squattages-là étaient plus ou moins prévus à l’avance, alors qu’avec l’Institut… c’était prévu à l’avance, juste pas la même. Et du coup c’est pas la même tout court. Il y a une différence entre inviter et s’inviter : un "s". Mon "s" chez les X-Men se résume à un coup de téléphone, alors même que je squatte chez Paige et son équipe à la proposition de la première, afin d’énoncer mon envie visiter le lieu où ont vécu Jubilation Lee, Megan Gwynn et Amanda di Lauro ; d’y rencontrer Elizabeth Braddock aussi et d’y revoir Orenda Tami. Et bien c’est fait. Inutile de revenir plus avant sur les explications données auparavant sur pourquoi je ne pouvais pas encore me rendre à l’Institution Charles Xavier, cela a déjà été fait aussi, mais je préfère me concentrer sur la réussite d’avoir pu mettre les pieds ici. Pour un après-midi seulement mais c’est une bonne base et, qui sait, peut-être que la prochaine fois sera plus longue ! Celle-ci, de fois, m’a semblé s’écouler bien rapidement ; les occupations évoquées précédemment.

Betsy m’a fait visiter le Manoir et notre discussion m’a permis de rattraper un peu le retard que j’ai envers elle par rapport à la moyenne des Braddock : je fais pas parti de la famille mais, dans la Section Junior, on m’a surnommé l’animal de compagnie des Braddock donc je fais de mon mieux pour les connaitre. Elizabeth est peut-être à part de sa famille, tout comme de l’Excalibur, mais elle reste membre. Orenda, de son côté, avait la tête sous l’eau quand je suis arrivée et cette fois je ne la lui ai pas fracassée ; la tête. Littéralement dans les deux cas. J’avais énormément de curiosité à la rencontrer dans une autre ambiance que celle de l’American Tenkaïchi Budokai, surtout considérant comment j’ai cassé les deux ; l’ambiance et Orenda. La seconde a bien guéri, physiquement comme mentalement, comme on peut s’y attendre en deux ans en fait. Ce qui ne l’a pas empêché de se souvenir de moi ; une bonne ou une mauvaise chose, j’en ai aucune idée. Heureusement que je suis sans gêne, sinon lui faire face aurait été plus difficile que cela ne l’a été. Le risque que tout finisse à la flotte, considérant qu’on s’est rencontrées à la piscine d’arrière-cour de l’Institut, était assez élevé mais qui ne tente rien n’a rien alors autant tenter le diable ! J’ai beaucoup de regrets mais ça ne m’empêchera jamais d’aller de l’avant.

Et, histoire de continuer d’aller de l’avant, une fois la rencontre avec Orenda terminée, c’est dans le parc de l’Institut que je suis partie. Le reste était déjà un peu visité et, n’ambitionnant pas de découvrir la base des X-Men lors d’un premier coucou à domicile, je me suis intéressée au domaine qui entoure le manoir Xavier. Il est tout aussi arboré que celui de l’Académie mais je ne les comparerais pas plus avant, pour la simple raison que je ne crois plus qu’ils soient comparables : Emma Frost a un campus universitaire là où Charles Xavier a une école plus familiale ; les deux sont privées, cela-dit. Les approches de l’enseignement sont peut-être similaires, je ne suis pas capable d’évaluer cela, mais l’environnement de travail est totalement différent. Sauf pour l’aspect forestier dont je viens de parler. Et pour ce qui est des étudiants restant sur place durant les vacances scolaires. Je sais qu’on est début juillet à défaut de savoir quand leur année scolaire s’est terminée, donc peut-être qu’un certain nombre partira prochainement, mais, mine de rien, il n’est pas difficile de croiser du monde, la plupart en âge d’être élève ; quand bien même être élève me semble pouvoir s’étendre jusqu’à trente ans dans des lieux d’enseignement supérieur. Je dirais bien que je ne comprends pas l’idée de rester à l’école pendant les vacances, moi qui n’aimait déjà pas le faire pendant les périodes de cours, mais je ne pense pas qu’il s’agisse d’un intérêt scolaire. Les membres de la Section Junior ont des stages d’entrainement intensifs durant les vacances d’été et il me semble que c’est également le cas de certains Hellions, ça ne m’étonnerait donc pas qu’X-Men et aspirants suivent similaire habitude. Pas forcément aux horaires 8 30 – 11 30 et 12 30 – 17 30 plus un bonus pour ceux qui sont capables de l’encaisser mais dans l’idée il y a de ça. Et comme on doit pas être loin des 17 30, y’en a peut-être qui sont déjà sortis. Excellente question que je ne poserai pas : les X sont une organisation secrète et j’ai pas grillé leur existence au-dehors de l’Institut, sauf quand j’ai grillé qu’ils existaient et obtenu confirmation, alors on va éviter de le faire connement au-dedans.

Voici qui explique pourquoi je garde une certaine distance, alors même que je marche dans le parc avec les deux mitaines dans la poche arrière de mon legging. Avec la veste de tailleur, je pourrais presque passer pour une puissante dans cette position ; heureusement que ladite veste est un peu trop grande pour moi, afin de ne pas entraver mes mouvements, et s’ouvre sur un t-shirt certes blanc mais qui n’a rien d’une chemise. Ça plus le pantalon de sport et les baskets qui vont bien, il n’y a même pas besoin de considérer mon âge ou le bordel de ma chevelure pour comprendre que je suis pas une grande professionnelle. Cependant, s’il faut caresser l’égo dans le sens du poil, et bien je suis une professionnelle : mine de rien, ce sont mes premiers congés payés en tant que membre de l’Alliance des Champions de l’Europe. J’ai pas l’intention de me reposer sur cette idée, cependant, et je suis toujours curieuse de voir comment les autres cherchent à s’améliorer par eux-mêmes. Je les regarde donc, sans m’en cacher.

L’une des différences majeures entre l’Institut Charles Xavier et le Manoir Braddock me vient à l’esprit à essayer d’observer des X-Men et des stagiaires ayant terminés leurs entrainements : autant les Braddock sont au cœur d’un groupe de super-héros publiquement connu et forment nombre de recrues périodiquement comme à l’année, autant l’Institut est… ben un institut, en fait. Donc pas tellement dans l’esprit de formation paramilitaire, officiellement. Et l’officiellement ce voit bien quand on cherche à voir autre chose. C’est plus proche des Curie en fait, l’exercice physique laissant la majeure place à l’exercice intellectuel, même si les Curie sont aussi au cœur d’un groupe de super-héros publiquement connu. En un mot commençant, j’ai pas fini de chercher si je veux le fin mot de l’histoire sur d’éventuels X-Men et stagiaires ayant terminés leur entrainement. Evidemment, je ne m’attendais pas à voir des gens en combinaison de molécules instables se balader comme si de rien était mais des mecs explosés de leur journée et cherchant à se détendre, pour ne pas dire à comater pépères, ça se repère tout aussi facilement. En théorie. En pratique, j’en trouve pas ; peut-être que le parc n’est pas l’endroit où ils s’en vont, de mémoire je squattais salles de repos et un fauteuil en particulier chez les Braddock ; fauteuil qui doit toujours avoir mon odeur mais on dira rien. Cela étant, j’ai déjà fait le tour de la salle de repos réservée aux X-Gardiens, dont j’aurai dû réclamer l’identification civile, et ma Chance va bien me trouver un truc intéressant ; j’en suis convaincue. Après, il faut aussi considérer que l’on trouve rarement ce que l’on cherche activement au profit d’un nombre pas possible de trucs qu’on ne cherche pas. Ça ne change rien à ma Chance, juste qu’il me faut être adaptable. Une chose que je suis, rien que l’idée que je sois dans les forces de sécurité ou encore dans un campus universitaire impliquant beaucoup plus d’adaptation qu’il n’y parait, quand on me connait. Et quand on ne me connait pas…

Je lève les sourcils de perplexité lorsqu’un adolescent se pointe avec sa guitare et son sourire. Sa question me fait sortir mes mitaines de ma poche pour une poignée de main mais la proposition qui suit m’interrompt pour me laisser avec un sourire en coin et un ricanement. Faisant face malgré la bonne tête de différence qui me sépare de mon interlocuteur, une seconde d’observation me convainc qu’il ne se fout pas de la mienne, de tête, et est sincère dans son approche. Pour des raisons évidentes, je n’ai encore jamais été draguée de ma vie. Et je sais pas si je dois compter ça comme une première tentative ou comme une blague ; ce que je sais par contre c’est que ça vole tellement bas que "Casey" mérite juste de se cracher. D’ailleurs, quelque soit la réponse, il semble y croire le gars. La guitare, sans doute. La silhouette athlétique visible malgré des vêtements originaux, aussi. Le visage fort à la puissante mâchoire et aux cheveux blonds, possiblement. Sans parler des yeux d’un bleu-gris intense qui virevoltent pour me détailler. Quoi qu’il en soit, je suis suffisamment douée dans la compétition pour mettre les pieds dans le plat pour avoir une sympathie, entre la pitié et l’empathie, pour un mec qui doit plus côtoyer de râteaux que le jardinier du domaine.

Visiblement, je ne suis pas la seule dans ce cas de figure là puisqu’une joggeuse s’en décide à intervenir. Elle aussi est soit en rébellion soit en indifférence vis-à-vis des conventions sociales, comme en témoigne la couleur de sa chevelure, et sa tenue, partiellement verte également, ne laisse rien suggérer de la condition physique qu’elle entretient. Elle aussi est plus grande que moi, ce qui n’est pas dur, mais notre carrure est très similaire ; quand bien même la mienne est moins visible. Un bon point pour l’Institut, le sport n’a pas l’air d’être délaissé. Un bon point pour moi, les deux doivent avoir la condition physique nécessaire à suivre une formation paramilitaire. Un bon point pour Casey, il a du renfort. Et un bon point pour le renfort, j’ai pas encore commencé à répondre.

« Moins nouvelle que de passage, dis-je avec un accent irlandais tenté de britannique et une posture de détente européenne, mon poids réparti sur mes deux jambes. Niveau morceau, histoire d’en cracher un, je dirais Superhero, de Tim McMorris, ou Land of Confusion, de Genesis… Get Lucky, de Daft Punk, sera peut-être plus facile, cela dit ; et à propos : Lucky. »

Je tends la main en accompagnement de mon surnom, d’abord à Casey puis au renfort pour la double raison qu’il était là avant elle et que j’espère obtenir son nom en terminant par son cas. Reste à ce que les miens, de nom comme de cas, soient compris ; mais vu le niveau du point d’orgue de cette rencontre, je n’en doute pas. D’ailleurs, j’ai pas l’intention de laisser planer beaucoup de doute bien longtemps et je le fais avec espièglerie.

« Du coup, Casey tu fais l’instru et toi tu chantes ? »

C’est une vraie question quand bien même je m’attends à ce qu’elle enchante le premier et déchante la seconde ; le sujet de la guitare me semble cependant plus soft à aborder que celui d’une tentative de drague nécessitant intervention pour limiter la casse. Cela étant, si c’est pour m’aider moi, non l’aider lui, que le renfort est intervenue… ben je suis bien ingrate. D’un autre côté, ça assure qu’elle reste dans la conversation et ne se fasse pas "gentiment" virer d’une communication destinée à lui faire comprendre qu’elle gêne un plan drague volant probablement au même niveau que le plan drague suscité. En somme, on va passer du râteau à la tondeuse dans cette histoire.

« Moi je chante pas mais je coure bien. Et toi Casey, tu coures ? »

Et op, un partout tout en évitant de me mouiller. Peut-être aussi que, si l’on omet la polysémie de mes propos au niveau du chant et de la course, je me montre d’un manque de doigté paradoxal avec cette considération mais d’un autre côté c’est de bon ton dans cette bonne compagnie. Vieille technique de drague, subtilité zéro, finesse luckyesque… on arrive à faire la paire à trois, c’est dire si ça part bien.

Casey corrige son Renfort d’une façon terre-à-terre qui n’est pas sans me rappeler les capacités de Léo ; sans rien de péjoratif à cela. Avec en bonus ma capacité à mettre les pieds dans le plat, c’est un cocktail qui promet d’être exceptionnel ; là, il est possible d’y voir du péjoratif par contre. Le compliment qui s’en suit est maladroit, sans surprise considérant sa manière d’aborder, et la question a toute ma curiosité. Je ne savais pas que le Gène X pouvait interférer avec ceux responsables de la couleur des cheveux même si c’est pas surprenant puisqu’il interfère avec tout le reste. De là à soupçonner les capacités surhumaines juste par la présence d’une couleur inhabituelle, ben même avec une dragonne bleue dans le répertoire, j’y aurai pas pensé. J’y ai pas pensé, d’ailleurs. Logique. Ce à quoi je dois penser par contre, ce sont les présentations.

La poignée de main trouve moins vite une réponse que l’accent, me faisant noter les capacités d’observation de Casey et sa vivacité à m’interrompre ; une chose qui, plus que réussir, me fait marquer une désagréable pause avant de reprendre. Je reste cool cependant, consciente qu’il ne fait pas ça dans l’intention de me couper mais car il va à sa propre vitesse et celle-ci semble inhabituelle ; plus proche de la mienne que de celle de Zombie, pour reprendre la comparaison précédente. Alors qu’il réfléchit à ce que je lui ai dit, j’en fais de même et suppose fortement sa condition de neuroatypique ; qu’il soit autiste, surdoué ou même que sa pensée soit affectée par son Gène X, comme c’est le cas chez Amy, il pense vite et par associations d’idées. Et il a un manque de confiance en lui plus que perceptible au contact physique là où il tente d’avancer l’inverse avec sa guitare.

« C’est mon surnom, réponds-je afin de retirer les pieds de Casey du plat dans lequel il croit les avoir mis et de dissiper un peu la perplexité du Renfort dont je n’ai toujours pas ni surnom ni nom. Lucy pour le prénom et comme vous voulez pour les surnoms. »

Pour leur bien, il vaut peut-être mieux que j’évite de leur donner ; ce que je ferais quand même, mais en silence. A défaut d’avoir des idées pour le Renfort, qui risque de terminer ainsi et ça permettrait quelques jeux de mots, je dois avouer fortement supposer l’arrivée prochaine d’un "Cas Zey". Mine de rien, à s’assoir par terre ainsi pour commencer à jouer de la guitare, Casey est peut-être un cas. Dans tous, des cas, c’est l’occasion idéale de demander la répartition des rôles au Casey et au Renfort ainsi que de se dédouaner au cas où. Et d’obtenir le nom du Renfort : Leandra. Merci Casey. Je vais pas la blâmer du vent qu’elle me met, c’est de bonne guerre si j’en crois la tête qu’elle tire, mais le petit renfort pour la Renfort la renforce dans son bug. Et autant j’ai l’habitude de laisser aux autres le temps de retomber sur leurs pattes, ou de s’en péter une à se péter la gueule en essayant, autant Casey n’en fait pas de même. Cependant, interrompu dans sa chanson par ma question, il part dans la nouvelle direction que je lui ai indiquée. S’il y a un point positif à être moi, dans le sens neuroatypique de ma personne, c’est que je sais gérer les personnes comme moi, toujours selon ce même sens. Ma tête c’est le bordel et mes paroles s’en ressentent, lui c’est encore un niveau au-dessus ; probablement n’a-t-il pas eu la chance d’avoir une psychologue spécialisée dans sa famille. D’un autre côté, quand on parle de Chance, j’ai. Fin de la discussion.

Et comme le Talent d’avoir de la Chance est encore meilleur quand on a la Chance d’avoir du Talent, la course m’aurait permise de vérifier les capacités physiques des deux autres adolescents en me posant comme arbitre. Sauf que Leandra énonce cette même idée, joignant le geste à la parole tant du pied que de la main, et se barre avant que je ne fasse valoir mes droits d’invitée ; peut-on faire un pied de nez avec la main ? Dans les deux cas, ça me fait un nouveau vent au compteur et, comme "jamais deux sans trois", je suis parti pour m’en reprendre un incessamment sous peu. La regardant s’éloigner, je reste bien droite avec les mains le long de mon corps mais ne peux m’empêcher de pencher un peu la tête sur le côté. Puis je me tourne vers le guitariste en herbe qui a laissé la sienne, de guitare, sur celle-ci, l’herbe.

« Du coup, mutant modifié physiquement, demande-je avec autant de délicatesse qu’il n’en a eu pour m’aborder. Ça te fait quoi comme capacités ? »

Je demanderais bien le lien avec le neuroatypisme mais, outre que je suis assez grande pour le déduire seule, je vais éviter de me faire interrompre parce qu’il donne la réponse avant que je pose la question. Mains dans la poche arrière de mon leggings, j’attends donc son explication tout en sachant ce que je demanderai après ; d’un geste du menton, je désigne celle qui va nous lancer un top départ auquel je ne prête plus tellement attention.

« Et Leandra ? C’est un truc de plante qui pourrait lui donner des cheveux chlorophyllés ? »

Avant de se foutre de qui que ce soit ici, rappelons qu’Amanda a des membranes nictitantes irriguées de méta-chlorophylle ; avoir des cheveux à la chlorophylle, en plus de justifier qu’ils soient verts, offrirait une plus grande surface de captation de la lumière. Bon, pour acheminer la chlorophylle et repartir avec le sucre faut des zones irriguées en sang, ce que ne sont pas les cheveux, mais sait-on jamais : après tout, le Gène X fait des miracles. Et celui de Casey lui assure peut-être une supériorité absolue, en plus du fait que les records masculins sont supérieurs aux féminins dans le domaine de l’athlétisme. On va pas se mentir, à 11s11 le 100m, je suis encore loin derrière Christine Arron et son record d’Europe. On va continuer d’être franche, à 11s11 le 100m, je sais pas si j’ai envie de me faire étaler par un étudiant de l’Institut peut-être même pas apprenti X-Man ; même si ça me fait comprendre pourquoi les surhumains sont interdits dans les compétitions officielles et les JO. Je sais que je n’en suis pas à vouloir gagner à tout prix, comme contre Orenda, et je sais que gagner sur un coup de chance, tant qu’il n’implique pas une blessure grave, ne changera absolument rien pour moi. Par contre, je ne sais pas si mon égo n’en prendrait pas un coup de perdre. Heureusement, j’encaisse bien les coups. Et, si je suis pas sure de pouvoir gagner, je suis certaine que Casey peut perdre.

« Moi ? Je suis Lucky, dans le sens "Chanceuse", et avec une majuscule. Pas une question de Gène X ou de quoi que ce soit. Ça n’a pas l’air comme ça mais tu feras moins le malin quand tu te seras mangé un gadin durant notre course. Si ça te tente toujours, on peut y aller. »

Sinon on peut laisser Leandra en plan mais je dois avouer lui avoir déjà mis un bon vent avec son levé de bras pour top départ donc… ben il m’en reste un second à lui mettre pour qu’on soit quittes, du coup.

Deux cerveaux et trois cœurs, me répond Casey quand il en revient à moi. Je dois avouer que c’est bizarre dit comme ça mais le bizarre me gêne pas tandis que l’autre adolescent ce gêne tout seul du coup j’accorde plus d’importance à son sentiment qu’à sa différence de toute façon invisible. Pour positiver, j’arrive à conceptualiser comment sa mutation marche, à défaut de voir comment tout tient dans sa tête et sa cage thoracique. Pour la première, peut-être que ce sont ces hémisphères droits et gauches qui ont chacun une double partie, faisant donc logiquement deux cerveaux. Ça prendrait pas beaucoup plus de place qu’un seul. Pour les cœurs par contre, pas grande idée. A moins qu’il soit comme les poulpes, qui ont un cerveau par membre en plus d’un central et également plusieurs cœurs je crois ; juste que je ne suis pas sûre de quel "membre" aurait le second cerveau. Dit comme ça je dirais le bas-ventre mais pas parce qu’il pense avec sa bite, plutôt parce qu’il y a des neurones dans les intestins. En tout cas, je prends bonne note des réflexes et de l’endurance améliorés. Et je le prends bien, levant les épaules pour signifier qu’il n’a pas à s’excuser de ne pas pouvoir laisser sa mutation de côté. Pas un mal, d’autant que c’est pas un choix comme il le souligne et puis que la résistance physique à l’effort, sur un sprint, on la verra pas tellement. Histoire de suivre l’idée du sprint, j’en passe donc vite à autre chose.

Leandra a peut-être développé une mutation secondaire depuis la dernière fois que Casey lui a parlé, ça m’aide pas vraiment ; mais lui non plus donc on est au même niveau. Par contre dès son histoire d’esprit de la jungle, il me largue ; merci ma Chance, et lui, la question est rhétorique et l’explication s’en vient immédiatement. C’est une hybride jaguar… j’aime ! J’ai pas la moindre idée des modifications organiques que ça lui apporte, surement des boosts sensoriels et physiques, mais j’en ai plein d’autres qui me viennent en tête. Notamment l’explication des vents qu’elle me met : c’est un truc de félin ! Le jaguar c’est un gros chat et j’en suis un métaphorique donc forcément que son instinct, plus développé que le mien même si c’est pas dur, lui a dit de me snober. Tout fait sens même si on va pas encore dans le sien. Après, il faut que tout face sens pour Casey aussi et les explications sur mes pouvoirs n’ont pas l’air d’aider.

Mes lèvres se plissent d’amusement alors que je me rends compte que même quand je rencontre un mec à trois cœurs et deux cerveaux ainsi qu’une nana demi-jaguar, ben je reste la plus étrange du lot ; I’m the Lucky One ! Les sceptiques ont généralement mis en doute l’existence de ma Chance mais je garde ma réponse pour plus tard, d’autant plus que Casey passe du doute à l’assurance lorsqu’il me répond.

« Je sais pas ce que t’as prévu de faire, mais je vais certainement pas tomber.

- Moi non plus, à l’un comme à l’autre. »

S’il est plus sérieux à ses propos, je tente de calmer le jeu dans les miens. Mon tour d’avoir mis les pieds dans le plat mais pas vraiment le temps que les enlever considérant l’exercice d’équilibre que représentent mes interactions avec Casey et Leandra dans le cadre des tests pour savoir s’ils sont étudiants X-Men. Ce n’est donc pas totalement vrai que je n’ai rien prévu de faire, même si je n’ai rien prévu de faire durant la course ; autre que courir, évidemment. Leandra m’a mis un plan sur mon plan d’arbitrage mais je sais retomber sur mes pattes. Et Casey met directement les siennes, de pattes, à celle-ci, la pâte : visiblement le mec il veut y aller comme ça. Je veux bien qu’on ait pas le temps pour des échauffements complets mais un minimum s’eut été bien ; perso j’ai déjà fait trente minutes d’articulaire et de musculaire au levé puis quinze de cardiovasculaire dans la matinée mais réveiller le tout avant de me relancer me semble basique. Peut-être que la mutation de Casey le dispense de la troisième partie mais je ne pense pas des deux autres. Ce qui me laisse douter soit qu’il soit déjà chaud, mais la guitare me fait douter au carré, soit qu’il ne soit pas familier avec la discipline d’entrainement sportif ; donc qu’il ne soit pas un étudiant X-Men. Dans le doute, allons vers la plus petite puissance. Ce qui vaut pour mes suppositions comme pour ma course d’ailleurs : l’idée de prendre mon temps pour m’échauffer comme je l’entendais est vite expédiée car je ne pense pas que Casey l’entendrait de cette oreille et me tirerait surement les miennes, s’il osait. Après je l’en blâmerais pas, ça ressemblerait surement à de la provocation ; peut-être que Leandra a perçu mon remontage de score de cette manière d’ailleurs, à voir. Et pour voir, faut aller voir ainsi je me contente de quelques rotations de genoux et de chevilles pour éviter qu’on m’invite à me faire voir sans pour autant risquer pleinement de me faire avoir.

Le départ est lancé et Casey aussi. Et les treize secondes suivantes peuvent se résumer ainsi : la chance d’avoir du talent ne suffit pas, il faut encore le talent d’avoir de la chance. Traduction : j’arrive en première mais c’est tellement pas parce que je le mérite. Mon égo se dit qu’on a gagné, ma logique lui répond que Casey a perdu ; Nuance, avec un putain de "N" majuscule. Pardonnez-moi pour la grossièreté mais d’une on est dans ma tête et de deux c’est moi qui ait du passer pour membre de cette profession avec cette histoire. Je l’ai vu sauter, j’ai entendu la bestiole et là je le vois arriver avec une belle trace de terre sur une godasse qu’il n’avait pas avant ainsi qu’une… guêpe dans la main. C’est de la triche, techniquement non, mais tout est contre lui je le crois à 100%.

Une fois qu’il s’est débarrassé de sa preuve une dextérité que je ne toucherais pas de mon côté, je pince les lèvres face à sa contrariété et mimique son geste tout en tournant les yeux sur le côté pour réfléchir. Non, je suis pas surprise. Plutôt circonspecte. Je m’attendais à rien car j’attendais de voir. Clairement, ma Chance signifie la malchance de Casey, ça c’était prévu. Ce qui était moins prévu c’est le niveau : je sais pas combien de secondes l’autre adolescent peut mettre au-dessous des dix, surtout s’il est correctement préparé, mais je sais que la manifestation d’évènements fortuits est largement au-dessus de la moyenne. Parce que je considère avoir une moyenne, ou une normalité différente de la moyenne ou de la norme ; bref. Et c’est pas la première fois que ça arrive, Orenda m’en est témoin. Après, j’ai pas eu l’impression d’avoir activé ma Chance ce coup-ci mais, même en passif, par définition c’est pas possible de quantifier.

Mes considérations sont interrompues par la question de Leandra et je tourne le regard vers la seconde alors qu’elle développe la première. Je soutiens son regard en me tournant pour lui faire face, action plus reflexe qu’autre chose, mais je suis plutôt d’accord avec ce qu’elle dit. Bon, je vois pas la différence entre augmenter ses chances de gagner et baisser celles de l’autre, pour moi c’est la même chose. Encore que "le résultat est le même", ça signifie peut-être que ce que je vois se limite au résultat alors qu’elle fait une différence. Augmenter ses chances de gagner reviendrait à s’avantager soi-même et diminuer celles de l’autre à le contraindre lui. Chose que je peux faire, même si je l’oublie parfois : je ne suis pas qu’un porte-bonheur, je peux aussi porter malheur à ceux que je déprécie. Sauf que je ne déprécie en rien Casey et n’avait pas cette rage de vaincre comme contre Orenda.

« Mes pupilles sont dilatées ? »

Je n’en ai pas l’impression mais la question a la double utilité d’éviter une surenchère physique, ma demande vive s’accompagnant d’un décroisement des bras pour lever les mitaines en signe de paix, ou orale, même si je ne change pas vraiment de sujet je change celui d’attention. Même si cela ne se voit pas beaucoup de loin, mes iris vertes ont une auréole brune autour de la pupille et l’expérience m’a appris que l’utilisation volontaire de ma Chance me les dilate ; même si ce phénomène est également imputable à l’adrénaline.

« Je suis chanceuse, ce qui peut signifier que les autres sont malchanceux… juste que c’est rarement à ce point-là. »

Je rabaisse les mains durant la première partie de ma déclaration, confirmant que c’est bien moi qui ait fait ça, puis tourne mes yeux dragons vers Casey lors de la partie qui le concerne. Je n’ai jamais fait le rapprochement mais mes plus gros coups de Chance impliquent d’une part des poussées d’adrénalines et d’autre part des mutants. Reste à savoir ce que ça veut dire. La Chance aurait fait foirer mon test génétique ? Le premier pourquoi pas, celui de la Section Junior ça me semble plus improbable ; les Curies s’y connaissent en génétique, mine de rien. Peut-être que les personnes dotées d’un Gène X sont plus sensibles, ou que ma Chance est raciste. Je dirais bien que les deux me semblent improbables mais l’improbable c’est mon truc, justement. Après, je ne vois pas d’explication scientifique plausible mais, outre que ça ne veut pas dire qu’il n’y en a pas, ben… il n’y en a déjà pas pour l’entièreté de ma Chance, en fait. Donc on rame là. Des explications pourraient se faire assez longuement et même si je parle beaucoup je ne suis pas certaine que ça soit une bonne idée. A la place, faut que j’improvise un truc et je tâche de le faire en restant détendue, les bras le long du corps.

« J’ai toujours une chance de gagner, juste que je sais pas forcément laquelle, dis-je pour confirmer les dires malgré une pointe de mauvaise foi. Je contrôle pas volontairement ce qui arrive, ça "m’arrive" juste. »

Je marque une pause ici en regardant tour à tour Casey et Leandra, même si mes pensées s’en vont vers la qualité de cette synthèse ; Liara serait-elle fière ? Sais pas. Ce que je sais c’est que le seul mec de la bande ne le fait pas, le fier, et je fais un pas vers lui dans une tentative amicale de calmer sa contrariété.


« Ey Casey, t’avais raison : t’es pas tombé. »

Moi par contre, je sais pas si je viens pas de mettre les pieds dans le plat avec cette phrase mais on verra bien. J’ai bien d’autres curiosité à satisfaire et je commence par celui dont le comportement suggère qu’il est le plus jeune de la bande.

« T'as suivi un entrainement particulier pour atteindre ton niveau ? »

Je ne pense pas, tant vis-à-vis des suppositions de toute à l’heure que de sa déclaration d’être "naturellement comme ça", de toute à l’heure aussi ; être naturellement d’un niveau apte à se chopper facilement quelqu’un du niveau olympique, même quand ladite quelqu’un n’est pas chaude, ça serait classe. Pas autant qu’une chimère jaguar mais ça c’est car je suis atteinte de toxoplasmose. Pour la majorité des gens, le bonus sportif doit être mieux. Après, pas dit que le chimérisme n’en apporte pas un aussi.

« Et toi Leandra ? T’es hybride jaguar si j’ai tout compris. Ça t’aide vis-à-vis du footing voire plus ? »

Je viens de réaliser un truc : merci ma Chance, Leandra étant la seule échauffée du lot, elle aurait sans doute faite une bien meilleure performance que moi elle aussi ; voir que Casey. Ce qui enfonce encore ce dernier d’ailleurs, puisque cela peut signifier que l’arrivée de son Renfort est aussi un enchainement de hasard en ma faveur et en sa défaveur. Je dirais bien qu’il est dedans jusqu’au coup mais là il me semble plutôt en apnée. Qu’il se rassure, logiquement c’est son tour d’arbitrer. Tout en les écoutant, je recommence à m’échauffer à nouveau.