Commencements
« Ethan allait l’attaquer ? Non ? Que faisait-il ? Il essayait de lui faire un tour de magie ? Merde, il avait pas encore pioché de carte ! Les mains d’Ethan s’agitait devant son visage, à gauche, à droite, en croisé… un langage codée ? Ils était sur écoute ? Un nouvel instant de légère panique parcourut Darryl. C’était au moins le dixième depuis qu’il était arrivé, et il sentait que cette incompréhension face à l’absurde, ce sentiment de perdition face au gouffre de débilité d’Ethan, était entrain de gagner sur lui. Pas en négatif. Et c’était ça le pire. Il trouvait ça adorable. Pas seulement sur Ethan, même si, oui, c’était adorable sur Ethan, mais il commençait à se dire que c’était ça la Young Force, et malgré le fait que ce n’était pas du tout ce qu’il était venu chercher, ni ce qu’il s’était imaginait, ni même relativement proche de l’idée qu’il aurait pu se faire d’une équipe de super héros, c’était quelque chose avec laquelle il se sentait en confiance. Il allait aimer vivre ici si ça continuait comme ça. Et ça ne s’arrêta pas là. Ethan et son incantation magique silencieuse furent suivis d’une longue litanie d’aberrations qui auraient pu passer pour une série d’insulte tellement elles sortaient de nulle part et s’enchaîner avec un brio débiloïde qui témoignait du grand changement qui survenait dans la vie de Darryl.
Ses yeux jaunes félins continuaient à se balader dans tout les sens en essayant de suivre les mouvements erratiques d’Ethan, tentant parfois de se poser sur son visage avant d’être irrémédiablement relancé dans les hypnotiques va-et-vient qu’il lui faisait subir (grrr) et il avait tout le mal à du monde à garder son esprit suffisamment alerte pour suivre les insanités qui sortaient de sa bouche, fermentées à l’acide neuronale. L’un d’eux s’appelait Stop-Man. C’était encore pire que Weakling. C’était comme une caméra cachée sans caméra, du moins l’espérait-il. Et Stop-Man appuyait sur les boutons de la cuisine, qui faisait du café, mais c’était pas grave. Main droite, main gauche. Et ils commandaient des pizza à un homme-poisson, de la pizza aux yeux globuleux mais pas si flippante. Non ! Oui ! Il ne suivait plus. Heureusement, Ethan arrêta sa petite danse perturbante et commença à caresser une de ses épines, lui laissant le temps de remettre en place le puzzle de ses pensées.
Non, attendez, quoi ? Qui caresse des épines ? Darryl regarda son nouveau colocataire passer un doigt le long de la protubérance affutée qui saillait du mur comme si il avait s’agit d’un acte relativement normal, mais non ! Il faisait ça avec un air fasciné qui était tout bonnement indécent, et Darryl avait envie de lui crier “HEY ! C’est une partie de mon corps que tu calînes avec admiration, techniquement c’est comme si tu caressais ma moumoute !!!“. Mais il fallait bien accepter le fait que peu de gens avait des moumoutes plus tranchantes que des couteaux de cuisine, et que ça pouvait être légèrement impressionnant pour certains. Il avait encore des restes de l’homme-poisson entre ses deux neurones à pizza et n’arrivait pas à penser très fort, alors il se contenta d’acquiescer quand Ethan lui proposa sa stratégie audacieuse pour sauver la cuisine. Il voulait sûrement s’occuper de sa moumoute-coupante tout seul.
« Il faudra la vernir »
La phrase était sortie de ses lèvres avant qu’il n’ait le temps de la comprendre lui-même, suivant un schéma de pensée qui avait serpenté entre les parties actives de son cerveau pour s’échapper directement de sa bouche sans qu’il n’ait aucun contrôle dessus. Il reste une demi-seconde qui lui sembla une éternité à fixer Ethan avec de grands yeux écarquillés, comme surpris de sa propre déficience. Cette demi-seconde, infime pour tous, dura une éternité pour son cerveau, qui s’empara de toute sa force pour retracer le chemin qu’avait parcouru la phrase incongrue, d’où elle venait, ce qu’elle voulait dire, de quelle pensée malsaine elle avait éclose avant d’exploser dans cette situation qui défiait les limites de la gênance.
« Mon pine »
Le temps s’arrêta. Pendant un instant éternel, l’âme de Darryl s’évada de son corps, inutile désormais dans ce monde ravagé par la honte. Il s’envola sur les ailes de son imagination vers le passé lointain, il y a environ une heure, où il venait de rencontrer Ethan et tout ça n’était pas arrivé. Il n’avait pas était attaqué sexuellement par un chien contrôlé mentalement par un colocataire qui de toute évidence était aussi cohérent qu’un bol de gélatine, avant d’exploser son boxer. Dans son imagination, il créa une autre réalité, où ils avaient discuté autour d’un simple thé, et il n’était pas monté sur le bar en boxer, et le surnom d’Ethan était Professeur Sexe et il venait pour réparer la machine à laver. Et il n’y avait pas d’homme-poisson-pizza. Mais le temps et la réalité du monde le rappelèrent immédiatement dans ce corps meurtri par de multiples humiliations, et balbutiant avec sa voix de chaton géant épineux, il répéta, en accentuant une syllabe essentielle :
« Mon Épine ! »
Il appuya sur ce son, ce “É“, avec tellement de force mentale qu’on aurait pu croire qu’il s’agissait d’un interrupteur pour changer la réalité et inverser le cours du temps.
« Mes épines se désagrègent toutes seules après environ une heure… tu… avais l’air d’aimer mon épine… pardon je veux dire bref oui non mais tu vois je ouais pas grave mais enfin avec du vernis, elle devrait rester dure. »
…
« SOLIDE ! »
…
« Je vais te chercher la pince. Laisse-moi dans le couloir de la honte. »
Et il s’engouffra dans le couloir vers les chambres à reculons, agitant ses mains dans tout les sens de droite à gauche puis de gauche à droite en les croisant et décroisant, sans comprendre que sa gestuelle si elle était grandiloquente était aussi fucking mongolienne. Puis il se dirigea vers sa nouvelle chambre en regardant de tout les côtés, de peur que Doom ne revienne à la charge. Il ne le voyait pas, mais il entendait clairement dans sa tête la musique des dents de la mer. Trois mètres avant sa chambre. Il passa en courant devant deux portes ouvertes, dont l’une semblait être les douches, sans prendre le courage de regarder à l’intérieur, tenant le torchon autour de ses hanches pour éviter qu’il ne s’envole, et sauta dans sa chambre en donnant un coup de pied à la porte pour qu’elle se ferme derrière lui. Safe !
Ouvrant sa valise d’un mouvement brusque, il fouilla dedans rapidement pour retrouver sa pince à épine, puis retira le torchon, l’enroula rapidos autour du torchon pour tenir les deux d’un coup, et mis une courte serviette autour de sa taille à la place. Il allait attendre de revenir sous sa forme humaine et prendre une douche bien méritée, laver tout ses soucis, et reprendre sur des bases saines avec Ethan. Il sortit de sa chambre en toute quiétude. Ethan semblait l’attendre à l’autre bout du couloir. Doom ne semblait pas être là. Tout irait bien. Il s’avança vers son hôte, fit un pas. Un second… le troisième pas était à mi-chemin quand il la sentit. La sensation. Aaaah il allait redevenir humain ! Enfin. Il continua de faire un quatrième pas alors que son corps réabsorbait ses épines, ses poils… ses muscles… son ossature redevenant humaine… ses hanches… rétrécissant… la serviette… glissant…
L’action qui suit se fit au ralentis. Darryl cria d’abord :
« aaaaaattttrrrrraaaaaaaapppppeeeeuuuuuuhhhh … » (c’est écrit au ralentis)
Puis jeta d’une main la pince dans la direction d’Ethan, emballée dans le torchon Power Rangers, la pince à détacher les épines. De son regard périphérique, il vit cependant Doom arriver de la salle de bain. N’utilisant pas sa main libre pour retenir la serviette, il appuya cette dernière sur le dos de Doom qui arrivait à son niveau, sautant par dessus ce dernier alors qu’il perdait définitivement la serviette et les dernières traces de sa dignité et atterrissant sur le carrelage de la salle de bain. Du pied, il attrapa la serviette tombée dans le couloir, l’attira à lui et ferma la porte avant que Doom ait le temps de se ruer de nouveau sur lui.
BAM !
Vu ses problèmes chroniques avec les vêtements, si quelque chose devait se passer avec Ethan, ça n’allait pas prendre plus de deux jours. Ce fut sa dernière pensée alors qu’il gisait sur le carrelage de la salle de bain.
Ah… non… la dernière pensée, c’est qu’il avait oublié de prendre le savon dans son sac.
»