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Message  Ivy P. Isley Mer 13 Sep 2017 - 9:22


Quelle saison est-ce ? Debout devant l’évier de ma cellule, je ne peux m’empêcher de me demander cela alors que je laisse couler l’eau sur l’éponge que je tiens en main. Sa chaleur m’imbibe jusqu’au poignet, contrastant avec la froideur crue du reste de la pièce, et s’accompagne de bulles savonneuses lorsque je replie mes doigts sur elle, comme une douce presse. Quelle saison est-ce ? Cette question est plus complexe qu’il n’y parait et je ne la poserai pas, afin d’éviter tout problème inutile. Je tourne mon visage vers le néon accroché au plafond, plissant les paupières mais le fixant tout de même. Après plusieurs secondes, j’en reviens à mon éponge et clos les yeux, la lumière continuant d’être présente. Je penche la tête en arrière et entreprends de me nettoyer le visage. L’eau chaude se dépose sur ma peau comme elle l’aurait fait en d’autres lieux tandis que le léger aveuglement me donne l’impression que le soleil est présent, lui que je n’ai plus vu depuis si longtemps.

Quelle saison est-ce ? Lorsque je me suis rendue à Sumatra, avant de finir ici, le calendrier indiquait le mois de décembre. Pour beaucoup, c’était donc l’hiver. Mais au sein de l’Indonésie, c’était l’été ; l’été austral. Et comme le climat était tropical, cette conception de saisons cédait place en pratique à une autre, celle de saison humide et de saison sèche. J’y étais en saison humine. Cependant, ne sachant combien de temps j’ai déjà passé dans cette cellule, je suis incapable de déduire la saison qui se trouve au-dehors. Et, ne sachant combien de temps je vais encore y être enfermée, il m’est difficile de déterminer la saison qui se trouve au-dedans. Cela demande du recul de comprendre quelle est la saison de la vie que l’on vit. Néanmoins, je n’ai guère d’autre chose à penser.

L’éponge quitte mon visage pour passer outre ma gorge et ma nuque, toujours inaccessibles sous le collier inhibiteur, et s’en aller directement à mes clavicules puis mes épaules. Me laver ainsi me renvoie bien des décennies en arrière, lorsque la Justice League était occupée à protéger les civils au Vietnam alors que les contestations grondaient à l’encontre de cette guerre jusqu’à Gotham. Maman est encore en vie et nous nous occupons ensemble des plantes que papa vendra comme nous l’avons toujours fait. Je ne le savais pas alors mais, depuis ma naissance, je n’avais connu qu’un long automne. Un automne austral, considérant que j’étais née fin février. Comme tout automne, il y avait des nuages, des pluies et des vents mais il pouvait y avoir aussi de belles journées, ensoleillées et douces. Telle la feuille d’un arbre, maman a fini par se décrocher et disparaitre. Etant l’arbre au pied duquel maman est tombé, papa aussi a fini par s’effondrer, abattu. Et après eux, mes plantes m’ont été retirées et je n’ai plus jamais revu notre appartement.

Rouvrant les yeux, je prends conscience que je me suis mise à me frotter le bras plus lentement et marque donc une pause. Les bulles de savon coulent lentement sur ma peau, goutant depuis mon coude comme des larmes, mais je les balaie avec douceur pour que l’éponge descende jusqu’au dos et à la paume de ma main. Après une douzaine d’années d’automne, l’été est venu. Les Isley n’ont jamais été ma nouvelle famille mais ils ont tout fait pour et je suis ingrate envers eux ; nous ne devons pas nous attacher, cependant. C’est grâce à eux que j’ai pu m’occuper de nouveau de plantes, c’est grâce à eux que j’ai appris à me défendre et à nager, c’est grâce à eux que j’ai pu entrer à l’université. Les journées sont belles et chaudes, les projets sont prometteurs. Je suis diplômée, je suis employée, je suis amoureuse.

Je suis arrivée au bout de mes doigts avec une douceur rêveuse et m’interromps donc afin de changer l’éponge de main, la passant à la gauche. Revenant à mon épaule, je recommence en miroir de précédemment. Le printemps suit l’été comme il se doit. Je pense qu’il va être ma floraison et ma renaissance. La guerre froide est sur le point d’être terminée et la Justice League semble s’essouffler, comme si elle n’avait plus de raison d’exister parce que l’avenir serait radieux. Durant les plus belles vacances de ma vie, je commets un crime au nom de l’amour et celui-ci me trahit. Par deux fois, je sens la prise glacée de la mort  à travers l’étreinte de la personne que j’aime.

Mes épaules comme mon visage sont bas, bien plus qu’il n’est utile pour me savonner le bras. J’en ai fini et passe donc à la suite avec une certaine mécanicité, le regard perdu dans le vide du couloir où passent des soldats de faction. L’ombre qui m’a sauvé est plus noire et effrayante qu’eux, une légende urbaine terrorisant les criminels. Une légende dont personne ne croit mon témoignage quand à sa véridicité et pourquoi le feraient-ils puisque je suis dans un asile psychiatrique ? On m’y réapprend à faire comme si tout allait bien et j’y arrive. L’hiver n’est pas encore là. Pourtant il semble l’être lorsque je découvre mon inhumanité, lorsque je suis renvoyée et termine à la rue. Me voici plus bas encore que lorsque je vivais avec mes parents mais c’est là que je me développe à nouveau. La température remonte dans mon cœur et je connais mon premier renouveau alors que la mairie tolère ma présence et celle d’une quinzaine d’enfants des rues au sein d’un parc. Mes pouvoirs ne sont plus une malédiction mais ils nous aident à vivre et je suis très heureuse. C’est la plus belle période de ma vie et je concilie ma famille humaine avec les plantes qui m’ont toujours accompagnée et font à présent parti de moi.

L’éponge immobile contre le cœur, je me surprends à sourire et cesse bien vite de le faire, du fait. Ce n’est pas tant la surprise qui me fane mais plutôt la connaissance que l’hiver vient. Mon ancien amour revient dans ma vie, porteur de promesses comme autrefois. Et comme autrefois, je le crois. Et comme autrefois, il me trahit. Seulement cette fois, ce n’est pas moi qui en paie le prix. Ce sont mes enfants. La légende urbaine sauve de nouveau la situation mais, une fois encore, il est trop tard. Trop tard pour eux. Tout vole en éclat alors que leurs vies s’éteignent les unes après les autres et, pour la première fois de ma vie, je suis l’ennemie. L’hiver est là, la mort m’entoure, je suis seule survivante, enfermée en isolation.

L’éponge rebondit au sol sous mon regard absent. J’entrouvre les lèvres pour prendre une grande inspiration mais la recrache aussitôt. Avant de me plier en deux pour récupérer l’objet, je m’assieds sur la cuvette des toilettes raccordée à l’évier. Elle est métallique et glacée, tout l’opposée de ma peau, mais elle est là et me soutient. Je n’en attends pas plus. Sachant que l’automne a duré une douzaine d’années, l’été une quinzaine et le printemps une demi-douzaine, combien peut durer l’hiver ? Celui-là, bien qu’extrêmement rigoureux, est court. Une demi-douzaine d’années me sont nécessaires à retrouver les premiers rayons de chaleur de l’automne. Je sais que les choses vont être difficiles mais je m’échappe de l’asile, mais je fais le choix de me battre. Je ne peux pas laisser la dernière famille qu’il me reste périr à son tour et j’ai une idée pour qu’on ne puisse plus lui faire du mal. Je ne sais pas en combien de temps elle sera réalisable mais ce qu’elle me conduit à faire me porte jusqu’à un nouvel été.

Dos à la vitre et au couloir de la prison humaine, je ramasse l’éponge et recommence là où je me suis interrompue avec une nouvelle résolution. L’île qui fut autrefois lieux de tests afin d’inventer de plus performantes manières de tuer a été convertie en paradis sur terre, un nouvel Eden où je m’épanouie au milieu d’une nouvelle génération de mes enfants. Les humains n’en sont pas exclus mais ils servent mon projet, un projet qui permettra de s’assurer que les massacres cessent ; si je le mène à bien. C’est difficile mais je m’entête. Lorsqu’une autre opportunité ce présente cependant, je tâche de la saisir. Une fois encore, je détruis sans le vouloir tout ce que j’ai accompli. Terroriste… criminelle… je suis l’ennemie, je suis la méchante. Je me cache. Ils me cherchent.

Je soupire lourdement puis commence à éponger une jambe, courbant toujours plus le dos. Ils me trouvent, ils détruisent mon paradis. Ils assassinent mes enfants. Les humains qui m’aidaient ne sont plus là, je les ai renvoyés à leurs familles avant de faire un dernier carré avec la mienne. Avec plus de temps, peut-être aurais-je pu réussir. Je n’en ai pas eu. J’aurais aimé ne plus en avoir mais je survis. Encore. Toujours seule. L’asile est ma nouvelle maison mais ce n’est pas un hiver cette fois, c’est un printemps. Malgré les difficultés, j’ai encore ma chance. Je la saisis, je m’échappe à nouveau, je tente une nouvelle approche. Je me rends là où l’on a le plus besoin de moi et j’essais d’améliorer la situation pour les végétaux comme pour les humains, je sais que cela peut marcher. Je me trouve des alliés, des gens prêts à m’écouter. Je travaille avec eux, durant plusieurs mois, et leur accorde des compromis ; le temps de faire évoluer les choses, plutôt que de les bousculer. Je change d’endroit, espérant refaire ainsi. Je me trompe.

Me redressant, je jette l’éponge dans l’évier et fixe le mur du font, barré de toute sa largeur de mon lit. J’ignore depuis combien de temps, qu’il s’agisse de mois ou d’ans, je suis ici. J’ai depuis bien longtemps perdu le fil. J’ai déjà vécu des années d’emprisonnement, en isolation comme en quartier commun. Je les ai endurés et traversés. Résolue, je me relève puis actionne de nouveau l’eau chaude afin de commencer à me rincer.

Quelle saison est-ce ? Debout devant l’évier de ma cellule, je ne peux m’empêcher de me demander cela alors que je laisse couler l’eau sur l’éponge que je tiens en main. Sa chaleur m’imbibe jusqu’au poignet, contrastant avec la froideur crue du reste de la pièce, et s’accompagne de bulles savonneuses lorsque je replie mes doigts sur elle, comme une douce presse. Quelle saison est-ce ? L’hiver ou bien le printemps ? Le pire est-il derrière moi ou encore à venir ? Nous verrons…
Ivy P. Isley
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