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Un charmant manoir anglais [Nikolaï]

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Un charmant manoir anglais [Nikolaï] Empty Un charmant manoir anglais [Nikolaï]

Message  Lilian D'Eyncourt Sam 20 Aoû 2016 - 18:09

Demandez à Lilian D'Eyncourt de vous décrire son manoir familial en Angleterre, il vous en fera la pire peinture possible. Il n'existait pas de demeure plus sinistre, plus lugubre et haïssable au monde. Suggérez lui de se débarrasser une fois pour toute d'une possession qui lui pesait, vous recevrez un regard méprisant, assorti d'une série d'excuses peu recevables. Qui voudrait bien d'une telle résidence ? Il lui fallait bien un pied-à-terre européen. Tout vider demanderait trop d'énergie, il n'avait vraiment pas le temps de s'occuper d'un déménagement. Lilian détestait son manoir du Lancashire, mais il y retournait une semaine par an afin de vérifier que tout était en ordre, selon ses propos. On pouvait tout aussi bien y voir une sorte de pèlerinage vers un passé qu'il ne fallait surtout pas refermer. Vendre la demeure, c'était dire adieux à jamais à son enfance, et à son adolescence. Il ne supportait pas le définitif pour tout ce qui concernait des moments étendus de son existence. Et, même s'il n'aimait pas la plupart des souvenirs liés à ses plus jeunes années, il essayait désespérément de tout garder dans le présent. Ainsi, les choses ne mouraient jamais. Elles étaient là, comme des babioles jetées dans un coffre avec l'idée vague de les réutiliser un jour, mais qui prenaient indéfiniment la poussière au fond d'un placard. Et, comme ces objets dont on avait pas su se débarrasser au bon moment, ses possessions en Angleterre n'avaient aucune existence concrète dans son quotidien. Il n'y avait même presque plus pensé depuis qu'il partageait une grande partie de sa vie avec Nikolaï.

Le sujet était revenu à cause de la nouvelle gouvernante qui, ne comprenant pas l'intérêt d'entretenir une résidence vide depuis plus d'un mois, lui avait téléphoné au début de l'été pour lui demander s'il était possible de « réserver » quelques jours pour le mariage de sa sœur. Elle avait d'ailleurs ajouté que le lieu était idéal pour établir des chambres d'hôtes, qu'elle trouvait dommage de ne pas songer à le valoriser un peu mieux, en s'égarant dans un long verbiage ennuyeux. Expliquer à une personne profondément terre-à-terre et pratique qu'il ne supportait pas l'idée que des inconnus s'approprient, même pour quelques jours, les biens de sa famille et mènent une existence de substitution à laquelle ils ne comprenaient rien était assez vain. Il n'avait pas beaucoup réfléchi avant de conclure que personne ne ferait de réception de mariage chez lui puisqu'il avait justement prévu de venir cette même semaine en Angleterre. Sur le moment, il s'agissait juste de la stratégie la plus efficace pour éviter les justifications abstraites et une discussion pénible. Il avait ensuite annoncé la nouvelle à Nikolaï de la manière la plus désinvolte possible : il retournait dans la maison de son enfance sous une dizaine de jours, sans motif particulier. A la question « Pourquoi ? », il avait tenté de dissimuler son agacement en évoquant d'un ton railleur les domestiques qui risquaient de se croire un peu trop chez eux s'il n'y remettait pas les pieds. La discussion s'était arrêtée là pour les deux amants, mais l'avait beaucoup travaillée ensuite. Délia était la seule personne qui connaissait cette demeure depuis ses dix-huit ans. Il n'était pas certain que la montrer à Nikolaï était une merveilleuse idée mais, en même temps, il lui semblait que leur relation ne serait pas complète s'il ne voyait pas aussi cette partie de lui. Alors, quelques jours avant le départ, un peu plus tranquillisé après une longue étreinte, il avait enfin formulé une invitation : « En fait, je ne sais pas ce que je vais faire une semaine tout seul là-bas. Tu m'accompagnes ? »

Un charmant manoir anglais [Nikolaï] Mansion+in+Suffolk

Sur la route depuis l'aéroport de Manchester, Lilian était devenu très silencieux. Si la vue du paysage et de certains bâtiments lui rappelaient des endroits où il avait vécu, il était resté dans un état contemplatif absent, en lâchant seulement au bout d'une vingtaine de minutes, à quelques kilomètres de l'arrivée, « C'est fou ce que le trajet me semblait long à l'époque, cette route est toujours aussi déprimante. » S'il s'était montré enthousiaste au moment de quitter New-York, son humeur avait brusquement changé. Cependant, il n'était pas vraiment contrarié, juste dans un état de réflexion profond, dont il sortirait une fois qu'il aurait à nouveau pris ses marques et totalement accepté d'intégrer son compagnon à ce monde. D'ailleurs, quand il quitta la voiture pour gravir les marches du bâtiment devant lequel l'attendait une femme d'une trentaine d'années, il se recomposa un sourire pour l'accueillir et faire les présentations. Peggy n'avait jamais travaillé ailleurs qu'au manoir. Elle était arrivée pour y faire des ménages à dix-neuf ans, et, puisqu'on l'y laissait tranquille et que cette existence sans grandes aventures ni ambitions lui convenait très bien, elle n'avait jamais eu l'idée de partir.
– Si tu as la moindre question ici, tu peux te référer à Peggy, elle n'a pas bougé d'ici depuis mes quatorze ans, sans doute qu'elle connaît encore mieux le domaine que moi aujourd'hui.
La jeune femme n'avait rien perdu de ses expressions naturellement avenantes, et de son incompréhensible bonne humeur qui avait été plutôt réconfortante pendant ses quatre dernières années. Ils avaient eu quelques épisodes galants à partir de ses quinze ans, soit quelques mois après son entrée en service, mais il n'était plus question de cela depuis plusieurs années. Le problème n'était pas le statut de jeune maman de sa domestique. Même quand elle avait commencé à fréquenter son actuel époux, elle n'était jamais difficile à convaincre. Quoi de mieux que des tromperies avec un riche héritier pour animer un quotidien sans émois ? Peggy pensait trop au présent et ne pensait pas assez tout court pour éprouver un quelconque sentiment de culpabilité. Le réel souci était les ravages du temps sur sa silhouette. Les filles de la campagne anglaise n'étaient pas celles des buildings de la grande pomme. Leurs hanches s'alourdissaient dès leurs vingt-cinq ans, et la grossesse n'arrangeait rien. Sans être incroyablement jolie, Peggy avait été charmante, mais il n'avait plus aucun intérêt à la garder comme amante. On sentait peut-être encore dans leurs regards une vieille complicité, les jeux qui avaient pu se faire dans l'obscurité, et il était évident que Lilian gardait une certaine affection pour elle, une affection froide, qui ne laissait aucune nouvelle ouverture possible.

Peggy observa Nikolaï avec une curiosité qu'elle n'arrivait pas à dissimuler. Apparemment, Lilian n'avait pas jugé utile de la prévenir qu'il serait accompagné, et elle cherchait à déterminer la nature de la relation des deux hommes.
– Je dois préparer une autre chambre ou…, fit-elle en faisant un moulinet étrange avec ses indexes pour compléter la fin de sa phrase.
– Une seule chambre ira très bien.
– Eh bien pour une surprise… C'est une charmante surprise.
Elle décocha un sourire appréciateur à Nikolaï en le débarrassant de sa valise, puis pointa Lilian en s'exclamant sur un ton faussement autoritaire :
– Il va vraiment falloir qu'on cause tous les deux !
Lilian opina doucement en levant les yeux au ciel et invita Nikolaï à le suivre dans la salle de séjour. La décoration intérieure avait un côté vieilli, une élégance désuète, et ne semblait pas avoir été touchée depuis un trentaine d'années, voire beaucoup plus, puisque rien, mis à part l'électronique, ne datait d'après les années cinquante.

– Je suis désolé de ne pas te faire visiter toute la propriété de suite, mais j'ai plutôt envie de boire un verre avant. Prends ce qui te dit.

Il poussa sur une porte pour faire apparaître tout un bar d'un petit meuble près d'un piano à queue, et ouvrit une porte-fenêtre pour laisser filtrer une agréable brise dans la pièce. Certains points du jardin semblaient plus délaissés que d'autres. On avait pour ainsi dire laissé la végétation reprendre ses droits tout autour d'une tonnelle ronde en bois blanc. Il s'arracha à son observation pour revenir vers Nikolaï et les bouteilles, en laissant une main traîner sur son épaule.

– Au cas où tu te poserais la question, tu ne trouveras malheureusement pas de trésors ici. L'alcool est la seule chose qui n'a pas vieilli avec la maison. Je n'ai pas attendu d'avoir quinze ans pour faire un sort à toutes les réserves avec mes camarades de l'époque. Quand j'y pense, je ne saurais jamais réellement à combien s'élevait la note de ce que nous avons bu dans un moment d'effronterie adolescente sans le moindre style.

C'était tout de même assez dommage. Mais, à l'époque, il s'agissait d'un moyen comme un autre de se venger sur la demeure et des biens qui, du point de vue de ses parents, méritaient sans doute d'être longuement savourés. Il avait pris un plaisir tout à fait mesquin à laisser une bande d'adolescents stupides les engloutir et les vomir. Ça aurait été presque drôle si ses motivations n'étaient pas si lamentables. Aucune des histoires survenues sur le domaine n'étaient vraiment drôles, et c'était pour cela qu'il détestait tant y retourner, tout en éprouvant une sorte de réconfort masochiste en se rappelant à quel point il avait été un enfant abominable pour les autres.


Dernière édition par Lilian D'Eyncourt le Dim 25 Déc 2016 - 21:18, édité 4 fois
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Message  Nikolaï M. Kolyakov Jeu 25 Aoû 2016 - 13:19

Un manoir anglais, un vrai. Exactement comme dans les séries de la BBC et les magazines de célébrités. J’ai toujours eu du mal à imaginer Lilian dans un environnement aussi posh et dois reconnaître que désormais que nous voilà devant les lieux, mon incrédulité n’a pas diminué d’un iota. Pourtant, la démarche blasée avec laquelle il parcourt l’allée menant jusqu’à l’entrée ne laisse aucun doute sur son titre de propriété. Seul un rejeton de l’aristocratie anglaise – un rejeton rebelle en l’occasion, mais un rejeton tout de même – peut négliger à tel point les signes évidents de richesse offerts à la vue de tous par la demeure digne d’une couverture de Life. Sans grand effort, on peut ainsi presque voir les ancêtres du Britannique arriver en calèche sur la route pavée menant au hall. Quant à la symétrie parfaite du jardin, elle n’est rompue que par quelques buissons mal taillés, seul signe pour l’instant apparent du manque de vie des lieux.

A côté de cette débauche de luxure, la demeure familiale en Sibérie semble une pâle copie sans aucune classe. Ce qu’elle est d’ailleurs peut-être. Les Kolyakov, pour autant que ma mère aime à se donner des airs d’aristocrate d’avant la révolution, ne sont pas une vieille famille de pouvoir. Nous sommes juste une belle bande d’opportunistes ayant su tirer profit de toutes les occasions se présentant à nous. En d’autres termes : des nouveaux riches. Le manoir sur les bords de l’Ob ne tient par conséquent pas la comparaison avec le bâtiment face à moi, que ce soient par ses dimensions, les matériaux de sa construction ou tout simplement son allure. A moins bien sûr que les souvenirs flous de mon adolescence ne me fassent faux bond mais je mettrais ma main à couper que ce n’est pas le cas.

Pour commencer, Mère ne dépenserait jamais son précieux argent pour entretenir une femme de ménage permanente. C’est tellement plus simple de payer quelqu’un pour remettre les lieux en état dès qu’elle désire s’y rendre. Ce qui, très honnêtement, n’arrive quasiment jamais. C’est une citadine de bout en bout – qui plus est particulièrement frileuse – d’où son manque d’enthousiasme pour les charmes de la campagne nordique. Une des rares choses que nous ayons en commun soi-dit en passant, mais je m’égare. Je disais donc que ma famille ne possède pas de domestiques dans notre maison de campagne, considérant sûrement qu’il s’agirait là d’une dépense inutile. Problème qui ne semble pas avoir effleuré l’esprit de Lilian au vu de la complicité évidente dans son échange avec la femme venue nous accueillir.

Je ne manque d’ailleurs pas une seconde du regard appréciateur qu’elle me jette et m’amuse même à lui offrir un sourire charmeur. Celui-ci, doublé des explications de Lilian – qui, sans surprise, n’a pas dû considérer utile de prévenir qui que soit de ma présence – semble suffire à convaincre Peggy de me rendre mon sourire. Cela lui fait de jolies fossettes. Mais, une fois de plus, je me perds dans les détails et il faut la voix de Lilian pour me ramener à la réalité. Je le suis donc à l’intérieur et ne suis pas vraiment surpris d’entendre ses frasques adolescentes. Parfois, je réalise qu’heureusement qu’on ne s’est pas rencontré plus tôt car je doute que nos caractères de l’époque auraient été compatibles. A vrai dire, je pense même qu’ils auraient horriblement clashé.

D’un côté, j’étais le prototype de l’adolescent renfermé, convaincu d’être incompris par le reste du monde jusqu’à ce que celui-ci découvre en même temps que moi que j’avais bien plu que prévus à offrir. Je laissais alors de côté les bouderies solitaires pour les joies de l’expérimentation psychique et ses dangereuses conséquences. De l’autre, Lilian, dont je ne doute pas une seconde qu’il ait été un enfant insupportable, faisant de son mieux pour détruire toutes les attentes sur lui, y compris les plus catastrophiques. Un peu comme aujourd’hui en fait, mais probablement de manière plus chaotique, moins contrôlée. Car si mon amant a horreur de la routine et la mesure, ça ne signifie pas qu’il n’y a pas un ordre dans sa folie. Il suffit de savoir le percevoir et d’accepter qu’il est susceptible de changer à tout moment. Au début c’est un peu compliqué, je vous l’accorde, mais une fois que vous vous y êtes fait, ça facilite énormément les relations avec lui. Je réponds donc avec l’aisance que donne l’habitude.


-Mais, est-il seulement possible d’avoir du style à quinze ans ? L’adolescence n’est-elle pas l’incarnation par excellence de la gaucherie embarrassante ?

Elle le fut dans mon expérience. Mais, peut-être pas dans celle de mon frère maintenant que j’y pense. Pour aussi loin que je remonte dans mes souvenirs, Alekseï a toujours été une armoire à glace particulièrement mal intentionnée. Déjà dans notre enfance, il dominait tout le monde de sa stature, et je ne parle pas que de taille parce que, de ce point de vue, j’ai toujours été bien doté aussi. Non je parle de cette présence malveillante qui vous écrase par le simple fait d’être à vos côtés. Et bien évidemment, quand la personne qui la possède ne se repose pas uniquement sur une musculature bien développée mais sur un cerveau déviant, vous obtenez l’horreur qu’est mon frère. Certes je vous accorde que ça fait de lui un parrain de première mais je ne suis pas certain que ce soit là un véritable compliment. En ce qui me concerne, ça fait juste de lui un connard de catégorie olympique. Enfin, pour en revenir à ce que je disais, en y réfléchissant bien, en termes physiques, Alekseï n’a jamais eu à se plaindre mais j’ai souvenir de plus d’une connerie qu’il a réalisé avec ses amis à l’adolescence qui rentre parfaitement dans la catégorie « stupidité adolescente ».

-Quoiqu’il en soit, en parlant d’alcool et de trésors, qu’as-tu donc à me proposer ? Je suis certain que tu sauras me surprendre.

Après tout, les goûts de Lilian en matière de boisson sont connus pour être excellents. Bien entendu, il n’est pas aussi snob que moi et n’hésitera pas une seconde à se bourrer la gueule avec la bière du supermarché s’il n’y a rien d’autre de disponible mais ça ne l’empêche pas d’avoir un don pour dénicher les bonnes bouteilles. Autant donc en profiter. De toute façon, puisque la visite des lieux n’a pas l’air d’être au programme et que, jusqu’à nouvel ordre, aucune activité n’est prévue dans les heures à venir, ce n’est pas comme si on avait quoique ce soit d’autre à faire pour passer le temps.
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Message  Lilian D'Eyncourt Lun 5 Sep 2016 - 20:42

En observant Nikolaï à la dérobée depuis leur arrivée, il retrouvait ce qu'il avait toujours jalousé chez les enfants et adolescents qu'il invitait chez lui : une admiration véritable pour son beau domaine. Il restait le seul à lui trouver une allure sinistre, à en détester chaque parcelle mais à s'y accrocher malgré tout, incapable de rejeter la preuve évidente de ses origines supérieures. Comment aurait-il pu vouloir se mettre au niveau des imbéciles qui observaient d'un air béat un amas de pierres grotesque ? Évidemment, son amant avait une expression plus appréciatrice que stupide. Il était d'assez haute naissance pour ne pas l'ennuyer avec des remarques convenues et pour connaître la valeur historique de ce qu'il voyait. Avec lui il pourrait peut-être apprécier au moins son manoir sous un angle architectural. Au fond, il espérait que cette pièce magistrale de son passé pût lui être assez agréable pour justifier sa venue. Il ne s'attendait pas à se prendre d'une passion nouvelle pour les lieux dans les bras de Nikolaï, mais il tenait à ne pas lui imposer un mauvais moment en l'attirant vers un monde peuplé d'ombres mal exorcisées. En traversant le hall, ses dalles légèrement fendillées, ses lustres et ses portraits, pour atteindre le salon, il était difficile d'imaginer l'horreur de son enfance. Dans l'esprit populaire, elle avait pu ressembler à celle d'une époque victorienne romanesque. L'impression n'était pas forcément fausse. Une fois le vernis gratté sur les belles scènes familiales du XIXe siècle, il restait surtout des sourires glacés, sans spontanéités ni joie. La demeure ne lui avait jamais semblé être rien de plus qu'un décor pour riche héritier. Comment ne pas vouloir la colorer un peu ?

Nikolaï connaissait une partie de ses frasques adolescentes, mais le sujet était inépuisable. Sans compter les bêtises de son enfance, il fallait dérouler une liste de trouvailles presque quotidiennes depuis ses douze ans. Lilian s'était donné l'objectif de devenir le gamin le plus insupportable que la terre ait porté, et il était sans doute arrivé à ses fins. Il alliait à la capacité de nuisance d'un fils unique perturbé un esprit très inventif dans la cruauté. Quand il se livrait sur son passé, c'était d'une manière assez morcelée. Il racontait les anecdotes comme elles lui venaient, parfois pour en rire, et d'autres pour se rappeler combien il avait pu se montrer pénible. Nikolaï recevait la plupart de ses histoires avec une consternation charmante. Il ne se choquait pas, mais ne pouvait jamais s'empêcher de se projeter, et avait beaucoup de mal à concevoir qu'on eût pu se comporter de la sorte au même âge. A côté, il était un ange parfait, le fils mal dans sa peau mais presque modèle, agacé par les cancres et les déviants. Se seraient-ils pour autant détestés à quinze ans ? Lilian gardait une certaine confiance en ses talents de beau parleur. Il agaçait souvent autant qu'il intriguait et, tout à sa solitude, n'était jamais contre s'approcher d'une personne avec un bon niveau de discussion. Néanmoins, une rencontre si tôt aurait été un gâchis. Tenir son couple était un effort constant. Il avait ravagé chacune de ses relations adolescentes, et il était peu probable que le jeune Nikolaï eût rencontré autre chose qu'un bulldozer appliqué à détruire toutes les plus beaux moments de son existence.  

Il y avait beaucoup à dire au sujet des fêtes qui s'étaient livrées au manoir. La démesure du bâtiment incitait toujours ses camarades à la folie. Imaginez un peu… Rien de plus grisant qu'avoir quartier libre toute une nuit dans un véritable décor de musée. Dans ces moments, la demeure retrouvait un peu de son faste passé, et se découvrait sans doute une ambiance plus décadente. Lilian ne donnait que deux soirées par an. Il fallait entretenir le désir, préparer une liste d'invités et de projets avec soin. Rien ne l'amusait plus que léser une personne qui se voyait populaire ou inviter un souffre-douleur attitré. Ensuite, il laissait pour l'essentiel le spectacle se dérouler devant ses yeux en encourageant la débauche. Tout était permis à l'exception des drogues dures car, s'il aimait le désordre, il n'était pas fou au point de risquer une overdose chez lui. Au moins, si des imbéciles sans instinct de survie tombaient en coma éthylique, on ne pouvait pas lui reprocher grand-chose. Il se souvint des images confuses qu'il avait gardées de ces fêtes en entendant la remarque de Nikolaï. Un sourire espiègle s'étala finalement sur son visage.

– Je suis certain que si tu m'avais connu à l'époque, tu n'aurais pas posé cette question. Mais j'avais toujours une horde d'adolescents au sommet de leur âge ingrat pour m'aider à régler mes différends avec cette maison. Si l'on pouvait me prétendre gauche, alors je serais tout excusé pour ce que je lui ai infligé.

En un sens, sa rébellion était une forme de maladresse. Mais il était peu probable que toutes les personnes auxquelles il avait brisé le cœur et la réputation acceptent de voir les choses de cette manière. Les souvenirs plus doux de Nikolaï n'arrivaient peut-être pas à restituer exactement tout ce qu'il avait pu faire. Il ne voulait peut-être pas en mesurer toute la dimension non plus. Seulement, il l'avait suivi dans le haut lieu de sa pire 'incarnation', et il devait bien en jouer un peu. Lilian essayait souvent de provoquer des sentiments de rejet, comme s'il était toujours temps de le détester. Il cherchait à la fois à se rassurer dans le cas où la personne restait, et à se convaincre qu'il ne méritait pas d'attention. Son indécision constante pouvait le rendre difficile à suivre, mais il était vite évident que le besoin d'être compris était sincère. L'incitation au rejet appartenait davantage à un terrain inconscient. Comme Nikolaï lui passa la main pour les boissons, il se pencha à son tour pour attraper une bouteille de whisky et deux verres.

– Puisque tu n'as pas d'exigences, autant rester sur une spécialités locales. Tu n'auras pas droit à une bouteille dans laquelle auraient pu boire mes ancêtres mais j'ai essayé de trouver des produits faits dans les environs depuis. Je laisse à Peggy le soin des trouvailles. Au moins, je suis assuré de boire quelque chose que je n'aurai pas à New-York quand je viens ici.

Lilian ne jugeait pas toujours les boissons à leur prix pour épater la galerie avec ses revenus. Il appréciait bien entendu la qualité, mais aussi la rareté des produits, et, comme pour le reste de sa vie, cherchait toujours à renouveler la gamme des saveurs. Le réfrigérateur de la cuisine était de la même manière rempli de bières de distilleries locales obscures dont il ne connaissait pas toujours d'avance le goût. Cette légère fantaisie lui donnait au moins une petite motivation supplémentaire pour passer quelques jours en Angleterre. Il servit son verre et le leva sobrement avant de le vider non sans soulagement. Maintenant, il pouvait vraiment commencer à se détendre.

– Je sais que tu étais curieux de voir où j'ai pu passer toute mon enfance, mais si jamais tu ressens le besoin de bouger, rien ne nous empêche d'aller visiter d'autres régions.

Il avait hésité à lui demander s'il se sentait à son aise mais, comme toujours, Lilian n'aimait pas les questions directes. Elles n'apportaient rien de constructif, on vous tournait toujours une réponse trop polie. A la place, il préférait évaluer les impressions de son amant en lui suggérant déjà la possibilité de prendre ses distances avec le domaine.


Dernière édition par Lilian D'Eyncourt le Mer 5 Oct 2016 - 17:41, édité 1 fois
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Un charmant manoir anglais [Nikolaï] Empty Re: Un charmant manoir anglais [Nikolaï]

Message  Nikolaï M. Kolyakov Dim 11 Sep 2016 - 13:34

Si j’avais la moindre confiance dans la réalité des sentiments de Lilian, je m’aventurerais à postuler son malaise, une sorte de mal-être inconscient qui semble s’être emparé de lui depuis notre arrivée en terre anglaise et ressort dans de menus détails – telle tournure de phrase, tel geste inattendu. Malheureusement, après tout le temps passé à ses côtés, je ne suis toujours pas prêt à prendre un tel risque. Il est bien trop habitué à se jouer de la moindre attente pour être capable de paraître être affecté par les lieux sans l’être réellement. Je suis trop souvent tombé dans le piège de ses sentiments calculés pour me méfier désormais, au risque parfois de passer à côté d’un réel appel à l’aide. Mais, que puis-je y faire ? Vous connaissez tous l’histoire de Pierre et le loup.

J’accepte donc le whisky sans commenter, me contentant d’apprécier le goût si puissant de l’alcool bien distillé. Je ne sais quel est le rôle exact de la jolie Peggy (femme à tout faire ? maîtresse d’hôtel ?) mais il faut lui reconnaître un goût certain pour les boissons de qualité. Le Pur Malt mordoré qui, à parts égales, remplit mon verre et réchauffe mes entrailles est d’excellente facture. Je suis en effet fort difficile en termes d’alcool, ayant été initié à ses « plaisirs » au tendre âge de dix ans avec la vodka la plus puissante de la réserve paternelle. Autant vous dire qu’il aurait tout aussi bien pu me refourguer de la pisse de chat j’aurais été tout aussi incapable d’en apprécier le goût. Je me contentais simplement d’éviter de tout recracher sous peine de me voir soumis au tempérament pour le moins sulfureux de mon géniteur. Un Kolyakov boit sans faire d’histoires et ce quelle que soit la situation, même lorsqu’il manque de s’étouffer. A vrai dire, je suis surpris qu’il n’y ait pas plus d’alcooliques dans notre belle lignée. Mais il faut croire que les gènes y sont pour quelque chose et la descente proverbiale de la famille a évité à plus d’un de se retrouver dans des situations trop embarrassantes. Bref, tout ça pour dire que, lorsque votre biberon était trempé dans de l’alcool de marque, il est impossible de boire quoique ce soit d’autre par la suite.


-Je sais que tu étais curieux de voir où j'ai pu passer toute mon enfance, mais si jamais tu ressens le besoin de bouger, rien ne nous empêche d'aller visiter d'autres régions.

La remarque en apparence anodine conforte encore un peu plus mes conjectures : Lilian n’est pas à son aise dans ce lieu trop chargé d’histoire personnelle. Car derrière une image de je-m’en-foutisme entièrement assumé, comme tout nihiliste, le Britannique est incapable de regarder son passé en face sans cligner des yeux et déformer la réalité. Ce n’est pas qu’il n’accepte pas celui qu’il était ou pire encore celui qu’il est, c’est plus vicieux que cela. Il refuse simplement de n’être que ce qu’il est et était. Il voudrait en permanence être plus et moins à la fois. Là où l’être humain lambda a une vision idéalisée de ce qu’il aimerait être, Lilian semble incapable de fixer la sienne, comme s’il risquait de s’en lasser trop vite, exactement comme il se lasse de tout ce qui se rapproche de près ou de loin à une routine. Revenir à ses racines, pour aussi chaotiques qu’elles soient, apparaît donc comme un exercice de haute voltige. Et ce d’autant plus que je suis de la partie.

C’est que notre relation, pour aussi peu traditionnelle qu’elle se révèle, n’en est pas moins devenue plus ou moins permanente. Une constante dans nos deux vies qu’aucun de nous deux n’avait sûrement complètement prévue. Et si je me suis adapté à la nouvelle situation avec moins de difficultés que prévu – bien que nos excentricités respectives aient pu causer plus d’une tension – Lilian est tout sauf un être d’habitudes. Or, accepter de faire entrer quelqu’un dans le cœur de son existence c’est l’intégrer au petit cercle d’éléments quasi imperturbables de sa vie et je ne suis pas entièrement certain qu’il en soit parfaitement conscient. Mais c’est sûrement mieux comme ça car rien ne m’assure que la découverte des implications de notre relation ne serait pas également le début de sa fin. Je choisis donc d’éviter de jeter trop de lumière sur cet éphémère moment de faiblesse de l’aristocrate, préférant répondre avec une sincérité qui n’est pas jouée.


-Nul besoin de bouger. J’ai toujours rêvé d’habiter un manoir anglais et tu m’offres ici l’occasion de satisfaire le désir coupable de m’imaginer un instant parmi les habitants de Downton Abbey.

A vrai dire, le manoir D’Eyncourt n’a pas grand-chose de similaire avec la bâtisse qui servait de set principal à la série britannique mais c’est moins l'exactitude que l’ambiance qui compte. Je dois d’ailleurs avouer ne pas être un fan de la première heure, m’étant contenté de visionner les scènes cruciales dans l’esprit de mes camarades de promotion pour pouvoir briller au beau milieu de leurs conversations. C’est qu’il n’était pas envisageable de ne pas avoir vu la série phrase de la BBC à l’époque de mes études londoniennes : que vous fussiez un opposant à la série pour son manque de précision historique, un membre de la Downton Abbey Appreciation Association ou encore un simple amateur, il était de votre devoir d’Anglais d’avoir visionné tous les épisodes. Un peu comme tout étudiant de la LSE pouvait vous expliquer pendant des heures qui était son Docteur préféré et ce même s’il n’avait pas vu un dixième de la série. C’était une sorte d’honneur national. De la même façon qu’un Russe peut vomir la vodka tout en vous affirmant qu’elle est bien supérieure à n’importe quel autre alcool ou encore un Moscovite n’ayant jamais mis les pieds au Bolchoï vous vanter les charmes de ses danseuses hors pair. Personnellement, je n’ai jamais été un grand partisan du nationalisme à outrance, sûrement la conséquence d’une éducation à la française m’ayant écœuré de « valeurs républicaines » et autres euphémismes pour parler de la « grandeur de la Patrie des Droits de l’Homme ». Mais ne le dites pas à Mme Delcourt - mon professeur d’éducation civique pendant cinq ans - ça lui briserait le cœur. Si tant est qu’elle en est, mystère non résolu malgré les innombrables heures passées dans son cours à essayer de percer son esprit. Car, pourquoi diable une prof de secondaire possédait-elle un bouclier télépathique d’un tel niveau, voilà une question à laquelle je n’ai jamais trouvé réponse. Dans le fond, il aurait été bien drôle de l’imaginer agente de la DGSE avec son sac toujours trop chargé et ses grosses lunettes en écaille. Mais, après tout, que sais-je vraiment du monde des services secrets ?


-A vrai dire, affirme-moi qu’il y a un hippodrome dans le coin et tu satisferas tous mes phantasmes d’adolescent. J’ai eu une période où je m’imaginais jockey à la suite de la sortie du film « Seabiscuit » et ce malgré le fait que j’étais clairement bien trop grand pour avoir le moindre avenir dans la profession. Sans compter qu’à quinze ans passés, je n’avais jamais mis les fesses sur un cheval et que j’aurais par conséquent été bien incapable de galoper sans tomber de ma selle, sans même parler de concourir pour un grand prix.

Un sourire mi-nostalgique mi-narquois apparaît sur mes lèvres aux souvenirs de ces quelques mois qui précédèrent le cataclysme de la découverte de mes pouvoirs. Parce qu’il faut croire que la découverte d’une soudaine télépathie incontrôlée vous chamboule tout projet d’avenir. Même si une fois un peu mieux contrôlés, je reconnais qu’il y a un avantage non négligeable à pouvoir user de ses pouvoirs pour aller chercher juste assez de bonnes réponses dans l’esprit de sa première de classe de voisine pour compenser une absence totale de révisions au contrôle de physique-chimie. Le tout sans pour autant devenir un génie du jour au lendemain, sous peine d’attirer les soupçons sur sa petite personne.

-Et toi, des rêves de grandeur embarrassants à dévoiler ? Ou bien te contentais-tu déjà de modeler ceux des autres ? Parce que quelque chose me dit que tu n’es pas tombé dans la marmite des media par hasard. Ou est-ce que j’ai tort et c’est par erreur que tu diriges désormais un des principaux empires médiatiques de l’autre côté de l’Atlantique ?


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Message  Lilian D'Eyncourt Mer 5 Oct 2016 - 20:03

Question détournée ou non, Lilian n'en attendait pas moins une seule réponse. Si Nikolaï lui avait confirmé son désir de prendre ses distances avec le manoir, il n'aurait reçu que son mépris, accompagné d'une remarque bien sentie pour lui signifier à quel point il trouvait navrant de l'avoir mené jusque dans son domaine pour rencontrer aussi peu d'enthousiasme. Il cherchait des réponses sincères tout en les redoutant, ou en essayant de les contourner. C'était sa manière de maîtriser la conversation et de se convaincre de son parfait naturel. Mais, Nikolaï connaissait bien trop les règles pour le contrarier, même s'il n'était pas obligé de valoriser le manoir par une référence populaire, sur laquelle Lilian était incapable de rebondir. Il avait assez peu d'intérêt pour les séries, en partie à cause du procédé d'identification à des personnages qu'il impliquait. Quand il ne s'égarait pas dans ses mondanités alcoolisées, il demandait à ses distractions plus solitaires de lui apporter un angle de réflexion inédit, ou d'être assez étranges pour faire de lui le possesseur privilégié d'une référence très obscure. La vie des autres l'intéressait assez peu, surtout s'il ne pouvait pas agir dessus. Alors il ne voyait vraiment pas de quelle manière il aurait pu se sentir concerné par l'évolution d'êtres fictifs. C'était à vous donner une image de snobe qui ne s'intéressait à rien, mais il s'en fichait bien. Après tout, il n'avait jamais cherché à s'intégrer aux autres et ne se débrouillait pas si mal pour imposer sa volonté quand il le souhaitait. Mais il lui arrivait souvent de s'interroger sur les passions plus simples des autres. Là, par exemple, il se demanda quel plaisir réel pouvait éprouver Nikolaï en sollicitant son imagination. Il avait certainement déjà vécu des sensations proches en visitant une ville marquée par un grand passé historique. Et cependant, rien n'aurait pu le faire moins rêver que son domaine.

– Alors j'envie ton imagination parfaitement vierge, souffla-t-il. Je situerais un tout autre genre de série dans ce salon si ça ne tenait qu'à la mienne.

D'une humeur bien plus légère que la sienne, Nikolaï lui proposa une discussion beaucoup plus inconséquente. Sa tendance à se laisser aller aux rêveries était une chose qu'il appréciait chez lui. Il l'empêchait souvent de s'enfoncer trop loin dans le négativisme et ses histoires de jockey lui arrachèrent un sourire amusé. Le russe se définissait des existences surprenantes. Un film de cheval, et il se voyait star d'hippodrome. Il enviait sa capacité à se laisser envahir par tout le plaisir qu'un bon moment devant un écran de cinéma pouvait lui inspirer. C'était une chose assez courante à l'adolescence, mais il n'avait pas vraiment connu ça. Ou plutôt, il avait tout fait pour devenir le genre de personnage qui le fascinait, le cynique parfait, brisé à l'intérieur, mais tellement brillant en société ; un bon rôle de fiction, et une posture plutôt atroce en réalité. Il n'avait pour autant pas l'impression d'être devenu celui qu'il avait pu admirer. Il s'était contenté de prendre l'incarnation la plus facile, celle qu'il était déjà en partie et dont il fallait polir la façade publique. Et dans une vie parfaite ? Paradoxalement, les autres possibilités arrivaient à l'ennuyer.

– Et tu n'as jamais essayé de réaliser un minimum ce fantasme, au moins pour savoir si tu aimais tant monter à cheval ? s'étonna-t-il. Il doit bien exister un club dans les environs s'il te semble urgent de te lancer dans les prochains jours. Je crains de te décevoir en t'avouant que malgré les allures de la maison, je n'ai pas eu droit à l'éducation d'un aristocrate du XIXe siècle, alors mon expérience se limite à des balades imposées pendant des sorties scolaires.

Et il ne tenait pas forcément à la développer même s'il ne se priverait pas du plaisir de voir son compagnon se ridiculiser tout seul, accoudé sur le rebord d'un manège, s'il y tenait. Son manque d'affection pour les animaux, et sa méfiance envers leur imprévisibilité en général, n'était pas inconnue de Nikolaï. Il n'avait donc aucune raison de lui signaler qu'il resterait sur la touche s'il cherchait ce genre d'aventures. En revanche, son regard s'éclaira lorsqu'il ajouta avec un sérieux qui annonçait la plaisanterie :

– Mais si tu me mets sur un cheval de bois, je suis le plus habile des cavaliers. Ce serait une sortie tellement romantique… Qu'en penses-tu ?

Nikolaï refusa de le laisser s'en tirer de cette manière puisqu'il l'interrogea sur ses rêves embarrassants, chose qui le décontenança un peu. Partir dans des aveux ne l'ennuyait pas vraiment, mais il ne s'était jamais posé la question. Peu de choses lui venaient avec évidence. Pour éviter le couperet d'un « je n'en sais rien », son amant lui envoya des propositions dont les réponses étaient plus faciles à envisager. Ses rêves de gloire dépendaient toujours un peu des autres et de leur regard. Ce n'était pas la prouesse en elle-même qui l'attirait, mais la réaction d'un public potentiel. Il aimait se projeter dans les autres, et provoquer ce qu'il voulait en eux, pour l'étudier, essayer de s'en imprégner à son tour. Alors au fond, il pouvait remercier sa famille de lui avoir permis d'hériter d'un empire médiatique. Si son père avait refusé de s'y intéresser en privilégiant des études plus scientifiques, il était de son côté très heureux d'avoir pu reprendre les entreprises à son nom.

– C'est cela, je suis dans un rêve de grandeur éveillé, que pourrais-je vouloir de plus ? Je n'étais pas obligé de poursuivre la voie tracée par ma famille. Mon père s'en occupait juste ce qu'il fallait pour s'assurer de bonnes rentrées d'argent, et j'aurais très bien pu tout revendre… Mais je me suis pris au jeu des possibles, et c'est pour cette raison que j'ai toujours du mal à abandonner les médias. Chaque revue, site ou chaîne est tout un univers à créer. J'ai eu mes idées folles à l'université, comme tu le sais, quand j'ai lancé mon magazine d'art satirique, auquel j'aurais souhaité plus de succès, mais il faut être réaliste. Je suis tout de même heureux qu'il garde ses adeptes, même si je n'écris plus rien dedans. Je crois avoir presque tout concrétisé, sauf, si tu veux tout savoir, quelques rêveries dans lesquelles je suis plus un artiste capricieux qu'un créateur de concepts et PDG. J'aurais voulu une vie avec moins de contraintes, jouer les Elvis dans la musique ou les Fitzgerald dans la littérature, mais je n'ai jamais eu cette spontanéité ou cette sorte de naïveté à me livrer. Je me suis résigné à modeler autant qu'à être spectateur.

Si Nikolaï évoquait ses lubies avec amusement, on sentait chez Lilian une frustration plus sincère à ne pas pouvoir réaliser une chose qui aurait pu être intéressante à cause de ce qu'il était. Mais il ne pouvait pas y faire grand-chose. Certains rôles n'étaient pas pour lui, et même s'ils semblaient agréables à vivre, il avait déjà plusieurs fois évalué qu'il ne pourrait pas les mener jusqu'au bout par manque d'intérêt. Il n'avait notamment pas besoin à ce point que l'on s'intéressât à lui, et trouvait ce projet assez vain. Il préférait des défis à plus grande échelle.
Leurs verres se vidèrent sur cette réflexion. Et, après quelques instants, il se leva pour proposer un vrai tour de la propriété.

– Je suppose que tu aimerais voir le reste du domicile ? Mis à part ma chambre, tout est à peu près resté d'époque, tu ne devrais pas trop avoir de difficultés à y installer des personnages victoriens.

Malgré le ton léger, il appréhendait tout de même de devoir montrer sa chambre, restée intacte depuis ses dix-huit ans. Il n'avait jamais eu d'intérêt à en modifier les éléments, même les vieux devoirs qui traînaient sur son bureau depuis plus de dix ans. D'une certaine manière, savoir que ce décor ne bougeait pas, le rassurait, comme si cet autre lui vivait encore quelque part. Il n'avait pas pensé à demander une autre chambre pour Nikolaï et lui tant il avait repoussé jusqu'au dernier moment l'idée de l'inviter.
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Message  Nikolaï M. Kolyakov Dim 16 Oct 2016 - 10:56

Un cheval de bois… l’image est tentante. Néanmoins, je ne me laisse pas manipuler si facilement et préfère ramener la conversation vers son point de départ, à savoir les rêves d’adolescence. Car, comme je l’ai déjà dit, si je ne regrette pas de ne pas avoir rencontré Lilian en cette période difficile, je ne peux m’empêcher d’être aujourd’hui particulièrement curieux de savoir à quoi il pouvait bien ressembler. Et je ne parle pas ici de son physique – tout le monde sait que l’adolescence est toujours ingrate, plus ou moins selon les personnes mais ingrate tout de même – mais bien de son intellect. La psyché de l’adolescent typique étant en soi torturée, je ressens un plaisir presque malsain à imaginer ce que devait être celle de Lilian. Parce qu’en termes d’esprit hors du commun, le Britannique est une catégorie à lui tout seul. Ce que sa réponse ne fait que confirmer.

Le complexe du démiurge, voilà ce qui - à l’entendre - paraît le définir. La gestion d’univers au quotidien depuis la création de niches d’afficionados jusqu’à la fidélisation de journaux à grands tirages, serait ainsi ce qui l’a attiré dans le monde des médias. Et, pourtant, il se découvrirait actuellement un rêve d’artiste incompris, ou plutôt non… de célébrité sulfureuse comme l’Amérique a su en produire tant au fil du XXe siècle. A l’entendre, il ne serait cependant pas capable de se livrer suffisamment au public pour réussir dans ce milieu. Une affirmation dont je veux bien reconnaître la crédibilité. Pourtant, il ne lui coûterait rien de se créer une identité publique spécifique. Lui qui aime tant à se donner en spectacle pour mieux briser l’image précédemment créée, il devrait trouver là son terrain de jeu de prédilection.

Quoique… à y réfléchir de plus près, il n’est pas dit qu’il saurait se conformer aux quelques règles du monde du show-business. Car, derrière l’image de royaume du tout-permis, les implicites sont extrêmement forts dans le milieu. Il suffit de voir les starlettes qui ont élevé le sensationnalisme au niveau d’une catégorie olympique, même elles savent lorsqu’il convient de s’arrêter avant de se retrouver avec la justice sur le dos, ou pire jusqu’à perdre l’intérêt du grand public. Car, si ce dernier aime à se donner des frissons d’interdit par procuration, passez une certaine limite et vous ne rencontrerez que dégoût et mépris pas même voilés. Bien sûr, il y aura toujours un petit groupe d’irréductibles pour vous aduler comme le prototype parfait de l’anticonformiste mais pas dit que cela suffise à Lilian. Après tout, quel est l’intérêt de mener une bande d’imbéciles crédules par le bout du nez ? Mieux vaut fasciner tout un pays. Sauf que pour cela, il faut savoir se renouveler non pas au rythme de vos envies mais des leurs. Et Lilian ne désire pas assez la célébrité pour accepter de se plier au calendrier d’un autre que lui-même. Du moins c’est mon humble opinion.

D’ailleurs, voilà qu’il reprend l’initiative en me proposant de me faire visiter les lieux. Et sa remarque sur sa chambre éveille immédiatement les flammes de la curiosité en mon intérieur. Pourquoi observer les dorures dignes d’un musée quand je peux m’introduire dans le monde bien plus fascinant d’un Lilian adolescent ? Un instant, je me demande si nous dormirons dans sa chambre d’époque, avant de dénigrer l’idée comme stupide. Occuper la chambre parentale fait bien plus de sens. Outre les relents de transgression d’emmener un amant et de lui faire l’amour dans le lit conjugal de ses géniteurs, je doute que nous passions une semaine dans un lit simple. Nous sommes tous deux habitués à avoir de la place et si les embrassades sont les bienvenues dans le feu de la passion, pour se reposer en paix par la suite, éviter d’avoir le genou de son partenaire enfoncé dans le rein est un plus non négligeable. Mais, dans le fond, qui me dit que – pour aller avec le reste de la débauche luxueuse du manoir – la chambre d’enfance de Lilian n’est pas équipée d’un lit à baldaquin typique de ces vieilles bâtisses victoriennes. Auquel cas, je mettrais ma main à couper qu’il s’est fait un plaisir de détruire les lieux. Dommage que je ne puisse remonter le temps pour observer cela de mes propres yeux. Je pourrais néanmoins me régaler des images restées gravées dans les souvenirs du Britannique. Mais, autant voir d’abord les lieux tels qu’ils sont aujourd’hui, je n’en apprécierais que plus le décalage avec le (dés)ordre de l’époque.


-Je te suis, je me fie à l’habitant pour me montrer les coins réellement intéressants de cette maison. Après tout, si j’avais voulu le tour officiel, je n’aurais pas pris la peine de séduire le propriétaire
, m’amusais-je à le provoquer avec un sourire faussement innocent.

C’est qu’il n’est pas le seul à manier les sous-entendus graveleux à la perfection.
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Message  Lilian D'Eyncourt Mar 15 Nov 2016 - 21:39

Des coins intéressants, il ne pouvait pas dire qu'il en existait réellement, sauf s'il associait une petite histoire à chaque lieu. Mais les pièces qui défilaient devant eux en avaient peu. On se disait toujours qu'il était fabuleux de vivre dans une vaste maison. C'était sans doute vrai, quand elle était peuplée d'assez d'âmes pour insuffler une marque à chaque aile. Il en avait profité en invitant assez d'adolescents pour les envahir, au mépris de ce que ses ancêtres avaient pu vouloir y laisser. Qu'en savait-il après tout ? La suite nuptiale et les chambres étaient parfaitement rangées, comme prêtes à accueillir des hôtes de passage. Quelques photographies sépias encadrées prouvaient cependant que leurs résidents initiaux avaient cherché à les tapisser de souvenirs. On sentait également une variation des modes. La chambre qu'il présenta comme celle de ses grands-parents était très art deco, tandis que celle de ses parents était une débauche plutôt indécente de style victorien, un peu comme le reste de la demeure. Le rouge y dominait, sur le lit, les murs, les rideaux ornés de dorures. On y relevait cependant un sens du détail qui évinçait toute idée d'authenticité.

– D'après ce que j'ai compris, mes parents se sont amusés à rendre son apparence originelle à la maison, expliqua-t-il. Ils n'ont peut-être pas eu le temps de tout modifier. Et je crois qu'ils aimaient particulièrement l'art romantique allemand.

On remarquait en effet plusieurs reproductions ou originaux de paysages lugubres dans la chambre comme dans la garde-robe, arbres dénudés, landes désertiques, cimetières brumeux et grèves déchaînées. Dans le bureau en revanche, le ton était aux vanités de la Renaissance. Derrière des vitres les bibliothèques étaient garnies d'ouvrages philosophiques et scientifiques, principalement dédiés à la manipulation génétique. On pouvait aussi y admirer une collection de crânes en tout genre, dont un ou deux humains, et de vieux ouvrages qui semblaient davantage là pour la beauté de leurs enluminures que l'intérêt de leur contenu. Tout semblait là pour créer un cabinet de curiosités étrange, dont la fonction était davantage d'impressionner ou de mettre mal à l'aise le visiteur que d'inviter au travail. Il y avait aussi un certain sens de la mise en scène et de la composition chez le père de Lilian, mais avec une précision, un mimétisme, plus inquiétant. Juste à côté, la pièce consacrée à la littérature était impressionnante. Aucun classique ne semblait manquer à l'appel, mais des titres plus sulfureux se mêlaient à Proust ou Shakespeare. Il ne s'agissait pas juste de Sade, mais de toute la décadence fin XIXe, de romans noirs anglais, œuvres érotiques oubliées de l'Histoire, et romans américains tapageurs des années 60/80 qui ne bénéficiaient pas de belles éditions originales.

– Tu peux te servir comme tu veux, j'ai presque tout lu, dit-il désinvolte.

Il exagérait légèrement en sous-entendant qu'il avait lu le contenu de la bibliothèque en une dizaine d'années mais il ne fallait pas négliger l'ennui terrible de son enfance, et il avait eu tout le temps depuis son départ du manoir pour se procurer les titres qui manquaient à sa culture. Cependant, ce n'était pas très important. Il avait bien entendu gardé sa chambre pour la fin. En poussant la porte, il sentit se serrer au creux de sa poitrine une sensation irrationnelle et habituelle. A chaque fois qu'il revenait, il avait la crainte ou l'espoir que quelque chose aurait changé. Mais rien ne se passait, tout était parfaitement normal. Il ne se souvenait plus exactement ce qui avait motivé son choix quand il avait été en âge d'élire sa pièce. Il était évident que, malgré son luxe, celle-là était plutôt modeste. Elle avait un côté plus sage, plus étroit, sans doute plus rassurant pour sa projection enfantine. C'était un monde aux murs gris-bleu sans fioritures, plus daté que les autres chambres. Ah, il y avait cela aussi, l'impression certaine que personne n'y avait vécu depuis longtemps, la présence tranquille de vieux fantômes. La peinture blanche de la cheminée s'écaillait, et le bois gris de la penderie se fendait. Le lit n'était pas une reproduction non plus, mais il était cependant aussi grand que les autres, avec une structure tout en fer forgé blanc, qui s'élevait en colonnes à chaque pied pour former une arche de feuilles typique de l'art nouveau. Cette originalité avait dû le séduire aussi. Il avait passé des heures allongé sur le dos à fixer avec une morne fascination la végétation métallique. Cette fois, il restait des traces de vie plus marquées, le passage de son adolescence chaotique et peu triste. Il était à peu près certain que l'amas de copies et manuels sur son bureau n'avait pas changé de place depuis l'obtention de son diplôme. Sa modeste bibliothèque contenait les livres qu'il avait récupéré sur les étagères de ses parents. Les posters noir et blanc des artistes des années 80 qu'il appréciait ornaient les murs, et une pile d'albums prenaient la poussière à côté d'un amas de vinyles. Il n'y avait, au-delà, pas beaucoup d'éléments d'enfance ou d'adolescence, comme si aucune jeu ne l'avait jamais intéressé, mais, en approchant de la tête de son lit, on remarquait de nombreux bouts de papiers épinglés sur le murs, sur lesquels étaient inscrites toutes les citations de livres, et même les définitions de mots qu'il avait voulu garder en mémoire. Pour le détail un peu pathétiques, certaines avaient visiblement étaient inscrites avec son sang.

– A vrai dire, je n'ai pas particulièrement réfléchi à la chambre dans laquelle nous passerons le séjour, avoua-t-il. Je viens toujours ici par habitude. Tu peux préférer t'installer ailleurs, mais cependant la penderie est assez grande.

Il n'était pas à l'aise à l'idée d'aller dormir dans une chambre qui n'était pas la sienne, c'était assez visible dans son manque d'enthousiasme et sa manière d'insister. Leurs valises étaient effectivement déjà là. Mais, quand Nikolaï fit un geste vers l'armoire mal refermée pour évaluer son contenu, une vague d'embarras réel passa sur le visage de Lilian. Avec l'habitude, les petites fantaisies de son adolescence turbulente lui passaient complètement au-dessus. Et il était difficile de ne pas se mordiller la lèvre en évaluant la perplexité de son compagnon face à ce qu'il avait accroché derrière la porte, une collection de photographies horribles imprimées depuis son ordinateur. On y trouvait un peu de tout ce qui pouvait choquer, des cadavres atrocement mutilés, des modifications corporelles extrêmes, de la pornographie qui semblait à la limite de la légalité.

– Je n'aurais jamais dû laisser ça, concéda-t-il. Mais j'étais assez convaincu quand j'étais en dernière année de collège que ma gouvernante fouillait dans mes affaires alors j'ai mis tout ça pour la perturber. Je voulais juste lui faire regretter sa curiosité, en sachant qu'elle n'oserait pas m'en parler. Je crois que ça a précipité son départ, alors je n'ai pas jugé utile de tout retirer…

L'explication n'étaient pas foncièrement plus rassurante, d'autant plus qu'il fallait bien qu'il ait réussi à se procurer toutes les images en question, et donc faire une sélection choisie parmi d'autres monstruosités. Mais c'était déjà mieux que passer pour un adolescent qui trouvait séduisant d'être confronté à ces clichés tous les matins au réveil. Quoique… Par déduction, on ne pouvait pas dire qu'il en avait été très dérangé.


Dernière édition par Lilian D'Eyncourt le Lun 26 Déc 2016 - 16:05, édité 2 fois
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Message  Nikolaï M. Kolyakov Sam 3 Déc 2016 - 12:05

Les pièces défilent les unes après les autres, chacune possédant sa propre ambiance comme si on avait voulu profiter de toutes les possibilités offertes par un bâtiment aussi imposant que le manoir. Et pourtant l’atmosphère est surfaite, ressemblant plus à une couverture de magazine déco qu’à la demeure d’une famille réelle. Les photographies même sonnent faux, excessives pour une bâtisse dont la froideur n’est pas due qu’à sa désertion depuis déjà plus d’une décennie. Les sourires sont figés dans la moue hypocrite des familles qui se doivent de présenter la parfaite façade pour mieux cacher toutes les horreurs qui les définissent. Un regard moins expert serait peut-être passé outre mais je reconnais là les traits typiques du manoir familial et ne peut que compatir au besoin de fuite qu’a dû connaître Lilian à l’adolescence. Après tout, n’ai-je pas profité de la première occasion pour quitter le cocon étouffant du domaine Kolyakov ?

Le cabinet de curiosités détonne au beau milieu des chambres sans saveur. Je n’en ai jamais vu de pareil et si je ne suis pas nécessairement époustouflé par ce que j’y vois, c’est toujours mieux que la Kolyakov touch. En un mot, cette dernière se définit par ostentatoire. Plus c’est voyant, mieux c’est. Un lemme approprié pour le groupe de voyous opportunistes que nous sommes originellement. Car on ne peut réellement pas dire que nous bénéficions d’une grande culture. Mère s’est certes toujours donné un style mais ce n’est rien d’autre que cela : un faux-semblant. Malgré tous ses efforts, elle n’est qu’une petite bourgeoise ayant réussi à grimper dans l’échelle sociale grâce à son physique. Elle ne lit et regarde donc que ce qui peut lui apporter reconnaissance et flatteries au sein de son cercle de connaissances.

En y repensant, ma curiosité a toujours été mal venue dans ce cercle d’incultes. Jusqu’à découvrir Dimitri bien entendu. Derrière sa mine patibulaire, il possède un doctorat en histoire de l’art et il fut un temps où son nom résonnait d’une certaine splendeur dans les cercles de spécialistes d’art roman. Mais toutes les bonnes choses ont une fin et il désormais plus à même de disserter sur le cours de l’héroïne que sur les chapiteaux médiévaux. Ce qui m’arrange bien puisque ce n’est pas vraiment ma tasse de thé. Je suis plutôt de ceux qui aiment se cultiver en dilettantes : littérature, sciences, art, technologie, etc., tout dépend de mon humeur.

Ainsi, les classiques n’ont jamais attiré mon attention et je préfère de loin les polars sombres et autres thrillers. J’apprécie également les histoires d’aventures : romans historiques, science-fiction, heroic fantasy, je ne discrimine pas. Tout ce que je demande c’est à être dépaysé. Enfin, je dois avouer un penchant secret pour les histoires de mafieux. En effet, après avoir découvert ce monde fascinant à douze ans, j’ai pu réaliser à quel point la fiction influe sur la réalité et inversement. Combien de petites frappes s’inspirent des films dans leur façon de s’habiller, de marcher, de parler ? Sans aller plus loin, combien de parrains ne se sont pas rêvés don Corleone, mon père y compris ?

La visite finit dans l’endroit que je rêvais de voir plus tôt : la chambre de Lilian. Je suis d’ailleurs surpris d’y découvrir une sorte de mausolée à son adolescence. La vie semble s’y être arrêtée brusquement un jour, comme si le propriétaire des lieux s’était évaporé. Ce qui est peut-être bien le cas en y pensant. Lilian n’a-t-il pas fui les lieux ?

Mes yeux sautent d’un détail à un autre et je suis incapable de me faire une idée générale des lieux. Il faut croire que la « normalité » de la pièce me déroute, je m’imaginais probablement autre chose, sous prétexte que Lilian aurait dû toujours être un être décadent, insaisissable. Comme si l’adjectif « courant » accolé à son nom était un quasi blasphème. Pourtant les preuves sont là, devant mes yeux.

La remarque sur le fait de dormir ici me surprend un instant dans mes réflexions avant de me sembler normale. Malsaine mais attendue. Évidemment qu’il ne veut pas quitter les lieux. Il retrouve là un sanctuaire hors du temps. Personnellement, ça me met légèrement mal à l’aise, comme si je risquais de coucher avec un adolescent à peine légal plutôt que le quasi trentenaire qui me fait face. Je sens néanmoins au ton de mon amant que la discussion est close. Je me dirige donc vers la penderie plus par automatisme puisqu’il l’a évoquée que par réel intérêt.

La surprise à l’ouverture est néanmoins de taille, et la moue de dégoût qui se dessine sur mes traits irrépressible. Pourtant, une fois le premier choc passé, je me découvre une fascination morbide pour ces images révélant bien plus de celui que Lilian était à l’époque que n’importe quel autre élément de la pièce. Etrangement c’est la pornographie qui me dérange le plus. Comme si le milieu dans lequel j’avais grandi m’avait anesthésié aux mutilations et autres modifications corporelles. Après tout, j’ai été un télépathe incapable de contrôler son pouvoir dans une famille de mafieux alors pour ce qui est d’en voir des vertes et des pas mûres j’ai donné, ça pour sûr. Mais l’image de cette femme emmenée à la jouissance par ce qui ressemble dangereusement à un melon lui étant enfoncé dans le rectum paraît néanmoins au-dessus de mes forces.

Quelque part en bruit de fond les explications de Lilian se font entendre mais j’ai du mal à détacher mes yeux de l’étalage des pires atrocités que l’humanité ait à offrir. Et alors que je reconnais avec une surprise pas même voilée la signature d’un des associés de père dans les cordes vocales découpées au scalpel et déposées avec précision dans la bouche d’un cadavre à l’air hagard (méthode pour le moins drastique de faire taire les importuns je vous l’accorde), je réponds d’un ton presque détaché :


-Je ne peux pas dire que j’approuve tes goûts en matière de décoration quelqu’en soient les raisons mais ce n’est pas comme si ma propre chambre d’adolescence était un modèle de bon goût pour autant. J’ai eu une période pseudo-gothique dont je suis peu assez peu fier. Ce n’était pas tant une question de mode puisque je n’ai jamais accroché au noir intégral mais j’avais réussi à me convaincre que si je recouvrais mes murs de noir, cela empêcherait mes pensées de divaguer et que je ne risquais pas de déclencher ma mutation à tort et à travers. Parce qu’à côté de l’esprit de certaines des invités de Père, tes photographies font malheureusement pâle figure.

Mon ton en déclarant cela est complètement détaché, comme si je parlais d’un autre. Comme si les heures passées à tenter tant bien que mal de me débarrasser des images glaçantes perçues contre mon gré n’avaient pas traumatisés une bonne partie de mon adolescence. Après tout, même lorsque j’ai pris goût au contrôle de mon pouvoir et que Père m’emmenait avec lui en tant que détecteur de mensonges personnel, j’ai découvert plus d’un sombre secret. Certains dont je me serais amplement passé puisqu’ils n’étaient d’aucune utilité à la famille si ce n’est pour me provoquer nombre de cauchemars éveillés. Mais c’est là la croix du mafieux télépathe : à force de vouloir toujours connaître la vérité, il faut être prêt à s’y confronter.
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Message  Lilian D'Eyncourt Lun 26 Déc 2016 - 18:47

Ce qu'avait été sa lignée avant d'être foulée du pied par son père, il avait pu s'en faire une petite idée grâce aux documents conservés dans les combles. Le déracinement était au cœur du sujet. C'était l'histoire d'une famille normande qui avait su fuir à temps au XVIIIe siècle pour sauver son sang bleu de la révolte paysanne. Contrairement à d'autres, ils avaient saisi l’intérêt de miser sur l'industrie émergente de la Grande-Bretagne en investissant dans l'import. Parce qu'ils n'étaient pas la noblesse la plus estimée de France, ils n'avaient pas eu de problème à laisser de côté leurs valeurs pour gagner de l'argent d'une manière plus bourgeoise. Le dernier héritier avait tout quitté pour offrir un titre honorifique à la fille d'un grand patron anglais avec lequel il collaborait, et investir dans une presse de plus en plus dynamique. Une génération après, la mémoire du côté français était presque effacée. On savait de quelle manière les D'Eyncourt étaient arrivés là, on connaissait à peine les origines de leurs ancêtres. Alors, malgré la particule, tout reposait finalement sur un homme brillant qui avait su placer ses cartes au bon moment, et le manoir portait davantage le désir de se raccrocher à un titre oublié que la nostalgie d'une famille plusieurs fois centenaire. La demeure avait vu passer des esprits cultivés, d'autres plus cupides et grossiers. Toutes les nuances du décor, les variations dans les objets d'art, les peintures et la richesse des bibliothèques prouvait que personne n'avait très exactement su y trouver sa place. Ses parents aussi avaient entretenu cette sorte d'entre-deux. Les charmes du passé avaient attiré sa mère ici tandis que son père profitait avant tout de son statut. Lilian n'avait jamais su très exactement définir s'il était véritablement amateur de vanités ou de romantisme. Athanase D'Eyncourt possédait une instruction évidente combinée à un détachement suffisant pour lui permettre de sélectionner précisément ses goûts et composer une image publique séduisante.

L'intérêt pour l'habillage d'une pièce et la mise en avant de choses signifiantes était plus relatif chez Lilian. Avec le temps, il avait développé l'envie d'avoir des intérieurs soignés, d'une originalité toute en sobriété. Loin d'aller vers le tape-à-l’œil, il aimait réfléchir au détail qui donnerait un petit quelque chose en plus. Le lit de sa chambre d'enfance répondait à ce besoin. Le reste n'était qu'une accumulation de choses sans réel intérêt. Il songeait davantage à couvrir le vide plutôt qu'à se donner un genre. Les excès de style du reste de la demeure l'étouffaient, et les débauches d'ornements l'angoissaient, surtout quand ils n'avaient rien à raconter. De nos jours, c'était un peu comme le malaise qui pouvait s'emparer de lui quand il débarquait chez une fille dont l'appartement propret pouvait porter l'étiquette « made Ikea », où chaque élément était en trop tant il était convenu, là pour plaire à tout le monde, et sans avoir de réel sens pour personne. Et même à son niveau, il préférait encore la mansarde avec l'unique matelas au sol d'un junkie. Au moins, l'effet glauque semblait conscient, assumé. Quand on voyait son rayonnement social et connaissait les frasques de sa prime jeunesse, on pouvait supposer quelque chose de spectaculaire en ouvrant la porte de sa chambre. C'était mal l'évaluer. Il n'avait pas besoin d'artifices matériels pour être quelqu'un, surtout à une époque où il se voyait comme une âme vaine tout juste bonne à se divertir de la candeur ou la bêtise des autres.

Le dégoût de Nikolaï face aux photographies répugnantes qu'il avait laissées dans son armoire lui donna envie de les arracher aussitôt, mais il savait ce geste ridicule. Il était trop tard pour réparer sa négligence et il faudrait affronter le jugement d'un homme pour lequel ce genre d'images n'aurait jamais pu devenir une plaisanterie. Son amant tenta de dissiper cette gêne en lui évoquant sa propre chambre d'adolescence tapissée de noir, ce qu'il voyait comme un délire pseudo-gothique. Amusant comme ce mot se rapportait souvent à de mauvaises phases de la jeunesse. Pour lui, c'était toute une culture, une constellation de références qui lui permettaient toujours de s'évader, de se ressourcer. Mais il était vrai que ce que la plupart des gens qualifiaient de gothique – tenues noires froufroutantes, décorations sombres faussement anciennes et réellement kitschissimes – était assez abominable. En ce qui concernait la mode, Lilian était en large partie resté dans les tons noirs depuis cette période. Mais il lui semblait évident qu'aucune couleur ne se portait avec tant de classe, et il n'aimait pas, encore une fois, se sentir trop voyant, ni trop commun.

– Oh, ça m'a l'air intéressant, une pièce tout en noir… Avec des éléments fluorescents, ce serait même amusant, imagina-t-il. De mon côté, je me suis surtout limité à la musique, mais on ne peut pas dire que je t'apprenne grand-chose.

Il s'agenouilla près d'un vieux tourne-disque et souffla sur la pochette cartonnée d'un album de Bauhaus, Press the Eject and Give Me the Tape, avant de le placer dessus. Il aimait le côté texturé que cette vieille machine apportait à la musique.

– Je l'ai trop mis quand j'avais quatorze ans, alors je ne l'écoute plus qu'ici, précisa-t-il.

C'était aussi l'album sur lequel il avait essayé de mettre fin à ses jours, sur lequel il avait par conséquent dû accepter de vivre. Il l'aimait à sa manière, et il lui semblait indécent de le faire résonner entre d'autres murs. Bien sûr, il n'avait pas ignoré le reste des paroles de Nikolaï, mais ils avaient le temps. Il s'assit au bord du lit et lui fit signe de le rejoindre.

– On t'a imposé une réalité horrible, et à moi ce mensonge. Je suppose que j'avais besoin de le salir aussi par tous les moyens possibles. Ma mutation m'a rendu meurtrier à douze ans, mais le plus dur a été de constater que je ne ressentais pas de culpabilité. J'ai voulu explorer les pires côtés de l'homme pour trouver quelque chose au fond de moi. Internet était un moyen facile mais vain. Alors, j'ai employé mes trouvailles pour perturber les autres, et les interroger aussi sur la manière dont j'étais censé réagir. Sans doute qu'un électrochoc télépathique m'aurait mieux calmé. Mais je n'ai jamais rencontré plus cynique à cette époque.

Au fond, il ne demandait rien d'autre qu'une réelle opposition, non pour être recadré, mais pour arrêter de creuser vainement un terrain stérile, souple comme du sable. Malmener des êtres impressionnables et influençables n'était pas le plus amusant, mais il lui semblait qu'il n'avait rien de mieux à faire, que devenir soudain plus aimable serait un renoncement et d'un ennui encore plus profond. Il lui fallait créer ses sensations extrêmes seul. Au moins, s'il avait pu rencontrer des monstres pires que lui, des abominations véritables, il aurait pu méditer à un nouveau moyen de nuire, peut-être même un moyen plus socialement louable. De ce point de vue, partir sur les traces de son père et de toutes les aberrations scientifiques qu'il avait créées avait apaisé certaines rébellions. Devant certaines vérités, il avait compris l'intérêt de ne pas plaisanter sur tous les sujets, même s'il le faisait encore face à des personnes trop stupides pour mériter une conversation raisonnable.


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Message  Nikolaï M. Kolyakov Dim 8 Jan 2017 - 12:50

Meurtrier sans culpabilité à douze ans. Quelque part, cela ne me surprend pas. Non pas tant parce qu’il s’agit de Lilian mais simplement car il me semble impossible qu’un enfant de douze ans soit capable de réaliser pleinement les implications de ravir une vie. Contrairement à la croyance populaire, les enfants ne sont pas de petits êtres innocents. Ils sont même plutôt vicieux. Ou plutôt, tels les animaux non dressés qu’ils sont, les notions de mal et de bien les dépassent et c’est à la société de les éduquer progressivement pour leur imposer des limites. Ainsi, toute la difficulté d’une éducation réussie consiste à inculquer le lien de cause à effet, à faire comprendre que toute action implique une réaction. Et que certaines conséquences sont irréversibles.

Sauf que la capacité de mauvaise foi des adolescents est sans fin. Bien souvent, lorsque l’on croit qu’ils font exprès de nous contredire par goût de la provocation, ils se sont tout bêtement convaincus qu’ils sont dans leur bon droit. Plutôt que de faire face à la difficulté de leurs actes, ils préfèrent se voiler la face en niant la réalité. Les faits ont beau être là, évidents et irréfutables, ils chercheront tout de même à les contourner pour aboutir aux conclusions qui leur conviennent le plus. Dans le cas de Lilian, il a semblé vouloir fuir par tous les moyens une réalité ô combien terrifiante : s’il comprenait la responsabilité qui lui incombait, le sentiment de faute qui aurait dû l’accompagner se refusait à lui. Là où tout être « normal » aurait probablement été consumé par la haine de soi jusqu’à apprendre à passer outre et continuer à vivre sa vie ou s’effondrer définitivement, il est resté prisonnier d’une indifférence qui le séparait à jamais du groupe. Et ses actions extrêmes, dérangeantes et provocantes au possible, n’étaient finalement qu’un appel au secours non assumé. Une demande d’explication d’un monde qui lui semblait soudain incompréhensible.

Sans surprise, j’imagine que personne n’a su lui offrir ce qu’il recherchait. Et, à vrai dire, si je peux compatir d’un point de vue intellectuel à ses angoisses d’adolescence, je ne mentirais pas en disant que j’aurais fait mieux que quiconque ayant eu la tâche quasi insurmontable de l’élever. Il est en effet toujours trop simple de critiquer après coup les actions des parents et de plaindre l’enfant incompris lorsqu’on ne vit pas son quotidien. Combien d’âmes bien pensantes tourneraient-elles en réalité les talons à la moindre difficulté du marmot sur lequel elles se font un plaisir de s’apitoyer ? C’est bien gentil de mépriser les parents dépassés, c’est une toute autre affaire de se mettre à leur place. Car si je n’ai pas la moindre compassion pour les parents de Lilian - ceux-ci s’étant apparemment fait un plaisir de l’abandonner à la ribambelle de gouvernantes de service à la première occasion - j’imagine aisément que ces dernières n’ont pas dû avoir une vie facile.


-Je ne suis pas certain que ce soit de cynisme dont tu aies manqué. Quelque chose me dit que si tu avais déjà formé une immunité aux pires images d’Internet, la réalité ne t’aurait pas nécessairement plus affecté que cela. L’esprit humain est trop capable de se convaincre qu’une image n’est rien de plus que cela pour que la méthode des électrochocs fonctionne à coup sûr. On s’habitue à tout comme dit le proverbe.

Et j’en suis un exemple de premier ordre. La brutalité et la violence qui traumatisaient l’enfant chétif que j’étais sont devenues des outils de plus dans l’arsenal de l’adulte que je suis. Cela ne signifie pas que je les utilise à la légère et encore moins que j’en apprécie le recours mais j’ai accepté leur nécessité. Et ce ne sont pas toutes les images qui ont défilé à mon corps défendant dans mon esprit qui y ont contribué en quoique ce soit. A l’inverse, ces dernières auraient plutôt eu l’effet inverse de me convaincre du besoin de ne pas recourir en vain aux poings et aux armes lorsque la ruse et l’intelligence mènent le plus souvent bien plus loin. Non, c’est le discours toujours pragmatique de Dimitri lorsque j’ai entrepris d’entrer pleinement dans le business familial qui a fait son effet. Selon lui, si je voulais avoir la moindre chance de survivre au monde de la pègre, il allait falloir que j’arrête d’agir comme si j’étais l’héritier sans le moindre souci que je m’efforçais de montrer au monde. Les bons mots et le charme provocateur ont beau être ma marque de fabrique, si je ne me reposais que sur eux, je ne serais plus de ce monde depuis longtemps. Or, croyez-moi, au début, j’ai eu du mal à accepter cette réalité. J’ai voulu jouer à la sainte-n'y-touche trop bien pour se salir les mains. J’acceptais que mes hommes usent des méthodes qu’ils avaient toujours connues mais je refusais de participer au massacre comme s’il était possible de vivre parmi les vautours en restant une blanche colombe. Autant vous dire que mes illusions n’ont pas fait long feu. Et bien entendu Dimitri était là pour nettoyer les pots cassés et se faire le plaisir de me rappeler qu’il m’avait prévenu.

-Une fois cela dit, je pense que ce dont tu aurais probablement plus eu besoin, c’est de quelqu’un qui te vois pour ce que tu étais et te traite en conséquence. Non pas comme un monstre dépourvu de sentiments mais un enfant aux repères très fragiles. Or, on n’abandonne pas les enfants mais on ne leur pardonne pas tout non plus. On se contente de leur apprendre qu’ils ne sont pas tout puissants et que pour autant qu’ils le désirent, même le plus puissants des mutants ne peut pas tordre la réalité selon ses volontés. Elle finit toujours par l’emporter et les crétins mégalomaniaques avec elle.

Leçon que mon frère finira par apprendre à ses dépens un de ces quatre, soi-dit en passant.

-Toute la difficulté étant qu’il s’agit d’un métier ingrat au possible car quelle meilleure façon de se faire haïr que de détruire toutes les certitudes de quelqu’un ? D’où le fait que peu de personnes possèdent l’abnégation ou l’indifférence nécessaire pour briser le monde d’un enfant lorsqu’il commence sérieusement à perdre le sens des réalités. Et c’est ce qui fait la fortune des psy du monde entier.

Sur cette dernière phrase teintée de l’ironie qui nous sert à tous les deux de barrière envers nos sentiments les plus profonds, je m’allonge sur le lit, profitant de son moelleux pour me détendre. Puis, après un instant de silence, je rajoute, surpris d’entendre la véracité de mes propos.

-Après, sans tomber dans le déterminisme facile ou les idioties sur la destinée, c’est ton mensonge et ma réalité qui nous ont mené jusqu’à aujourd’hui et, en ce qui me concerne tout au moins, je ne regrette presque rien.
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